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La Sécuritate et le KGB en divorce

La Securitate, la police politique du régime communiste roumain, a été créée à l’image du NKVD stalinien de l’époque et elle est demeurée sous la tutelle étroite de cette dernière institution jusqu’à la fin des années 1950. Mais dès le début des années 1960, la nouvelle politique d’indépendance de la Roumanie à l’égard de l’URSS démarrée par Gheorghe Gheorghiu-Dej signe aussi le divorce entre les polices politiques des régimes pourtant frères de Bucarest et de Moscou.  

La Sécuritate et le KGB en divorce
La Sécuritate et le KGB en divorce

, 28.10.2024, 12:30

 

Le général Neagu Cosma, ancien chef de la direction de contrespionnage de la Securitate, racontait dans une interview de 2002, conservé par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, le contexte de la rupture consommée entre la Securitate et le NKVD, ce dernier devenu entre-temps le KGB. Ecoutons-le :

« Tant que les Soviétiques étaient là, avec leurs conseillers, avec leurs agents aux manettes aussi bien au niveau politique qu’au niveau des services secrets, les choses étaient claires. Les décisions se prenaient au Kremlin. L’on exécutait les ordres, comme lors des arrestations en masse. Le rôle du conseiller soviétique, un officier du KGB, était d’indiquer au commandant roumain la conduite à tenir, les mesures à prendre.  Il y avait des conseillers soviétiques en poste auprès des ministres, auprès des commandants. Lorsqu’un ministre ou un commandant devait prendre une décision, le conseiller soviétique était consulté. Il donnait son avis. L’on pouvait l’appliquer ou non. Mais c’était son rôle. Mais cela était vrai en théorie. Dans la pratique, les conseillers soviétiques se mêlaient de tout. Ils dirigeaient tout, jusqu’aux réseaux d’espionnage. »

Suffoqué par l’omniprésence des conseillers soviétiques, les dirigeants roumains essayeront de trouver la parade.  Neagu Cosma :

« A un certain moment, le ministre de l’Intérieur, Drăghici, excédé, nous fait réunir et nous ordonne : « Camarades, occupez-les ! Ils aiment aller à la pêche, ils aiment se promener, faire des randonnées, ils aiment peut-être les femmes et la vodka. Offrez-leur ce qu’ils aiment, éloignez-les, faites en sorte à ce qu’ils ne soient pas tout le temps sur notre dos ». A l’époque, c’était juste après le soulèvement hongrois de 1956, on avait 6 conseillers soviétiques dans notre direction. Ils étaient tout le temps là, récoltaient des informations, mais ne jouaient pas un rôle bien défini.  Ils étaient devenus vraiment agressifs, intrusifs. Selon la convention entre les deux gouvernements ils auraient dû fournir un seul conseiller, en poste auprès du commandant. En revanche, là, ils étaient à 6. Venus épauler soi-disant le conseiller officiel. Ils voulaient en fait tout contrôler, c’était la seule et véritable raison de leur présence chez nous. »

Au début des années 1960 pourtant, le premier-secrétaire du Parti communiste roumain, Gheorghiu-Dej, amorce un éloignement contrôlé par rapport au centre de pouvoir situé au Kremlin. Néanmoins, pour y parvenir il fallait tout d’abord neutraliser le réseau de contrôle soviétique qui agissait en Roumanie et dont les conseillers constituaient le fer de lance. Et dans ce contexte, c’est au Centre de documentation de la Securitate, petite structure discrète de 5, 6 officiers et coordonnée par Neagu Cosma, auquel revient la périlleuse mission de neutraliser le réseau soviétique infiltré à tous les niveaux de pouvoir à Bucarest. Neagu Cosma :

« On commence par rédiger un tableau reprenant les membres de leur réseau. Des noms et quelques adnotations. Il s’agissait de la liste des premiers agents venus en 1944 avec les chars soviétiques, ceux qui avaient été racolés par les Soviétiques parmi les prisonniers de guerre roumains. Puis les agents que les Soviétiques avaient fait parachuter derrière les lignes pendant la guerre. Cette première liste fut présentée au patron du parti, Gheorghiu-Dej ». 

La stratégie qui s’en est suivie fut aussi simple qu’efficace. Les espions roumains racolés par les Soviétiques ont été contacté discrètement par les officiers de Neagu Cosma. On les informa que les services roumains connaissaient leur activité mais que l’on n’allait pas prendre des mesures à leur encontre à condition qu’ils cessent toute action hostile aux intérêts de leur pays. Faute de quoi ils risquaient de se voir inculper de haute trahison. La plupart ont accepté le marchandage. Neagu Cosma :

« Dans la première phase il s’est agi d’une liste de 180 espions répandus dans tout le pays. D’autres noms y figuraient encore, mais on n’était pas certain. Des Roumains partis étudier à Moscou et qui s’étaient mariés à des femmes russes. Il y avait des indices qui nous laissaient supposer qu’ils auraient pu être racolés par les services soviétiques, mais l’on n’était pas sûr. Mais ces femmes russes, on les soupçonnait fortement. On les a mises sous écoute. Ce qui n’était pas une mince affaire, car toutes étaient mariées à des militaires qui détenaient de hautes fonctions dans l’armée et dans les services secrets, mais aussi à des pontes du parti. Pourtant, progressivement, tous ces gens ont été éloignés des poses à responsabilités. Qu’on ait pu ou non établir une quelconque accointance avec le KGB. »    

Malgré tout, si la Securitate est parvenue à échapper progressivement au contrôle instauré par le KGB sur ses agents et sur ses structures, elle n’en est pas moins demeurée l’institution crainte et honnie par l’ensemble des Roumains, et ce jusqu’à la chute du régime communiste, fin 1989. (Trad. Ionut Jugureanu)

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