La roumanisation de la Roumanie
La Roumanie n’a pas été une exception à la règle de l’Etat-nation, caractérisé notamment par cette tendance à l’assimilation et à l’homogénéisation. Le processus par le biais duquel un Etat devenait national, c’est-à-dire homogène du point de vue ethnique, a pris le nom de la nation majoritaire. En Roumanie on parle donc de « roumanisation ». L’historien Lucian Boia est le plus controversé de la Roumanie contemporaine puisqu’il s’est attaqué à tous les clichés et préjugés de l’histoire nationale de la Roumanie. Dans son volume le plus récent « La roumanisation de la Roumanie », l’auteur parle du mécanisme par le biais duquel la Roumanie est devenue plus homogène du point de vue ethnique. Ses propos ont déjà suscité de nombreuses controverses.
Steliu Lambru, 01.06.2015, 14:33
La Roumanie n’a pas été une exception à la règle de l’Etat-nation, caractérisé notamment par cette tendance à l’assimilation et à l’homogénéisation. Le processus par le biais duquel un Etat devenait national, c’est-à-dire homogène du point de vue ethnique, a pris le nom de la nation majoritaire. En Roumanie on parle donc de « roumanisation ». L’historien Lucian Boia est le plus controversé de la Roumanie contemporaine puisqu’il s’est attaqué à tous les clichés et préjugés de l’histoire nationale de la Roumanie. Dans son volume le plus récent « La roumanisation de la Roumanie », l’auteur parle du mécanisme par le biais duquel la Roumanie est devenue plus homogène du point de vue ethnique. Ses propos ont déjà suscité de nombreuses controverses.
Lucian Boia évoque les éléments constitutifs et la définition de la nation : « Si l’on se rapporte au 19e siècle, il y a, généralement parlant, deux types de nation, d’idéologie nationale : le type français et le type allemand. La nation française, inaugurée par la Révolution française, est une nation politique, on appartient au corps politique de la nation, l’origine, la langue etc. ne comptent pas. La nation allemande est d’ordre ethnique. On est Allemand parce que l’on est né Allemand. Donc, on naît Allemand et on devient Français. Les Roumains ont choisi, eux, la variante allemande de la nation. Il est évident que pour un très grand nombre de Roumains, la nation est un concept fondé sur l’ethnicité. Comment être Roumain si l’on est Allemand ? Comment expliquer à une grande partie des Roumains qu’un Allemand peut être Roumain ? Ils ont leur logique. Pourtant, cette conception de la nation commence à perdre du terrain. C’est que la tendance générale, dans le monde civilisé, favorise le type français, le type politique : nous sommes Roumains quelle que soit notre origine. »
Que signifie la roumanisation de la Roumanie ? Lucian Boia compare ce processus à ce qui s’est passé dans d’autres pays : « Je me suis rapporté au processus de roumanisation, mais de quelle façon ? Je l’ai déjà dit dans d’autres livres. Il ne faut pas s’imaginer qu’un tel phénomène a eu lieu uniquement en Roumanie. Je ne veux absolument pas critiquer ce qui s’est passé en Roumanie – ni louer cet état de choses non plus. Je constate, tout simplement, que les choses se sont passées d’une façon ou d’une autre, avec une intensité ou une autre, avec un effet ou un autre… Pourtant, ce genre de choses sont arrivées dans la quasi-totalité des Etats-nations. Comprenez-moi bien ! Nous ne devons pas être hypocrites et croire que l’Etat-nation défend les minorités ethniques. Certes, on peut trouver un point d’équilibre pour ce qui est du traitement appliqué aux minorités. Pourtant, il est évident qu’en principe, l’Etat national n’est pas favorable aux minorités. L’objectif de l’Etat-nation est justement de consolider la nation respective, de rassembler les gens autour d’une certaine culture nationale, y compris autour d’une langue. Et le meilleur exemple en est la très démocratique France. Les Français ont tout simplement éradiqué leurs minorités. Ils ne l’ont pas fait par le génocide, ni de manière brutale, pourtant, ce fut l’anéantissement parfait. Même ceux qui ont pratiqué le génocide n’ont pas réussi à mener cette tâche comme les Français l’ont fait. Jusqu’au seuil de la Révolution française, la plupart des habitants de la France ne parlaient pas le français. Par un caractère très centralisé de l’Etat, par l’administration, l’école et l’armée, la France s’est francisée. »
Selon Lucian Boia, la nationalisation des Etats-nations d’Europe centrale et orientale a été un processus beaucoup plus compliqué et souvent plus violent : «En Europe centrale et orientale, les choses se sont passées d’une tout autre manière, compte tenu de la perméabilité de cette zone, des migrations qui ont continué jusqu’à une époque tardive, des empires qui ont divisé la région, avec tout le va-et-vient ethnique. Au moment où les Etats-nations se sont constitués, des majorités et des frontières se sont créés, pourtant, ces frontières ont englobé aussi des minorités ethniques et religieuses. Il a été impossible de tracer des frontières idéales, susceptibles de contenter tout le monde. Le résultat a dépassé ce qui a été réalisé en Roumanie. La Roumanie compte encore des minorités, pourtant, il y a des pays comme la Pologne, qui, pendant l’entre-deux-guerres, enregistrait plus de minorités que la Roumanie. Ce qui s’est passé, on le sait déjà : l’extermination des Juifs – dont les Polonais ne sont nullement responsables, ensuite ils ont perdu les territoires de l’est et ont reçu des territoires allemands dans l’ouest. Les territoires allemands ont été évacués. Actuellement, en Pologne, le nombre de minorités est nettement inférieur à celui de Roumanie. En République Tchèque, ce fut pareil. Pendant l’entre-deux-guerres, un tiers de la population de ce pays était allemande. »
Lucian Boia s’attarde également sur l’évolution des rapports entre les Roumains et les autres ethnies, qui ont mené à la formation de la nation politique roumaine : « On a là une zone frontalière, disons, où les Roumains sont entrés en contact avec un grand nombre d’ethnies, de cultures, cette zone est une sorte de creuset ethnique et culturel d’une richesse extraordinaire. C’est d’ailleurs ce qui a fait la richesse de l’histoire roumaine, une richesse que les historiens roumains ont préféré éviter. Lorsqu’ils ont écrit l’histoire des Roumains, ils ont adopté une attitude concessive vis-à-vis des minorités. Les ethnies ont des traits culturels et religieux distincts, qui ont souvent joué un rôle très important. Ion Luca Caragiale est un exemple célèbre : ce grand dramaturge n’avait pas une goutte de sang roumain dans ses veines. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas Roumain. Ce qui nous ramène, une fois de plus, à la définition du Roumain, au problème de la nation. C’est quoi, finalement, être Roumain ? Cette question est d’ordre culturel et non pas biologique. Du point de vue culturel, Caragiale est Roumain, du point de vue biologique, il ne l’est pas. »
De nos jours, la Roumanie est « plus roumaine », du point de vue ethnique qu’elle ne l’était il y a 70 ans. Pourtant, ceux qui ont choisi d’être Roumains n’ont pas été moins Roumains que les autres.