L’arbitrage de Vienne
Durant les années ’40 du siècle dernier, la Roumanie a promu une politique extérieure susceptible de garantir l’intégrité de ses frontières. En 1938, l’Allemagne commence à s’affirmer comme une puissance qui a un mot de plus en plus important à dire en Europe, alors que la France et le Royaume Uni mènent une politique défensive.
Steliu Lambru, 08.09.2014, 16:12
Durant les années ’40 du siècle dernier, la Roumanie a promu une politique extérieure susceptible de garantir l’intégrité de ses frontières. En 1938, l’Allemagne commence à s’affirmer comme une puissance qui a un mot de plus en plus important à dire en Europe, alors que la France et le Royaume Uni mènent une politique défensive.
Aussi, la Roumanie se rapproche-t-elle de l’Allemagne, la seule à pouvoir garantir ses frontières. Ce rapprochement est pourtant plutôt tardif, après la capitulation de la France, pendant l’été 1940. La Hongrie et la Bulgarie, Etats déjà alliés de l’Allemagne, qui revendiquaient des territoires roumains, ont profité de leur position favorable pour satisfaire leurs prétentions.
Gheorghe Barbul a participé aux négociations de 1940, suite auxquelles la Roumanie a dû céder le Nord de la Transylvanie à la Hongrie. Dans une interview accordée en 1995 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, il se rappelle les circonstances de ce rapprochement avec l’Allemagne: « Il existe une lettre d’Hitler, du 15 juillet 1940, par laquelle il répondait à une lettre du roi Carol, par laquelle celui-ci lui offrait l’amitié de la Roumanie. Ensuite il parle de questions territoriales, affirmant qu’à une époque où la Roumanie avait une très bonne position, elle avait annexé des territoires des pays voisins.
A présent, que la Roumanie n’avait plus la même force, Hitler jugeait normal de négocier un arrangement entre la Roumanie et la Hongrie d’une part et entre la Roumanie et la Bulgarie de l’autre. La Bessarabie, nous l’avions déjà perdue. Et Hitler affirmait que si l’on ne trouvait pas cet arrangement, si l’on n’aboutissait pas à une entente, l’Allemagne allait se désintéresser de ce qui se passe dans le sud-est de l’Europe, car elle était assez puissante pour n’avoir besoin de rien, même pas de notre pétrole. C’était une sorte d’ultimatum. Autrement dit — affirmait Hitler — si vous refusez de négocier avec vos voisins, vous vous débrouillerez tout seuls.
Or, il n’y avait pas que la Hongrie et la Bulgarie, il y avait surtout l’inimitié de la Russie. La situation était très difficile. »
Dans ce contexte, la Roumanie se déclare prête à entamer des négociations avec la Hongrie et la Bulgarie. Les pourparlers roumano-hongrois allaient s’ouvrir le 16 août 1940, à Turnu Severin. La délégation roumaine était dirigée par Valer Pop. La délégation hongroise a exigé à un territoire de près de 70.000 km², dont la population se montait à près de 4 millions d’habitants.
Le secrétaire de la délégation roumaine participante à ces négociations, Gheorghe Barbul, se rappelle : « Nous étions installés sur un bateau qui mouillait dans le port de Turnu Severin et nous nous rendions à la préfecture ou à la mairie pour les discussions avec les Hongrois. La délégation hongroise avait à sa tête le comte Hory.
Les discussions ont duré 3 ou 4 jours et chaque jour, les choses se déroulaient de la même façon Les Hongrois demandaient : « Quels territoires êtes-vous disposés à nous céder ? » A cette question, le chef de la délégation roumaine, Valer Pop, répondait toujours : «Ce n’est pas une question territoriale que la Roumanie et la Hongrie doivent résoudre, c’est une question de nationalités. Nous cédons le territoire qui s’avérera nécessaire pour l’échange de population qui devrait être réalisé entre la Roumanie et la Hongrie. » Autrement dit, les Magyars vivant au centre de la Transylvanie ou ailleurs devaient être déplacés à notre frontière ouest, dans la contrée de Crişana, et des Roumains allaient être emmenés là où vivaient ces Magyars.
Voilà la thèse roumaine, que les Hongrois n’acceptaient pas et retournaient le lendemain pour poser la même question : « Quels territoires nous cédez-vous ? » Et Valer Pop leur faisait la même réponse. Ensuite, il se retirait avec Hory dans une chambre voisine. Nous étions installés à deux tables situées l’une en face de l’autre, les Hongrois d’un côté, les Roumains de l’autre, et nous discutions. Les négociations de Turnu Severin n’ont mené à rien, aussi ont-elles été interrompues. »
Mécontente de l’échec de cette rencontre, la Hongrie a demandé à l’Allemagne et à l’Italie d’intervenir pour désamorcer le conflit. Le 26 août 1940, les ministres allemand et italien des Affaires étrangères, Ribbentrop et Ciano, adressent une invitation aux deux parties en vue d’une médiation.
Convoquée à Vienne, à la rencontre avec les représentants de la Hongrie, la Roumanie y allait être représentée par son ministre des Affaires étrangères, Mihail Manoilescu, pour de nouvelles négociations. Gheorghe Barbul: « Des négociations, il n’y en a pas eu. Manoilescu, qui s’est trouvé à la tête de notre délégation, s’est vu présenter la nouvelle carte de la Roumanie — ce qui lui provoqua une syncope. On fit venir vite un médecin autrichien, qui mesura sa tension artérielle. Il n’y avait plus rien à faire — sauf annoncer Bucarest, qui a hésité à approuver cette décision. L’approbation de Bucarest s’est longtemps fait attendre.
Entre temps, les Allemands insistaient, affirmant qu’il y avait une entente entre les Soviétiques et les Hongrois, qui envisageaient de déclencher une action militaire commune contre nous si l’arbitrage de Vienne échouait. Le bruit courait que les Russes avanceraient jusqu’à l’est des Carpates et les Hongrois pénétreraient profondément en Transylvanie.
Le 24 août déjà les Allemands nous annonçaient que des troupes soviétiques étaient massées le long de la rivière Prut. Cela pouvait être vrai, pourtant, même aujourd’hui on ignore si ce fut un chantage ou une réalité. »
Irrités par le refus de la Roumanie de résoudre ce différend, Ribbentrop et Ciano ont averti Manoilescu qu’un nouveau refus allait avoir des conséquences très graves pour la Roumanie. Le Conseil de la couronne réuni à Bucarest accepta, avec 19 votes pour et 10 contre, l’arbitrage de l’Axe.
Le lendemain, au palais du Belvédère de Vienne, les 4 délégations ont conclu l’acte d’arbitrage par lequel la moitié nord de la Transylvanie était attribuée à la Hongrie. 4 années plus tard, suite à des négociations encore plus dures, le Nord de la Transylvanie allait réintégrer la mère patrie, la Roumanie. (trad. : Dominique)