La Roumanie, 30 ans après la chute du communisme
L’effondrement des régimes communistes en 1989 a ouvert un nouvel espace de liberté et de nouvelles opportunités à l’Europe centrale et de l’Est, et donc à la Roumanie. 30 années sont passées depuis, l’intervalle d’une génération, et il est sans doute grand temps de dresser un premier bilan. Où se retrouve donc la Roumanie d’aujourd’hui par rapport à celle de 1989 ?
Steliu Lambru, 06.01.2020, 13:39
Les historiens et les spécialistes en sciences humaines n’ont de cesse de rappeler le sentiment de nostalgie que domine une bonne partie de la population roumaine, à l’instar de celle des autres pays de l’ancien bloc communiste européen. En effet, dans tous les pays de la région, une bonne partie de la population garde un sentiment mitigé, parfois ému, de l’époque communiste. Mais la nostalgie, qui donne des couleurs au passé, tout en adoucissant les traits des vicissitudes dépassées et en chargeant le présent de tous les maux, est commune à la psychologie humaine. Les Roumains n’en font pas exception, et les plus âgés en sont particulièrement réceptifs. En dépit de ce sentiment répandu, il n’en est pas moins vrai que la Roumanie a subi une transformation radicale pendant ces 30 dernières années. Pour mieux appréhender la nature de ces changements, nous avons approché l’historien Dragoș Petrescu, professeur à la faculté de Sciences politiques et administratives de l’Université de Bucarest : « Du point de vue du Roumain moyen, nous avons sans doute beaucoup avancé ces trente dernières années. Ma génération ne pouvait même pas concevoir de voyager librement en Occident. Cela en va tout différemment pour les générations post 1989. A l’heure actuelle, la Roumanie fait partie de l’UE et de l’OTAN. L’économie de marché a peut-être des syncopes, mais elle est fonctionnelle. L’on peut se targuer d’un secteur privé dynamique, d’investissements étrangers solides. Beaucoup d’éléments nous indiquent que la Roumanie se trouve sur la bonne voie. »
La nostalgie pour le passé trouve souvent ses racines dans l’impuissance de la société actuelle de répondre aux attentes de ses membres. Des clichés, des automatismes forment ce que l’on appelle la culture politique et dont on a du mal à se débarrasser selon Dragoș Petrescu : « Il existe encore beaucoup d’éléments qui ne tiennent qu’à nous, à notre culture politique. Il faudrait pouvoir rendre effectives les valeurs démocratiques, prendre notre destinée en main, devenir conscients qu’il faut agir de notre propre chef, sans toujours attendre aide et conseil de l’extérieur, et cela en commençant à nous préoccuper de notre sécurité nationale. Par exemple, le fait que la Roumanie n’est pas encore capable à défendre son espace aérien par ses propres capacités, c’est mauvais signe. La corruption politique, la sous-traitance de la décision politique au plus offrant nous ont mené ici. Cet état des choses n’est pas le résultat de la politique menée par le régime Ceausescu, c’est le résultat des choix politiques plus récents, le fait des politiciens que les Roumains ont parfois mandatés à la légère pour défendre leurs intérêts nationaux. Il faut élire en connaissance de cause, pour éviter de le regretter plus tard. »
Mais quelle serait donc la part de l’héritage communiste dans les frustrations actuelles ? Dragoș Petrescu penche pour une responsabilité partagée entre, d’une part, l’héritage communiste et, d’autre part, la société roumaine, telle qu’elle était déjà bien avant l’époque communiste. Ecoutons-le : « Il ne s’agit pas juste de l’héritage communiste. C’est un héritage plus ancien encore, celui d’un pays qui avait un certain retard dans son développement. Vous savez, il existe cet axe géographique du développement du continent européen, et dont faisait déjà état le célèbre sociologue allemand Max Weber, un axe qui part du Sud-Est du continent pour remonter vers le Nord-Ouest, les pays à dominante protestante. Nous, les Roumains, nous nous retrouvons ici, dans le Sud-Est du continent, dans cette éthique orthodoxe, où les choses ont l’air plus compliqué qu’ailleurs, où les gens attendent plus volontiers à recevoir de l’aumône plutôt que de vouloir apprendre à travailler plus efficacement et à vivre mieux. Il s’agit de toutes sortes d’éléments qui relèvent de ce qu’est une périphérie, et qui génèrent un état de sous-développement par rapport au centre. »
Mais à l’instar de toute autre société, celle roumaine doit pouvoir miser sur son avenir. Dragoș Petrescu mise sur les générations futures, celles qui, selon lui, deviendront le moteur du changement, en remplissant en cela leur rôle, tout autant que les générations qui les ont précédées : « Il existe des signes d’optimisme. Prenez cette diaspora transnationale qui part travailler en Occident, et qui intègre de ce fait la culture politique des pays hôtes, une culture politique plus mature. Et puis, ces gens rentrent en Roumanie, et leurs exigences sont différentes. Il y a ce slogan qui dit « Nous voulons un pays comme ailleurs ». Cet ailleurs, c’est les démocraties consolidées, et cette exigence, ce dynamisme qu’expriment les jeunes générations au contact de l’Occident me rend optimiste. »
30 années après le changement de régime qui a eu lieu fin décembre 1989, la Roumanie peut se targuer d’être un pays stable, et pour lequel la liberté demeure une valeur essentielle. C’est, au fond, l’essentiel. (Trad. Ionuţ Jugureanu)