La révolution roumaine vue par les jeunes générations
Depuis 35 ans, le mois de décembre est synonyme pour les Roumains de liberté. Car c’est bien au mois de décembre 1989 que, après 45 années de règne sans partage, la dictature communiste, dirigée à l’époque par Nicolae Ceausescu, a été renversée. Mais ce retour à la normalité démocratique ne s’est pas accompli sans sacrifices. Le sang de milliers de jeunes gens qui sortirent dans la rue pour clamer leur désir de liberté coula.
Steliu Lambru, 30.12.2024, 14:12
Les nouvelles générations nées après 1989 conçoivent aujourd’hui avec peine non seulement ce qu’était le quotidien de la société roumaine d’avant 1989, mais encore le terrible courage et l’énorme sacrifice dont ont été capables certains de leurs aînés descendus dans la rue en ce décembre-là pour affronter les mains nues la terrible violence du régime qui tardait à reconnaître sa faillite, et sa défaite. Mais ce qui est plus terrible encore est que cette méconnaissance de notre histoire récente nous rend vulnérables face au chant des sirènes des idéologies extrémistes qui ont fait le malheur de nos parents et de nos grands-parents.
L’historienne et écrivaine Alina Pavelescu, auteure de « La révolution de 1989 racontée à ceux qui ne l’ont pas vécue » nous parle des leçons que ce moment unique de notre histoire récente semble vouloir léguer aux générations futures. Ecoutons-la :
« Ce que l’on doit faire de premier abord c’est de tenter de comprendre ces 35 dernières années qui se sont écoulées depuis le mois de décembre 1989. Nous ne sommes pas parvenus à faire cet exercice jusqu’à maintenant. Mais il faudrait s’y mettre. Ce que je peux faire c’est raconter tout simplement mon histoire, témoigner, raconter mon vécu d’un moment qui m’émeut encore autant 35 années plus tard. Je ne suis pas la seule pour laquelle ce moment est demeuré à jamais gravé dans ma mémoire. Tous ceux qui ont pris part à ce mouvement sont saisis par la même émotion lorsque l’on aborde le sujet. Certains prétendent que c’est peut-être cette émotion qui nous empêche de saisir et d’analyser les choses à froid. Quoi qu’il en soit, je ne puis que rendre mon témoignage, raconter mon vécu, en espérant que cela puisse servir à ceux qui nous suivent. Pour qu’ils comprennent c’est qu’a été la révolution de 1989 et en quoi ce fut un moment charnière de notre société tout entière. »
Aussi, le témoignage vécu raconté dans son livre, Alina Pavelescu l’adresse surtout aux générations nées après 1989 :
« Je me suis proposé de stimuler la pensée critique du lecteur. Car je me rends compte combien nous sommes confrontés en permanence à des interprétations concurrentes d’un même événement, d’une expérience historique. Et combien utile est de développer un appareil critique personnel, de mettre en doute ce que l’on entend, ce que l’on lit. Aussi, je me suis évertué de présenter d’emblée l’ensemble des hypothèses, les interprétations divergentes suscitées par la révolution de 1989. D’arguer et d’analyser avec minutie chaque hypothèse. Sur un seul élément je fus néanmoins intraitable. Cet élément concerne la nature même du changement opéré en 1989. Car pour moi il n’y a aucun doute : ce fut bien une révolution, un changement radical de paradigme, qui changea nos vies à tous. C’est bien cette liberté recouverte alors que nos vies sont différentes de ce qu’elles auraient été autrement. Une liberté dont l’on n’a peut-être pas reçu le mode d’emploi. Mais qu’importe. Cette liberté est toujours là, on est parvenu à la conserver 35 années plus tard, et cela n’a été possible que grâce au sacrifice de ces femmes et de ses hommes qui sont descendus dans la rue les mains nues face aux fusils pour clamer leur volonté d’en finir avec la dictature. »
En faisant bon usage de l’habilité stylistique de l’écrivain et de la compétence de l’historien, Alina Pavelescu raconte l’année 1989 mélangeant le récit historique, les souvenirs personnels et l’analyse factuelle :
« L’historien doit livrer autant que possible un récit cohérent et véridique. Il n’est pas un donneur de leçons. Tout au plus, il lui est permis de tirer des leçons personnelles de son vécu. Mais je crains que dans l’Est de l’Europe, en Roumanie donc également, l’historiographie est instrumentalisée par le politique et constitue trop souvent le terrain privilégié des luttes politiques et identitaires. Alors, il vaut mieux reconnaître ce contexte qui est le nôtre, et ne pas prétendre qu’on agisse dans une sorte de neutralité scientifique idéale. Et il faut que l’on puisse faire de notre mieux à partir de là, en intégrant notre subjectivité, issue de notre vécu, tout en montrant que l’on fait appel à elle. Ne pas éluder la question, ne pas faire semblant de ne pas avoir de parti-pris. Mais il faut aussi tenter d’éviter de transformer l’histoire en un simple instrument d’une quelconque idéologie, d’un courent de pensée, d’un intérêt politique partisan. »
Une chose est certaine : l’année 1989 constitua le moment de grâce qui mit fin aux 45 années de cauchemar communiste. (Trad Ionut Jugureanu)