L’abolition du servage des Roms de Roumanie
Les serfs roms ont constitué une présence constante dans l'histoire des principautés danubiennes jusqu'au milieu du 19e siècle.
Steliu Lambru, 11.03.2024, 13:45
Le mouvement abolitionniste voit le jour au début du 19e sicèle
Les serfs roms ont constitué une présence constante dans l’histoire des principautés danubiennes jusqu’au milieu du 19e siècle. Ce n’est qu’au début de ce siècle que le mouvement abolitionniste voit le jour, grâce à l’influence des idées importées d’Occident par la jeunesse progressiste, issue des classes aisées, partie étudier dans les grandes capitales occidentales.
Définitions
Viorel Achim est l’un des grands spécialistes de l’histoire des roms dans l’espace roumain. Il débute toujours ses interventions en précisant les termes utilisés.
« Ce que nous appelons servage c’est de l’esclavage pur et simple. L’essence de cet état de servage ou d’esclavage constitue l’absence du droit de propriété sur sa propre personne. Ces gens appartenaient à autrui. Ce qui constitue le propre de l’état de l’esclavage. »
Les roms, une présence constante dans l’histoire roumaine
La présence des serfs ou esclaves roms dans l’espace roumain est documentée dès le 14e siècle en Valachie et en Moldavie. Estimés à environ 7% de la population, leur rôle dans l’économie s’avérait moins significatif qu’il n’allait l’être dans la société américaine par exemple. Mais leur présence constitue une constante dans l’histoire de ces deux principautés jusqu’au milieu du 19e siècle.
Viorel Achim : « L’esclavage des roms est attesté dès la création des Etats médiévaux de Valachie et de Moldavie. Les premiers esclaves mentionnés dans les documents d’époque étaient des Tatars. Et cette structure sociale s’est pérennisé jusqu’à l’époque moderne. Ce n’est qu’avec la génération de la révolution de 1848, celle qui allait réaliser par la suite l’union des deux principautés danubiennes et qui allait projeter la Roumanie dans la modernité, que l’esclavage fut aboli. Cette génération s’est refusée de faire perdurer l’esclavage au sein du nouvel Etat roumain, issu de l’union des deux principautés. Elle s’est refusée de faire perdurer cette honte, d’entacher de la sorte la nouvelle Roumanie. Mais l’abolition de l’esclavage ne s’est pas fait du jour au lendemain. Ce fut un processus de longue haleine, appelant à un effort politique et administratif conséquent. Enfin, le 20 février 1856, les derniers vestiges de l’esclavage ont été abolis. »
« La réforme »
La libération des serfs, que les documents d’époque avait appelé la « réforme », avait mené à la libération de quelques 250.000 esclaves roms, devenus libres du jour au lendemain.
Viorel Achim : « Les roms ont pour ainsi dire monopolisé l’institution du servage, car à partir d’un certain moment, l’immense majorité de cette ethnie, de cette catégorie juridique, s’est retrouvée en servage. C’était ce que l’on appelait les tsiganes. Mais il s’agit d’une catégorie plutôt, car au sein de cette catégorie l’on retrouve aussi des gens d’origine roumaine et de diverses autres ethnies, dont le nombre était assez important à certaines époques. »
Le statut des serfs
Mais que recouvrait le statut de serf et comment tombaient-ils en servage ?
Viorel Achim : « L’esclavage était héréditaire dans l’espace roumain. Dans certaines régions du monde, dans certaines époques, l’esclavage n’était pas héréditaire. Dans l’empire ottoman par exemple, la loi musulmane imposait à ce qu’un esclave soit libéré, émancipé, après 7 années de service. Et cette loi était observée. Mais dans l’espace roumain, le statut de serf était héréditaire. Il y avait des hommes libres qui tombaient en servitude, des hommes de différentes ethnies, de différentes origines. Une fois tombés en servitude, ils devenaient automatiquement des tsiganes. Il y avait encore le cas des roms nomades, qui possédaient des documents de voyage d’un autre Etat. Pourtant, lorsqu’ils franchissaient la frontière des principautés roumaines, ils devenaient d’emblée, par la loi, des serfs de l’Etat. »
La libération des serfs a été un processus long et laborieux, qui a rencontré des oppositions tenaces. Les historiens ont pu compter 6 lois qui visent la libération des roms et pas moins de 100 actes normatifs. La modification partielle du statut de servage démarre en 1817, en Moldavie, par le code Calimach. Le serf allait dorénavant bénéficier d’un statut juridique et des droits rattaché à son statut d’être humain dans ses relations avec les tiers, à l’exclusion de son maître. Il était donc protégé par la loi, mais sans que cette loi s’immisce dans les rapports qu’il avait avec son maître. Mais il pouvait faire appel à la justice dans ses rapports avec les autres, il pouvait nouer des contrats, prêter serment, détenir des propriétés.
Un code ambigu
Des situations saugrenues sont apparues à la suite de ce code, telle celle de voir un serf devenir propriétaire d’autres serfs.
Viorel Achim : « L’Etat a finalement décidé d’intervenir dans les rapports entre l’esclave et son maître. Chose inconcevable pendant des siècles. L’Etat a réglementé le travail des serfs détenus par les monastères, encore une chose inconcevable pour beaucoup. L’Etat a limité les droits des propriétaires de muter leurs serfs là et quand bon leur semblait. Il s’agissait d’une intervention massive censée réglementer les droits de serfs et limiter les droits des maîtres de disposer librement de leurs serfs ».
Enfin, le 20 février 1856, l’histoire de l’esclavage touchait à sa fin. Le servage était aboli et cette réminiscence des rapports sociaux d’un autre âge était dorénavant mise hors la loi. (Trad. Ionut Jugureanu)