La soviétisation et l’épuration de l’armée roumaine
La soviétisation a été le processus par lequel les institutions de l’Etat et finalement toute la société roumaine ont été structurées selon le modèle soviétique. Cette transformation s’est opérée graduellement, mais à un rythme accéléré. En 1948, l’Etat, déjà soviétisé, a entamé le processus de soviétisation de la société, beaucoup plus long mais plus facile à gérer. Cela a débuté en Roumanie avec l’installation au pouvoir du gouvernement de Petru Groza, la première institution soumise à la soviétisation ayant été l’armée. Prétextant la « défascisation » de celle-ci, la Commission Alliée de Contrôle, encadrée par les Soviétiques, a imposé l’élimination de dizaines de milliers de cadres militaires considérées comme des sympathisants des Allemands. « Epuration » fut le terme utilisé, pour induire un sentiment de culpabilité chez les personnes écartées et faire passer cette démarche pour un acte de justice rendue par le gouvernement.
Steliu Lambru, 25.01.2016, 14:08
La soviétisation a été le processus par lequel les institutions de l’Etat et finalement toute la société roumaine ont été structurées selon le modèle soviétique. Cette transformation s’est opérée graduellement, mais à un rythme accéléré. En 1948, l’Etat, déjà soviétisé, a entamé le processus de soviétisation de la société, beaucoup plus long mais plus facile à gérer. Cela a débuté en Roumanie avec l’installation au pouvoir du gouvernement de Petru Groza, la première institution soumise à la soviétisation ayant été l’armée. Prétextant la « défascisation » de celle-ci, la Commission Alliée de Contrôle, encadrée par les Soviétiques, a imposé l’élimination de dizaines de milliers de cadres militaires considérées comme des sympathisants des Allemands. « Epuration » fut le terme utilisé, pour induire un sentiment de culpabilité chez les personnes écartées et faire passer cette démarche pour un acte de justice rendue par le gouvernement.
Mircea Carp a compté parmi les personnes obligées à quitter l’Armée royale roumaine. Il avait lutté sur le front en Union Soviétique, il avait été blessé et décoré pour sa bravoure. Dans une interview accordée en 1997 pour le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion Roumaine, Mircea Carp se rappelle la situation où il se trouvait quand l’ordre d’épuration était tombé : « Jusqu’au 9 août 1946, j’ai fait encore partie des cadres de l’armée roumaine, j’étais sous-lieutenant. J’avais fait la guerre – celle de l’Est et celle de l’Ouest – j’avais été blessé et décoré, et je faisais honnêtement mon travail au centre d’instruction de la cavalerie de Sibiu. Dans les rangs de l’armée, le moral était au plus bas, notamment chez les officiers et les sous-officiers, car une loi dite « des cadres disponibles » avait déjà été adoptée, une année auparavant. Cette loi prévoyait l’écartement d’un grand nombre d’officiers et de sous-officiers, mais personne ne savait quand ni comment cela allait se passer. Nous étions tous sûrs que les critères allaient être avant tout politiques et que tous les officiers et même les sous-officiers qui ne se montraient pas favorables au nouveau régime procommuniste seraient obligées à quitter l’armée. »
Selon le modèle stalinien des grandes épurations des années ’30, les meilleurs officiers roumains ont été écartés de l’armée. Dès lors, la « défascisation » a signifié le début de la soviétisation.
Mircea Carp : « Le 9 août 1946 sont publiées les listes contenant les noms de 9 mille officiers actifs, déclarés « cadres disponibles ». Je me rappelle qu’au moment où la loi a été appliquée, je me trouvais en montagne avec des unités du centre d’instruction de la cavalerie de Sibiu et avec un régiment d’artillerie de la ville, pour éteindre des incendies de forêt. Le lendemain de notre retour à Sibiu, l’ordonnance est venue m’apporter le journal – je crois que ça s’appelait, à l’époque, « Glasul Armatei » (La Voix de l’Armée). Tous les noms y figuraient et parmi eux j’ai retrouvé le mien. Une première épuration, qui a permis d’écarter un nombre important d’officiers roumains, mais surtout des généraux et des colonels, avait déjà eu lieu en 1945. A la suite d’un ordre de ladite Commission alliée de contrôle, en réalité- la Commission soviétique de contrôle – le général Susaïkov a imposé au Ministère de la Défense d’écarter de l’armée quelque 200 généraux et colonels roumains, sous prétexte qu’ils nourrissaient des sympathies envers l’Allemagne. Pourtant, il s’agissait tout simplement de membres de l’armée ayant servi sur le front de l’Est et que l’armée a voulu garder jusqu’à la fin de la guerre pour profiter de leur expérience militaire sur le front de l’Ouest aussi. »
La Roumanie entrait dans une nouvelle ère et du coup, des dizaines de milliers d’officiers et de sous-officiers se voyaient obliger à vivre une vie de marginalisés.
Mircea Carp: « Aux termes de cette nouvelle loi, 9000 officiers et 5000 sous-officiers actifs ont fini par être épurés pour des raisons politiques. Si en 1945 l’armée écartait de ses rangs les militaires soupçonnés de nourrir une attitude antisoviétique, une année plus tard, en 1946 donc, elle décide de chasser tous ceux qui semblaient avoir du mal à accepter le nouveau régime. Bref soit avec nous, soit contre nous. Une année durant, on a continué à rester à la disposition du gouvernement pour que l’armée se serve de nous, en cas de besoin, tout en bénéficiant des mêmes soldes et privilèges que les officiers actifs. Sauf qu’on s’est vu définitivement interdire l’accès dans les unités militaires. C’est ce qui m’est arrivé à moi le jour du 9 août quand je suis arrivé le matin à ma caserne de Sibiu. Le lendemain, accompagné par d’autres officiers mis à la disposition du gouvernement, je me suis présenté devant le commandant de l’unité qui nous a informés que l’armée ne voulait plus de nous. La séparation fut dure et la décision avait mis à mal nos camarades que l’armée avait décidé de garder, bien qu’ils aient partagé nos opinions. Pourtant, eux aussi, ils ont fini par rejoindre la réserve militaire. »
La soviétisation de l’armée roumaine, suite à l’élimination de ses rangs des meilleurs officiers et sous-officiers, s’inscrivait dans la politique, inspirée par Moscou, de construire une société « meilleure ». Une société où l’armée agit notamment contre tous ceux qui osaient dire non. (Trad. Dominique, Ioana Stancescu)