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La révolution roumaine de 1989 et ses zones d’ombre

Le mouvement populaire portait, à l’occasion, le coup de grâce à la dictature communiste, instaurée partiellement avec l’installation du premier gouvernement à dominante communiste, le 6 mars 1945, et définitivement à partir du 30 décembre 1947, jour de l’abdication forcée du roi Michel. Pourtant, très vite, aux moments de liesse populaire, le doute s’installe. Des frustrations accumulées, des destinées brutalement interrompues, de nombreuses questions sans réponse donneront naissance à une véritable mythologie et nourriront les fantasmes entourant le moment d’élan magique de la révolution, qui s’achèvera par la chute du communisme et l’instauration, dans la douleur, de la démocratie roumaine actuelle.

La révolution roumaine de 1989 et ses zones d’ombre
La révolution roumaine de 1989 et ses zones d’ombre

, 23.12.2019, 13:06

Le mouvement populaire portait, à l’occasion, le coup de grâce à la dictature communiste, instaurée partiellement avec l’installation du premier gouvernement à dominante communiste, le 6 mars 1945, et définitivement à partir du 30 décembre 1947, jour de l’abdication forcée du roi Michel. Pourtant, très vite, aux moments de liesse populaire, le doute s’installe. Des frustrations accumulées, des destinées brutalement interrompues, de nombreuses questions sans réponse donneront naissance à une véritable mythologie et nourriront les fantasmes entourant le moment d’élan magique de la révolution, qui s’achèvera par la chute du communisme et l’instauration, dans la douleur, de la démocratie roumaine actuelle.

Et le plus tenace des mythes de cette révolution roumaine demeure sans doute celui d’un mouvement populaire confisqué au profit d’une nomenklatura communiste réformiste, dirigée par Ion Iliescu. Activiste de premier plan et chouchou du couple Ceauşescu au début des années 70, Ion Iliescu deviendra le premier président post communiste, de la Roumanie, après avoir été écarté du premier cercle du pouvoir communiste dans les années 80, et considéré par la suite comme un des seuls opposants internes au pouvoir discrétionnaire de Nicolae Ceausescu au sein du parti communiste. Son apparition, quelque peu inattendue, au premier plan de la vie politique post révolutionnaire, entouré par d’autres comparses, vieux compagnons de route eux aussi du régime communiste, sentait le roussi.

Dragoș Petrescu, professeur à la faculté des Sciences politiques et administratives de l’Université de Bucarest et auteur de nombreuses recherches au sujet des révolutions de 1989 qui ont changé le visage du monde, nous parle du mythe de la révolution confisquée : « Je pense que le soupçon d’une révolution confisquée a été véhiculé très vite après le 22 décembre 1989, date de la chute de la dictature communiste en Roumanie. C’était assez logique, voyant apparaître au premier plan des noms connus de la nomenklatura communiste qui avaient été écartés du premier cercle du pouvoir par Ceauşescu et son clan. Des gens qui faisaient partie du pouvoir communiste et qui ne faisaient que remplacer les proches de Ceausescu, ceux directement coupables de la crise qui a secoué le régime dans les années 80 : crise économique, nationalisme déchaîné, assimilation forcée des minorités, image désastreuse de la Roumanie à l’étranger. »

Le mythe de la révolution confisqué a la dent dure dans l’opinion publique, et Dragoș Petrescu pense que ce même mythe nous empêche au fond de réaliser une analyse objective des changements profonds subis par la société roumaine ces 30 dernières années : « En partant de l’idée que Ion Iliescu et ses comparses sont montés au créneau pour mettre un coup d’arrêt à la révolution roumaine, nous risquons au fond de saper la crédibilité de l’un des moments de grâce de l’histoire roumaine du 20e siècle. Car la révolution de 1989 est un moment qui devrait nous rendre très fiers de ce que l’on est et de ce que l’on avait réussi à accomplir. En effet, en réduisant un vaste mouvement populaire de 1989 à un simple coup d’Etat, à un coup de palais, le risque serait d’amoindrir la portée et l’importance du moment. Par ailleurs, ce serait inexact, car bon nombre de moments de cette révolution ne peuvent être réduits à un simple coup d’Etat. Iliescu n’a pu d’ailleurs avoir aucun rôle dans la répression brutale du mouvement révolutionnaire à Timisoara, ni infléchir la décision de Ceauşescu d’organiser ce grand rassemblement populaire, le 21 décembre, à Bucarest. Ce meeting qui était censé remettre en selle Ceausescu et reconfirmer son emprise sur la société roumaine, et qui s’est avéré être l’élément déclencheur de la révolution de Bucarest, celui-là même qui accula Ceauşescu au pied du mur le lendemain. Dans le déroulement de ces événements, Iliescu et ses comparses n’ont pu tenir aucun rôle. »

Mais comment expliquer le mythe du coup d’Etat, et surtout sa belle carrière dans le mental collectif roumain, allant de pair avec le mythe de la révolution confisquée ? Dragoș Petrescu répond : « Pour comprendre cela, il faut comprendre la manière dont les gens fonctionnent. L’on a souvent observé que la lecture d’un événement historique change avec le temps. La frustration liée au rythme trop lent des réformes, le fait que la Roumanie a eu besoin de plusieurs années pour se tourner résolument vers l’Europe, ces éléments ultérieurs font que les gens arrivent à nier la portée, la signification même de l’événement fondateur de ces changements, qui est la révolution. La lenteur de la démocratisation de la vie politique et du rythme des changements, la présence dans les cercles raréfiés du pouvoir post communiste d’anciens apparatchiks communiste, tout cela fait douter de la portée de la révolution de 1989. Mais, force est de constater que ce changement n’est pas moins réel, profond et radical, et cela en dépit de la lenteur apparente du processus de changement. La révolution de 1989 a été une révolution véritable, déterminant un changement total de régime. Il s’agit d’une révolution authentique, et les tragédies de ses 1100 victimes et de ses 3300 blessés sont là pour en témoigner. »

Enfin, n’oublions pas le mythe des terroristes. Ces terroristes qui ont semé la mort après le départ de Ceauşescu du pouvoir. Lancé par Ion Iliescu après sa prise des rênes du pouvoir, ce mythe semble avoir servi les desseins du nouveau pouvoir, et peu sont les Roumains qui lui font encore crédit, affirme Dragoș Petrescu : « L’affaire des terroristes est en lien direct avec les près de 900 victimes, tombées après la chute effective du régime de Ceauşescu. 900 morts tragiques et inutiles, provoquées par l’énorme diversion et la confusion qui régnaient alors dans les rangs de l’armée et du pouvoir nouvellement installé. Mais, selon moi, il s’était agi d’une confusion sciemment entretenue par les proches du nouveau pouvoir installé après le 22 décembre 89, pour qu’il puisse se consolider. La terreur semée par les crimes commis par ce que l’on appelle les terroristes a eu comme effet de mettre un coup d’arrêt net à l’élan révolutionnaire de la population, qui risquait de vouloir exiger la punition immédiate de tous les coupables du régime communiste, des agents de la Securitate, cette police politique tant honnie, mais aussi des membres de la nomenklatura, ce qui aurait mis en danger les nouveaux maîtres du pouvoir installé après la chute de Ceauşescu. Le fait que Ion Iliescu a lancé lui-même le mythe des terroristes ne fait qu’étayer cette supposition. »

Heureusement, si les mythes ont la dent dure, la réalité du changement de régime, subi par la société roumaine à partir de la révolution de 1989, ne peut être mis en doute, et encore moins sous-estimée. (Trad. Ionut Jugureanu)

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