La section roumaine de Radio Prague
Et c'est en 2000 que Gerhard Bart, l'ancien chef du service roumain de Radio Prague, racontait son expérience à la tête du service pragois pour le Centre d'histoire orale de la Radiodiffusion roumaine
Steliu Lambru, 30.10.2023, 12:25
La radio avait révolutionné la communication du 20e
siècle. Elle abolissait les frontières, rapprochait les gens, réduisait les
distances. L’écho laissé par des événements lointains traversait d’un coup le
globe entier. Aussi, les émissions en langue roumaine que les différentes radios
étrangères commençaient à proposer facilitaient aux Roumains la connaissance d’autres
réalités, d’autres sociétés, d’autres points de vue. Ce fut ainsi de Radio
Prague, dont les premières émissions en langues étrangères voient le jour dès
1927. Et la langue roumaine ne pouvait demeurer longtemps ignorée par les
rédacteurs pragois. En effet, la longue histoire commune, partagée sous la
couronne des Habsbourg par les Tchécoslovaques d’une part, par les Roumains de
Banat, de Transylvanie, de Maramures et de la Bucovine de l’autre, ne pouvait laisser
Radio Prague indifférente du sort de ces derniers. Longtemps partenaires du
même combat pour une autonomie grandissante au sein de l’empire d’Autriche-Hongrie,
ces deux Etats, issus du Traité de Trianon de 1920, la Tchécoslovaquie
indépendante et la Grande Roumanie, devenaient des alliés naturels pour
contenir les visées révisionnistes, allemandes et magyares notamment, formalisant
leur communauté d’intérêts jusqu’à constituer la Petite Entente au début des
années 20. Après la Seconde Guerre mondiale, les deux Etats, tombés dans l’escarcelle
soviétique, vont renouer leurs liens radiophoniques sous un autre jour. C’est
ainsi que la Radiodiffusion tchécoslovaque redémarrera ses émissions en langue
roumaine le 1er octobre 1946. Ce soir-là, à 19H00, et pour une demi-heure
seulement, le roumain résonnera dans les studios de Radio Prague, sis à 12 rue Vinohradska,
dans la capitale tchécoslovaque.
Et c’est en 2000 que Gerhard
Bart, l’ancien chef du service roumain de Radio Prague, racontait son
expérience à la tête du service pragois pour le Centre d’histoire orale de la
Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-le :
« La grille de nos
émissions en langue roumaine comprenait un quart d’heure de nouvelles, suivies
de diverses émissions. Après la guerre, il y avait beaucoup d’échanges, de
délégations commerciales, culturelles, des missions organisées entre la
Roumanie et la Tchécoslovaquie. L’on essayait d’enregistrer des interviews, de relater
les résultats de ces entrevues. Il nous fallait mettre en exergue l’amitié, l’unité
de vues que nos deux peuples partageaient. »
La rédaction de la radio
tchécoslovaque en langue roumaine était loin d’être pléthorique. Elle comptait
en tout et pour tout deux rédacteurs/traducteurs, soient Gerhard
Bart et sa collègue, une dame plus âgée, née en Roumanie. Gerhard Bart :
« On était deux. Ma
collègue, Elena Ofciacikova, était née en Roumanie. Son père avait été diplomate
en poste à Bucarest, et ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’elle avait rejoint
la Tchécoslovaquie avec sa famille. Elle avait forcément une excellente
maîtrise du roumain, et c’est à deux qu’on s’organisait pour cette diffusion
radio quotidienne d’une demi-heure en langue roumaine. Les nouvelles, on les
recevait en tchèque, et il fallait bien-sûr les traduire en roumain. C’est
toujours nous qui devions nous acquitter de cette tâche. Mais l’on s’appuyait
également sur bon nombre d’étudiants roumains, bénévoles, qui étudiaient ici, à
Prague, et qui pouvaient nous épauler de temps à autre, soit pour enregistrer
une interview, voire pour lire les nouvelles sur les ondes, surtout lorsque l’un
de nous deux était absent pour cause de maladie. »
Selon Gerhard Bart, la Radiodiffusion tchécoslovaque n’avait
pas encore subi les affres de la mainmise du régime communiste dans les années
1946-48. Les choses prendront cependant un tournant dramatique après 1948. Gerhard
Bart :
« Avant le coup de
Prague, le coup d’état perpétré par les communistes le 25 février 1948, nous jouissions
d’une assez grande liberté d’expression. L’on ne faisait pas de politique sur nos
ondes. Après cela, les choses ont changé. Il fallait construire le socialisme,
montrer la supériorité de cette société que l’on était en train de construire.
La Tchécoslovaquie devenait une république de démocratie populaire, tout comme était
devenue la Roumanie après l’abdication forcée du roi Michel, le 30 décembre
1947. On était devenu des pays frères et, évidemment, nos émissions devaient refléter
les nouvelles réalités politiques et idéologiques de nos pays ».
A partir de
1949, les transmissions quotidiennes en langue roumaine de Radio Prague étaient
ramenées à un quart d’heure, avant qu’elles ne passent à la trappe, pour des
raisons politiques. Gerhard Bart :
« La fin des
émissions en langue roumaine a une raison simple. La Roumanie était devenue une
démocratie populaire, elle avait embrassé la voie de la construction du
socialisme, on n’avait plus besoin de l’en convaincre. La décision politique portant
sur la fin des transmissions vers les autres pays du bloc communiste, la
Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, nous avait été communiqué au
mois de juin 1949. Les efforts de notre propagande allaient dorénavant viser en
priorité les pays occidentaux, le temps d’antenne des émissions destinées à la France,
à l’Angleterre et, surtout, aux Etats-Unis, allait être décuplé ».
Voilà
comment la Radiodiffusion tchécoslovaque, mue par les priorités idéologiques et
de propagande du régime soviétique mit de manière prématurée un terme à l’aventure
de la section roumaine de Radio Prague. Mais l’amitié réelle qu’unissait les
deux peuples, roumain et tchécoslovaque, allait se poursuivre tout au long de
leur histoire, et les moments charnières de cette histoire commune, tel le
printemps de Prague de 1968 ou la chute des régimes communistes en Europe de l’Est
de 1989, n’ont fait que la renforcer. (Trad. Ionut Jugureanu)