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La traversée de la Roumanie par l’Armée rouge

L’histoire récente constitue sans doute une très bonne occasion de nous rappeler l’une des pages les plus noires de l’histoire roumaine du 20e siècle. La Roumanie entrait dans la Deuxième Guerre mondiale au mois de juin 1941, aux côtés de l’Allemagne nazie, dans le but déclaré de récupérer les provinces arrachées par l’Union soviétique une année auparavant. Après trois années de batailles aux fortunes diverses, le 23 août 1944, la Roumanie dénonce son alliance avec l’Allemagne, pour rejoindre le camp allié. Les troupes soviétiques déferlent alors sur le pays, au grand dam des habitants qui craignaient déjà les exactions dont l’Armée rouge s’était rendue célèbre. Et leurs craintes furent rapidement confirmées dans les faits. Depuis les vols et les destructions gratuites jusqu’aux crimes, en passant par des enlèvements et des viols, rien ne leur a été épargné.

La traversée de la Roumanie par l’Armée rouge
La traversée de la Roumanie par l’Armée rouge

, 21.03.2022, 13:53

Des témoignages oraux et écrits nous donnent un aperçu assez exact de l’étendue de la tragédie que nombre de civils et de militaires roumains ont dû vivre au milieu des années 40 du siècle dernier. Dans un enregistrement conservé dans les archives de la Radiodiffusion roumaine, le jeune officier de 1944 Dan Lucinescu, devenu plus tard écrivain, se souvenait, en 2000, de sa première rencontre avec un représentant de la célèbre Armée rouge. Ecoutons-le : « À un certain moment, j’avais croisé un militaire soviétique. Sans crier gare, il sort son revolver et me met en joue. J’essaye de lui faire comprendre que je ne comprenais absolument pas ce qu’il me voulait. Avec force gestes, il me reprochait de ne l’avoir pas salué en premier. J’essaye de lui expliquer que j’étais élève officier, alors qu’il n’était que sous-officier, et que la règle militaire voulait que ce soit lui qui salue le premier. Il se fâche, il exige que je recule de trois pas et que je le salue. J’étais outré, mais bon, vous savez, lorsque l’on vous menace avec une arme, on s’exécute en général. Un coup serait vite parti dans ces conditions-là ».

Mais un tel épisode aurait l’air dérisoire, sinon risible, eu égard les autres exactions auxquelles l’élève officier d’alors sera témoin, peu de jours après, en plein centre de Bucarest. Dan Lucinescu : « Vous savez, je vois une jeune fille, élève de lycée, elle avait son cartable, elle passait tout simplement dans la rue. Et il y avait plein de camions remplis de soldats soviétiques. Et d’un coup, j’en vois un qui l’attrape, la pousse dans le camion et ils s’en vont. La fille criait forcément. Personne n’était intervenu. Les militaires soviétiques étaient en nombre et tous armés jusqu’aux dents. Cela se passait ainsi en plein jour, au milieu de la foule ».

Le colonel Gheorghe Lăcătușu avait fait la deuxième partie de la guerre aux côtés des Soviétiques, contre les Allemands. En 2002, il témoignait de son expérience au sujet de ses interactions avec les soldats de l’Armée rouge. Ecoutons-le :« Les Soviétiques confisquaient tout, de force. Les trains, les moyens de transport, ils raflaient tout. Qu’ils aient appartenus à l’armée allemande, à des sociétés de transport, aux particuliers, cela n’avait aucune espèce d’importance. Même les chevaux que l’armée roumaine utilisait devaient avoir marqué sur le sabot leur série, sinon ils risquaient de se faire prendre d’autorité par les Soviétiques. Ils prétendaient qu’on les avait récupérés des Allemands, qu’il s’agissait donc d’un butin de guerre qui leur revenait. C’étaient de vrais rapaces. »

Le colonel de gendarmes Ion Banu déplorait encore en 1995 le vol de sa montre, arrachée par un militaire soviétique à Bucarest, en pleine rue, pas loin du siège actuel de la Radio roumaine. Et c’est toujours au même endroit qu’il vit le cadavre d’un militaire roumain tué par les Soviétiques : « Vous savez, lorsqu’ils sont rentrés victorieux d’Allemagne, ils avaient l’air d’un sapin de Noël. Chacun avait deux, trois montres à chaque poignet. J’en avais vu un qui avait même une montre accrochée autour du cou. C’était fou. Mais alors j’étais dans un bureau de tabac, en train d’écrire une carte postale que je comptais envoyer à mes parents. J’avais une belle montre au poignet, reçue en cadeau. Et lorsque je tends la carte à la vendeuse, un cosaque qui passait dans la rue avait sans doute remarqué la montre. Il descend, il m’approche, et sans autre forme de procès il me fait signe : « davaï, davaï ! ».Je lui dis, « c’est ma montre ». J’étais armé moi aussi. Mais lui, il avait un fusil automatique, et sans tarder il me l’arrache d’un coup. J’avais laissé faire, je n’avais pas trop le choix. Ils ne discutaient pas, vous savez. J’avais assisté à tant d’exactions et de violences. Rue Cobălcescu, ça me fait encore mal de me rappeler, j’avais vu un colonel roumain tué en pleine rue. Sa femme était à côté. C’était une période terrible. Rien ne les arrêtait. Ils pouvaient enlever des femmes dans la rue, ils tuaient le gars, si elle était accompagnée, et ils la prenaient de force. C’était horrible. »

L’enseignant Vasile Gotea du village de Șieuț, dans le département de Bistrița-Năsăud, ancien officier lui aussi, avait frôler la mort en essayant, plus d’une fois, de leur faire barrage.« Je l’avais échappé belle à trois reprises. C’étaient des troupes désorganisées, des troupes venues du front qui avaient percé les lignes et commençaient à se répandre dans les villages. Les soldats rentraient dans les maisons, chez les gens, pour s’emparer de leurs biens. Et à côté de ma maison, chez un voisin, ils étaient tombés sur un tonneau rempli de vin. Mais c’était du vin jeune, pas encore prêt. Ils m’ont vu et se sont mis à me menacer avec leurs armes pour que je leur procure du vin. Moi, je n’en avais pas. Une autre fois, ils sont rentrés dans la cour de l’école, ont pointé leurs armes vers moi, m’ont mis derrière un mur, les bras levés, ils m’ont pris la montre et ils m’ont fait les poches. Ils ont pris tout ce que j’avais sur moi. Une autre fois, au milieu du village, je vois des Russes, des femmes, des militaires qui venaient d’arrêter un paysan en train d’aller au champ avec sa charrette. Elles l’avaient menacé avec leurs armes et sont montées dans sa charrette. J’avais essayé de protester, parce qu’elles voulaient voler la charrette du gars pour les amener là où elles avaient à faire. Et puis je vois qu’elles me prennent en joue. Je me suis tu, j’ai laissé faire. Finalement, il vaut mieux se départir d’une charrette que de la vie ».

Une chose est sûre : le transit des troupes soviétique sur le territoire de la Roumanie au milieu des années 40, alors même qu’elles étaient présentées comme alliées, avait laissé un traumatisme durable dans toute la société roumaine. Et des rancœurs tenaces. (Trad. Ionut Jugureanu)

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