L’actualité roumaine sur les ondes de Radio Free Europe
A compter des années 1950, Radio Free Europe, avec la Voix de l’Amérique, la BBC, Radio France Internationale et la Deutsche Welle ont été synonymes de presse libre en langue roumaine. Radio Free Europe s’est démarquée entre toutes, en critiquant vertement les dérives du régime totalitaire de Nicolae Ceaușescu. Cette nouvelle vision d’une Radio Free Europe plus mordante, plus agressive, a été imprimée à compter de 1977 par deux journalistes d’exception : Noël Bernard, le directeur du Service roumain de Radio Free Europe, et Mircea Carp, la cheville ouvrière de la nouvelle grille de programmes. Passé d’abord par la Voix de l’Amérique, Mircea Carp a répliqué dans la programmation le modèle éditorial américain, avec des brèves de 4 à 6 minutes, plus de sujets, et des émissions phare, qui marquent de leur sceau la radio. Parmi ces dernières, notons « Programme politique », rubrique quotidienne, diffusée en première entre 18h10 et 19h00, mais, surtout, « L’Actualité roumaine » et « Du monde communiste », diffusées entre 19h10 et 20h00.
Steliu Lambru, 02.12.2019, 12:19
A compter des années 1950, Radio Free Europe, avec la Voix de l’Amérique, la BBC, Radio France Internationale et la Deutsche Welle ont été synonymes de presse libre en langue roumaine. Radio Free Europe s’est démarquée entre toutes, en critiquant vertement les dérives du régime totalitaire de Nicolae Ceaușescu. Cette nouvelle vision d’une Radio Free Europe plus mordante, plus agressive, a été imprimée à compter de 1977 par deux journalistes d’exception : Noël Bernard, le directeur du Service roumain de Radio Free Europe, et Mircea Carp, la cheville ouvrière de la nouvelle grille de programmes. Passé d’abord par la Voix de l’Amérique, Mircea Carp a répliqué dans la programmation le modèle éditorial américain, avec des brèves de 4 à 6 minutes, plus de sujets, et des émissions phare, qui marquent de leur sceau la radio. Parmi ces dernières, notons « Programme politique », rubrique quotidienne, diffusée en première entre 18h10 et 19h00, mais, surtout, « L’Actualité roumaine » et « Du monde communiste », diffusées entre 19h10 et 20h00.
En 1977, le journaliste Neculai Constantin Munteanu arrive à émigrer en Allemagne de l’Ouest, après s’être solidarisé avec le mouvement initié par l’écrivain et le dissident Paul Goma, qui dénonçait la mise à mal des droits de l’homme par le régime de Bucarest. Munteanu, critique de film à l’origine, et qui avait mis sa plume à la disposition de la revue roumaine Le Cinéma, rejoindra l’équipe des journalistes de Radio Free Europe, et surtout celle de L’Actualité roumaine.
Voici un extrait d’une interview accordée au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, en 1999 : « Je me trouvais dans le bureau du titulaire de l’émission L’actualité roumaine, Emil Georgescu, parti aux Etats-Unis pour deux mois, pour suivre un cours d’anglais. L’on m’y avait amené pour reprendre son poste pour la durée de son déplacement. Sur une grande table étaient étalés plusieurs journaux roumains, presque toute la presse roumaine, les quotidiens et une partie des hebdomadaires. Je me suis mis à les feuilleter. Scanteia, l’Etincelle en français, organe de presse du parti communiste, j’avais commencé à le lire depuis que je me trouvais à Francfort, lorsque je pouvais me le procurer, parce qu’il n’était pas facile à dénicher. J’étais assoiffé de presse. Je suis resté penché sur ces journaux pendant trois jours. Ce n’est qu’ensuite que j’ai rédigé mon premier commentaire pour la radio. C’était le 23 ou le 24 mai 1980. Depuis lors, je ne me suis plus arrêté jusqu’à la fin de 1994, lorsque j’ai quitté, en âme et conscience, Radio Free Europe. »
Son expérience antérieure de journaliste, Neculai Constantin Munteanu allait la mettre à profit dans son nouveau poste. Mais le succès de l’émission « L’Actualité roumaine » est surtout dû à l’équipe, à la manière dont les nouvelles recrues étaient intégrées au sein d’une équipe bien soudée.
Neculai Constantin Munteanu : « Plus tard, après les deux mois d’essai, Emil Georgescu, le titulaire du poste et un excellent journaliste de télévision, est rentré des Etats-Unis. Il n’avait pas suivi d’études de journalisme, mais il était avocat, un excellent juriste mais aussi un formidable orateur, une véritable présence dès qu’il avait un micro devant lui. Il connaissait du monde, il connaissait le fonctionnement du système communiste, il maîtrisait ses mécanismes, surtout les mécanismes de cette corruption généralisée, qui gangrénait le régime. Il maîtrisait parfaitement son métier. Lorsqu’il disait simplement « bonsoir » au micro de Radio Free Europe, il était capable de laisser entendre que le soir tombait à cause du communisme. Il était un homme de talent et de conviction, disposant de sources sûres et fiables. Il a repris sa place, il dirigeait l’émission, mais on s’entendait parfaitement. Moi, j’écrivais tous les jours un article de 4 pages, d’une durée de 8 minutes sur les ondes, du lundi au jeudi. Vendredi, la radio diffusait la rubrique culturelle, présentée par le même Emil Georgescu, mais réalisée dans nos studios de Paris ».
L’énorme succès de la rubrique « L’actualité roumaine » a été surtout bâti grâce à la fiabilité de l’information qui y était diffusée. Neculai Constantin Munteanu nous dévoile les secrets de la recette de cette émission mythique de Radio Free Europe : « Nous, ceux qui travaillions pour L’actualité roumaine, débutions la journée en lisant les actualités des agences de presse des 24 dernières heures. Ces actualités nous parvenaient depuis un service central. Ensuite, on lisait les éditoriaux de la presse allemande, européenne et américaine. Mais pour notre émission, l’Actualité roumaine, c’était la radio roumaine, Radio Bucarest, qui nous fournissait l’essentiel de l’information. Ensuite, il y avait les communiqués de l’agence de presse roumaine, Agerpres, diffusés en roumain et en anglais. Evidemment, vous pourriez me poser la question sur la fiabilité de la presse roumaine, car il s’agissait surtout d’une presse de propagande. Et cela est vrai. Mais en même temps, l’on apprenait des détails sur les déplacements de Ceausescu, ses discours, ses initiatives, des détails sur les gens qui l’ont accueilli et ainsi de suite. Il y avait beaucoup d’informations. Certes, il fallait creuser au-delà de la couche de propagande. Et si on creusait bien, en lisant attentivement, connaissant le contexte, on était capables de reconstituer les vraies dimensions d’un fait. Prenez un exemple, si l’on parlait de la moisson, c’est que le calendrier des travaux agricoles était en retard. Ce n’est pas sorcier. Et puis, après avoir lu tous les articles parus, on rédigeait un projet de sommaire de notre émission. L’émission durait 30 minutes, et elle devait comprendre 3 morceaux d’environ 8 minutes chacun. Pour l’espace restant, on insérait d’autres nouvelles et infos, en bref ».
L’émission L’Actualité roumaine a marqué la mémoire des auditeurs de l’époque de Radio Free Europe. Par le professionnalisme de ces quelques journalistes, la vérité arrivait à pénétrer dans les chaumières d’une Roumanie de plus en plus grise, qui ployait sous le fardeau du communisme. (Trad. Ionut Jugureanu)