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L’accident ferroviaire de Ciurea

La Roumanie entre dans la Première guerre mondiale au mois
d’août 1916, aux côtés de l’Entente. Après quatre mois de combats acharnés et à
la suite de plusieurs revers subis par les troupes roumaines, l’armée allemande
occupe Bucarest, le 6 décembre de la même année. L’armée, le gouvernement et
l’administration de la Roumanie se retirent alors dans la province de Moldavie,
pour continuer le combat. Une retraite plutôt chaotique, menée tambour battant,
sous la pression du front. C’est lors de cette retraite qu’aura lieu le plus
tragique accident ferroviaire roumain de tous les temps, et l’un des plus
tragiques de l’histoire des chemins de fer. Cela aura lieu dans la nuit de la Saint-Sylvestre
1917. C’est alors que plus de mille personnes perdront la vie, lorsqu’un train
militaire, composé de 26 voitures bondées, qui se dirigeait vers Iaşi, va
dérailler et entrera en collision avec des wagons-citernes à l’arrêt, près de
la gare de Ciurea, une commune située à 120 kilomètres de la destination finale.

L’accident ferroviaire de Ciurea
L’accident ferroviaire de Ciurea

, 18.01.2021, 14:20

La Roumanie entre dans la Première guerre mondiale au mois
d’août 1916, aux côtés de l’Entente. Après quatre mois de combats acharnés et à
la suite de plusieurs revers subis par les troupes roumaines, l’armée allemande
occupe Bucarest, le 6 décembre de la même année. L’armée, le gouvernement et
l’administration de la Roumanie se retirent alors dans la province de Moldavie,
pour continuer le combat. Une retraite plutôt chaotique, menée tambour battant,
sous la pression du front. C’est lors de cette retraite qu’aura lieu le plus
tragique accident ferroviaire roumain de tous les temps, et l’un des plus
tragiques de l’histoire des chemins de fer. Cela aura lieu dans la nuit de la Saint-Sylvestre
1917. C’est alors que plus de mille personnes perdront la vie, lorsqu’un train
militaire, composé de 26 voitures bondées, qui se dirigeait vers Iaşi, va
dérailler et entrera en collision avec des wagons-citernes à l’arrêt, près de
la gare de Ciurea, une commune située à 120 kilomètres de la destination finale.


L’historien Dorin Stănescu, spécialiste de l’histoire
ferroviaire, a étudié de près le contexte et les causes du grand accident
ferroviaire de 1916. Selon lui, le réseau ferroviaire de la province de
Moldavie comptait à l’époque 1330 km de voie ferrée, qui ont vu défiler plus de
25.000 wagons, tirés pas mille locomotives, soit l’entièreté du parc
ferroviaire roumain, en l’espace des quelques semaines qu’a duré la retraite de
l’armée et de l’administration du pays. L’engorgement des lignes ne fait aucun
doute, et n’étonnera personne. « Dans le contexte de la retraite, la rame de train surchargée
part le 30 décembre 1916 de la ville de Galaţi, déjà pilonnée par l’artillerie
allemande, pour tenter de rejoindre Iaşi, capitale de la province de Moldavie.
Le train quitte donc Galaţi avec déjà un retard de plusieurs heures sur le
programme prévu. Et bien qu’il s’agisse d’un convoi militaire, le train
embarque de nombreux civiles, qui tentaient pour leur part de se mettre à
l’abri, face à l’avancée du front. S’y ajoute la présence d’un grand nombre de
soldats qui, auparavant en permission, tentaient de rejoindre leurs unités situées
au front, et la présence d’un certain nombre de militaires russes. Parmi les
passagers les plus connus, notons la présence Emil Costinescu, ancien ministre
de Finances, de George Vâlsan, célèbre géographe roumain, mais aussi d’Yvonne
Blondel, la fille de l’ancien ambassadeur de France en poste à Bucarest. »



Et, selon l’adage, quand on a mal commencé, on va mal finir. Dorin
Stănescu raconte: « Tout au long du voyage, d’autres wagons se verront
progressivement rajoutés à la rame initiale. Des wagons pris d’assaut par des
gens qui voulaient échapper à tout prix à l’occupation allemande et qui sont
montés jusque sur les toits des wagons. D’une station à l’autre, le train
devient de plus en plus long et surchargé. J’avais fait le calcul, en prenant
appui sur la capacité des voitures de l’époque, sur leurs dimensions, pour estimer
le nombre de passagers. Et, selon mes calculs, il est probable que ce convoi
eut acheminé environ 5.000 personnes, alors qu’il n’aurait pas dû avoir plus de
mille places. C’est que les gens étaient pris de panique, ils voulaient
échapper à tout prix à l’emprise allemande. »


Mais le 31 décembre 1916, le voyage des militaires et des
réfugiés va tourner court, alors qu’ils étaient tout près de leur destination, et
cela de la plus tragique façon qu’il soit. « Le 31 décembre, le convoi
arrive dans la gare de Bârlad, où il s’arrête pour passer la nuit du 30 au 31. De là jusqu’à Iaşi,
il lui restait à parcourir 120 Km. Le 31 décembre, vers minuit, il arrive, en
dévalant la pente, à la gare de Ciurea, où il ne devait pas s’arrêter. L’hiver était
rude, il avait neigé abondamment. Lorsque le convoi commence à dévaler la pente
vers Ciurea, les mécaniciens tentent de freiner. Mais, ce qu’il faut savoir,
c’est que les freins devaient être actionnés manuellement à l’époque, dans
chaque wagon. L’agglomération excessive a sans doute empêché les mécaniciens de
traverser le train en longueur et d’agir rapidement, pour que le long et lourd
convoi puisse freiner suffisamment avant d’arriver à l’aiguillage situé à
proximité de la gare de Ciurea. Et c’est là que le déraillement s’est produit. »,
ajoute Dorin Stănescu.


A la gare de Ciurea, toutes les lignes de garage étaient
bondées de wagons-citernes et de voitures de passagers. Lorsque le convoi militaire
déraille, il se plante dans un de ces wagons-citernes et une explosion terrible
s’ensuit. Même l’entrepôt de munitions, situé près de la gare, en est affecté.
Des témoins parleront d’un petit tremblement de terre provoqué par l’explosion,
tellement elle fut violente. Des victimes sont projetées en l’air par le
souffle, d’autres seront écrasées dans les wagons fracassés ou brûlées vives.


Les suites de l’accident ont été tout aussi terribles, précise Dorin
Stănescu : « Nombre de victimes ou leurs
descendants ont tenté d’agir en justice contre la compagnie des chemins de fer
et l’Armée, pour se voir dédommager. Le procès a cependant beaucoup traîné,
pour que, à la fin, la justice apprécie que l’endroit où avait eu lieu
l’accident se trouvait alors sous juridiction militaire, qu’il y avait l’état
de guerre, et que les pertes en vies humaines devaient dès lors être
comptabilisées comme des pertes au combat. Comme souvent, là encore, c’est la
victime qui a tort. En effet, la commission d’enquête, diligentée pour
l’occasion, avait émis ses conclusions, en rejetant la faute de l’accident sur
les passagers, présents en surnombre, et qui auraient empêché de ce fait
l’action des conducteurs. Un accident présentant des similitudes avait
d’ailleurs eu lieu à la même époque en France, en Savoie, le 12 décembre 1917,
lorsqu’un train, lui aussi bondé, rempli de militaires en permission, avait
déraillé dans des conditions similaires, dans une zone collinaire, faisant 400
victimes. Là aussi, les autorités françaises s’étaient dédouanées. Une tragédie
de plus dans une guerre meurtrière, à quoi bon chercher un autre bouc
émissaire. »



L’accident tragique de Ciurea de la nuit de la Saint
Sylvestre 1917 avait tellement frappé les esprits des contemporains par sa
violence insoupçonnée et son ampleur. Mais ce n’était au fond
que la guerre, avec sa longue litanie de tragédies et d’accidents hors du
commun. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

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