L’association Pro Transylvanie
Mais de tous les rapts territoriauxde l'année 1940, la perte du nord de la Transylvanie était telle une blessure béante au cœur de tous les Roumains.
Steliu Lambru, 22.05.2023, 13:10
Le 30 août 1940, à la suite du Second arbitrage de Vienne, la Roumanie se voyait dépecée, forcée de céder la moitié nord de la Transylvanie à la Hongrie, après avoir été contrainte de céder, deux mois plus tôt, la Bessarabie et le nord de la Bucovine à l’URSS. Une semaine plus tard, le 6 septembre 1940, viendra le tour du sud de la Dobroudja, cédé lui à la Bulgarie, suite au traité de Craiova. Mais de tous ces rapts territoriaux, la perte du nord de la Transylvanie était telle une blessure béante au cœur de tous les Roumains. Le nord de cette province historique cédée en 1940 à la Hongrie comptait, selon le recensement de 1930, 2.400.000 habitants, dont 50% ethniques roumains et 38% ethniques magyares, répandus sur un territoire couvrant 43.492 kilomètres carrés. Mais le Second arbitrage de Vienne n’avait que faire de la réalité. Mus par le seul désir de faire table rase du Traité de Versailles et des suites de la Grande Guerre, l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie n’avaient de cesse de chambouler les équilibres et de tordre la réalité pour satisfaire leurs seuls intérêts.
Les suites de la cession territoriale du nord de la Transylvanie furent dramatiques pour bon nombre de ses habitants. En effet, les persécutions et les exactions perpétrées par les autorités de Budapest à l’encontre notamment des juifs et des Roumains ont mis sur les routes de l’exile près d’un demi-million parmi ces derniers. Réfugiés dans une Roumanie exsangue, ces transylvains n’abandonneront jamais le dessein de retrouver un jour leurs foyers. Et c’est en poursuivant cet objectif que le 15 novembre 1940 un groupe de jeunes intellectuels transylvains décident de fonder l’association Pro Transilvania, élisant à sa tête, en tant que président d’honneur, Iuliu Maniu, personnalité politique hors du commun, et président du parti National Paysan. Une association qui n’a eu de cesse de combattre le rapt territorial consenti par le Second arbitrage de Vienne, à travers notamment la diffusion d’émissions de radio destinées aux Roumains qui continuaient à vivre dans cette partie de la Transylvanie passée sous autorité magyare.
Le professeur Victor Marian, ancien membre de l’association, racontait en 1997 son expérience, lors d’une interview passée pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-le : « Il faut savoir qu’il s’agissait d’une radio clandestine. On était constamment poursuivi. Et il fallait donc changer constamment d’endroit. L’on avait commencé à émettre depuis Brasov, 41 rue du Château. Par la suite on est allé dans les montagnes qui surplombent la ville de Brasov, à Tampa. On avait déniché une bergerie abandonnée et on s’y était installé. Quant aux rédacteurs, il y avait Leon Bochiş, qui était la tête pensante et la cheville ouvrière du projet. Ensuite, Lucian Valea, Iustin Ilieş et moi-même. Me concernant, je n’ai pu collaborer que jusqu’au milieu de l’année 1942. Ensuite, j’ai eu mon poste d’enseignant dans la ville de Brasov, et mes disponibilités ont diminué ». L’émetteur de la radio « La Roumanie libre », ainsi qu’ils avaient intitulé leur poste, pouvait couvrir 100 Km à la ronde.
Les informations en provenance des territoires occupés étaient acheminées aux rédacteurs grâce à des courriers discrets. Victor Marian : « Le système était bien mis au point. Et notre radio émettait assez loin. Il y avait des gens de Cluj, ville qui se trouve à 230 km à vol d’oiseau, qui arrivaient à écouter nos émissions. L’on changeait l’endroit d’où on émettait, mais c’était de plus en plus haut. Ce fut d’abord à Tampa, puis sur la montagne Piatra Mare, à Postavaru, ensuite dans les monts Fagaras. Mais à l’époque je ne faisais déjà plus partie de l’équipe. Mais Leon Bochis, on était de bons amis, et il me tenait informé. Et puis, les autorités les avaient pistés lorsqu’ils émettaient depuis les monts Fagaras, et ils ont dû abandonner le matériel et partir en catastrophe. Depuis lors le poste a cessé d’émettre. »
L’association Pro Transilvania avait aussi édité un journal, intitulé « Ardealul », la Transylvanie, censé lui aussi conserver l’espoir au sein des Roumains qui vivaient en cette partie occupée de leur Transylvanie. Victor Marian : « Le journal était dirigé par Anton Ionel Mureşanu. On nous mettait au courant de l’évolution du front, et de l’évolution de la situation internationale. Nous étions donc informés des démarches entreprises par Iuliu Maniu à Stockholm, à Ankara, à Caire et dans d’autres capitales, pour plaider la cause de cette partie occupée de la Transylvanie. Et nous pouvions informer à notre tour nos auditeurs, sur nos ondes. On craignait surtout les Allemands, qui détenaient des appareils performants de radiolocalisation, et on les craignait surtout lorsqu’on diffusait des informations qui faisaient état de notre volonté de sortir de l’alliance qui nous liait à eux. Et lorsqu’on se sentait pistés, on pliait tout de suite bagage. »
La diffusion des émissions de la radio « La Roumanie libre » avait cessé en 1942, lorsque les Allemands avaient le vent en poupe et que la poursuite des transmissions mettait en danger la vie des membres de l’association Pro Transilvania. Sous les conseils de Iuliu Maniu, la technique de transmission avait été abandonnée dans les montagnes, alors que ceux qui avaient fait vivre ce poste ont dû fuir en catastrophe. A la fin de la guerre cependant, le vent tourne à nouveau, et le nord de la Transylvanie réintégrera les frontières roumaines à la suite du traité de paix de Paris de 1947. (Trad. Ionut Jugureanu)