La social-démocratie dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres
Les passions politiques qui animaient les Roumains dans les années 20 et 30 du siècle dernier semblent aujourd’hui bien ternes. Et, en effet, ils semblaient pouvoir faire l’impasse sans trop de mal sur leurs options politiques divergentes, sur leur appartenance à des classes sociales bien différentes, enfin sur leur appartenance ethnique. Lhistoire de la social-démocratie roumaine commence dès la fin du 19e siècle, officiellement en 1893, avec la création du Parti social-démocrate des ouvriers de Roumanie. Cependant, les principes socialistes avaient déjà commencé à se frayer au compte-gouttes un chemin dans l’esprit des Roumains dès 1870. En 1910, le Parti social-démocrate est fondé sur les ruines de lancien Parti social-démocrate des ouvriers, pour qu’en 1918 il change de nom pour devenir le Parti socialiste, au prix de l’apparition de toute une série de dissidences. Enfin, en 1927, les différentes sensibilités de gauche forment le Parti social-démocrate, qui survivra sur la scène politique roumaine jusqu’en 1946-1947, lorsque les communistes feront main basse sur les derniers représentants d’une gauche politique roumaine véritable.
Steliu Lambru, 28.10.2019, 14:53
Les passions politiques qui animaient les Roumains dans les années 20 et 30 du siècle dernier semblent aujourd’hui bien ternes. Et, en effet, ils semblaient pouvoir faire l’impasse sans trop de mal sur leurs options politiques divergentes, sur leur appartenance à des classes sociales bien différentes, enfin sur leur appartenance ethnique. Lhistoire de la social-démocratie roumaine commence dès la fin du 19e siècle, officiellement en 1893, avec la création du Parti social-démocrate des ouvriers de Roumanie. Cependant, les principes socialistes avaient déjà commencé à se frayer au compte-gouttes un chemin dans l’esprit des Roumains dès 1870. En 1910, le Parti social-démocrate est fondé sur les ruines de lancien Parti social-démocrate des ouvriers, pour qu’en 1918 il change de nom pour devenir le Parti socialiste, au prix de l’apparition de toute une série de dissidences. Enfin, en 1927, les différentes sensibilités de gauche forment le Parti social-démocrate, qui survivra sur la scène politique roumaine jusqu’en 1946-1947, lorsque les communistes feront main basse sur les derniers représentants d’une gauche politique roumaine véritable.
Dans la Roumanie de lentre-deux-guerres, les militants sociaux-démocrates venaient de différents horizons. Mira Moscovici, une des filles du leader social-démocrate Ilie Moscovici, racontait en 1994 au Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine ce que voulait dire social-démocrate roumain dans l’entre-deux-guerres. Ecoutons-la :
«Lancien mouvement social-démocrate attirait surtout les idéalistes. L’adhésion au parti ne pouvait offrir aucun bénéfice, ce n’était pas une rampe de lancement pour les arrivistes. L’on prétendait que la social-démocratie avaiteu un écho surtout parmi les jeunes étudiants. La plupart se retrouvaient en conflit avec leurs parents, avec la société et, avant quils ne débutent une vraie carrière, ils étaient souvent attirés par les idéaux romantiques du socialisme. Parfois, cet intérêt de première jeunesse pour la social-démocratie leur passait avec le temps. Alors, soit ils changeaient de camp, soit ils abandonnaient le militantisme, pour se consacrer à leur profession. Et, souvent, ces anciens étudiants de gauche devenaient des professionnels de haut vol dans leurs domaines d’élection. Beaucoup d’écrivains et dartistes de l’époque ont d’ailleurs été résolument socialistes pendant leur jeunesse. Et parmi ceux qui adhéraient au mouvement politique il y avait une vraie solidarité, car les risques associés à l’adhésion à un tel mouvement ne manquaient pas. »
Parmi les grands noms de la social-démocratie roumaine de l’entre-deux-guerres, notons Ion Flueraş, Iosif Jumanca, Constantin Titel Petrescu, Ilie Moscovici et Serban Voinea, des intellectuels et des activistes sociaux de premier plan. Mira Moscovici se rappelle l’amitié qu’unissait ses parents à l’un des leaders du mouvement, Ion Flueraş, alors député social-démocrate au parlement de Bucarest :
«Flueraş a été lun des dirigeants du mouvement syndical et social-démocrate en Transylvanie. Lorsqu’ila été élu député, ils ont envisagé de déménager à Bucarest. Ils avaient une fille, qui avait le même âge que ma sœur, et ils ont voulu l’inscrire dans une école de Bucarest dès la rentrée, pour quil ne déménage qu’ensuite avec son épouse. Mais cette affaire de déménagement leur a pris plus dun an et demi et, entre temps, leur fille était logée chez nous. Ensuite, on a été voisins. Pendant la guerre, à cause des lois raciales, des lois anti juives, on nous a confisqué le poste téléphonique. Toutefois,pendant ce temps, nous utilisions le poste de Flueraş. Enfin, nous avons été évacués de notre maison, mais nous avons pu déposer nos affaires chez les Flueraş. Une véritable amitié nous liait à cette famille ».
Ce qui demeure remarquable, c’est que les relations tissées entre ces gens ont pu dépasser leurs éventuelles divergences politiques. Mira Moscovici se rappelle les amitiés de son père, des amitiés qui n’ont pas été mises à mal par ses origines ethniques, tant décriées à l’époque. Ecoutons-la :
« Je voudrais souligner la puissance de ces liens interpersonnels. En 1920, lorsque mon père a été arrêté après la grève générale, le procureur général était un capitaine, Vasile Chiru. Et ils sont devenus amis. Alors, lorsqu’il devait aller en interrogatoire au siège du Parquet, Chiru prévenait ma mère qui, elle, venait avec ma sœur, pour pouvoir le rencontrer en cachette. Le pauvre colonel Chiru, ce brave gars, il était devenu colonel entre temps, mais il a souffert des conséquences fâcheuses,parce qu’il avait eu ce rôle dans cette enquête sur la grève générale,et lorsque les communistes sont arrivés au pouvoir, après 1945, ils l’ont arrêté et jeté en prison. Mais, lui, c’était un brave type, il a même fait une déposition en faveur de mon père lors d’un procès que l’on avait instruit contre lui pendant la guerre. Parce qu’ils étaient restés de bons amis, et il avait témoigné en faveur de mon père au sujet de la situation de son service militaire et de son service au front, pendant la Première Guerre mondiale ».
La persécution des militants sociaux-démocrates juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale a été des plus sévères. Malgré tout, même à l’époque, certains caractères ont fait la différence et ont pu sauver des vies. Ecoutons encore les souvenirs de Mira Moscovici :
« Ces relations d’amitié ont survécu pendant les heures sombres des persécutions légionnaires, puis pendant le régime fasciste instauré par Ion Antonescu. Il y a eu des voisins qui voulaient profiter des lois raciales pour nous faire évacuer et emménager dans notre maison, à notre place. Et, dans ce contexte mouvementé, je me rappelle le prêtre Bedreag, qui officiait à l’église Iancu Nou Balaneanu, et qui nous a abrités chez lui pendant les jours noirs de la rébellion légionnaire, lors du pogrom de Bucarest. Même si ce n’était pas nécessaire, car il y avait tout le temps des Roumains, des amis politiques de mon père, qui logeaient chez nous en permanence, pour nous protéger. J’ai même rencontré des gens qui appartenaient au mouvement légionnaire, au mouvement fasciste roumain, même parmi ses leaders, tel Radu Mironovici, et qui, malgré tout, ont été corrects avec nous, ils nous ont même aidés. »
La social-démocratie roumaine a été un chapitre important des réalités sociales et politiques d’une Roumanie d’avant le communisme. Son ambition d’une société solidaire, son désir d’un meilleur avenir pour tous a modelé des générations, devenues plus sensibles aux valeurs du bien collectif. Traversant les aléas de l’histoire, sa mémoire, parfois mitigée, ne se laisse pas toujours aisément dévoiler.
(Trad. Ionut Jugureanu)