L’art dramatique et les archives de la Securitate
« Teatrul ca rezistență », « Le théâtre
en résistance », ouvrage rédigé par la journaliste Cristina Modreanu,
récemment paru aux éditions Polirom, détaille les manières insidieuses
employées par la police politique du régime communiste roumain, la Securitate,
pour museler la voix des acteurs, mais aussi les chemins détournés que ces
derniers prenaient pour contourner le système mis en place par le régime, pour
résister face au poison de la propagande et à l’intimidation omniprésente. Basé
sur des documents issus des fonds d’archives de la Securitate, l’auteure,
chroniqueuse théâtrale à l’origine, arrive à nous faire revivre l’atmosphère pesante
de l’époque, comme nous l’explique la journaliste Oana Cristea Grigorescu :
Christine Leșcu, 16.01.2023, 07:44
« Teatrul ca rezistență », « Le théâtre
en résistance », ouvrage rédigé par la journaliste Cristina Modreanu,
récemment paru aux éditions Polirom, détaille les manières insidieuses
employées par la police politique du régime communiste roumain, la Securitate,
pour museler la voix des acteurs, mais aussi les chemins détournés que ces
derniers prenaient pour contourner le système mis en place par le régime, pour
résister face au poison de la propagande et à l’intimidation omniprésente. Basé
sur des documents issus des fonds d’archives de la Securitate, l’auteure,
chroniqueuse théâtrale à l’origine, arrive à nous faire revivre l’atmosphère pesante
de l’époque, comme nous l’explique la journaliste Oana Cristea Grigorescu :
« L’ouvrage nous fait découvrir des faits inédits,
méconnus jusqu’alors, sur chaque personnage. L’on apprend beaucoup sur leurs
parcours, sur leurs relations avec la Securitate. L’autrice s’est plongée dans
des archives ignorées depuis plus de 30 ans. Après 1989, une partie des archives
des théâtres, souvent rangées dans des conditions impropres, a été détruite. L’on
a aussi ignoré d’archiver ce qui devait l’être. Et le chercheur se trouve
devant l’impossibilité de reconstituer des décennies d’histoire théâtrale. Or,
par son ouvrage, Cristina Modreanu lance aussi un appel aux jeunes chercheurs,
aux jeunes critiques, de piocher dans les archives qui ont survécu, de se
plonger dans ce passé somme toute proche. Car nous avons aujourd’hui la chance
de regarder ce passé à l’aune de cette information disponible dans les archives
qui ont survécu, dans les archives conservées dans les fonds de la Securitate, au
moyen des témoignages des contemporains, ou des descendants, qui peuvent
éclairer certains aspects qui relèvent de la vie privée des personnalités qui
ont marqué le théâtre roumain durant l’époque communiste. »
Après un travail de fourmi réalisé durant 4 années, Cristina
Modreanu est aujourd’hui en mesure de faire le bilan de ce qu’avait été cette
relation compliquée entre les hommes et les femmes de théâtre et la Securitate :
« Vous savez, ce que j’avais trouvé tout à
fait inouï, c’était la phrase employée par les agents de la Securitate pour
justifier face à leur hiérarchie le démarrage d’une enquête diligentée contre
un homme de théâtre. Cette phrase était, je cite : « Il représente une
menace pour l’ordre socialiste ». Cette formule était employée à chaque
fois, comme une litote. Il ne s’agissait pas d’une coulpe personnelle, mais d’un
soupçon d’ordre général. Pour le régime, l’artiste était coupable a priori. Il
était d’emblée perçu comme une menace, car il avait ce pouvoir d’influer les gens.
Il était au contact des gens, il pouvait promouvoir la pensée critique, il
pouvait même, dans certaines conditions favorables, déclencher une révolte. C’était
la vision du régime sur les artistes. Je n’ai pas voulu parler de dissidents
dans mon ouvrage, de ceux qui se sont fait remarquer par des gestes publics,
qui ont pris des risques. Il n’y en a pas eu beaucoup, même si ce qu’ils ont
fait a marqué les esprits, mais ce n’était pas mon intention de me pencher sur
cette catégorie particulière. J’ai voulu me pencher sur les « invisibles »,
même si certains étaient des artistes très en vogue. Parler aussi des artistes
qui ont joué dans les théâtres de province, moins connus par la force des
choses. Des gens qui, tout au long de leur carrière dans le théâtre, ont dû
affronter la menace pesante de la Securitate. C’est pourquoi j’ai employé dans
le titre le terme de « résistance ». Parce qu’ils sont parvenus en
fin de compte à ne pas bafouer ni leur métier, ni les principes moraux qui les
animaient. Ils sont restés debout, et c’est ce qui compte ».
L’auteure du « Théâtre en résistance » nous
assure que son travail n’est pas achevé. Un nouveau volume pourrait même paraître
prochainement. (Trad. Ionut Jugureanu)