La Révolution roumaine 29 après
A Timișoara, Bucarest, Iași, Cluj, Brașov, Sibiu et dans
d’autres villes, les Roumains descendaient dans la rue pour récupérer leur
liberté et leurs droits. Ce fut le moment cardinal de la génération qui
clôturait un siècle de souffrance, de terreur et de crimes de masse. Ceux qui
ont participé aux mouvements de masse de l’année charnière 1989 ont demandé le
droit à une vie décente.
Steliu Lambru, 31.12.2018, 11:38
A Timișoara, Bucarest, Iași, Cluj, Brașov, Sibiu et dans
d’autres villes, les Roumains descendaient dans la rue pour récupérer leur
liberté et leurs droits. Ce fut le moment cardinal de la génération qui
clôturait un siècle de souffrance, de terreur et de crimes de masse. Ceux qui
ont participé aux mouvements de masse de l’année charnière 1989 ont demandé le
droit à une vie décente.
Pendant les derniers jours de 1989, les
gens ont pris part, avec enthousiasme, à la naissance d’une nouvelle Roumanie.
La poétesse Ana Blandiana a été un des premiers intellectuels à s’être
exprimés, à l’antenne de Radio Roumanie, le 22 décembre de cette année-là, le
jour où le dictateur Nicolae Ceaușescu a pris la fuite à bord de l’hélicoptère
venu le chercher sur le toit du siège du Comité central du Parti communiste
roumain (PCR). « Mes amis, je suis venue à la Radio
depuis la Place du Palais, où j’avais à mes côtés des dizaines de milliers de
gens, qui n’arrivaient pas à croire que ce qu’il s’y passe est pour de vrai. Il
m’est très difficile de croire qu’après tant d’années d’humiliations, nous,
nous seuls, par notre seule force intérieure, à laquelle nous ne croyions plus,
nous avons été capables de faire ça, sans aucun arrangement politique, sans un
soutien venu d’ailleurs, d’autres plus grands et plus forts que nous. Les morts
de Timişoara et les morts de Bucarest ont fait renaître notre confiance en
nous-mêmes et la force d’être nous-mêmes. », s’exclamait-elle avec enthousiasme.
Avec ses quelque 1.200 morts, la
Révolution roumaine a été le passage le plus sanglant du totalitarisme à la
démocratie à avoir eu lieu en 1989. L’historien Ioan Scurtu, ancien directeur
de l’Institut de la Révolution, a répondu à la question « Pourquoi, au
PCR, il n’y avait pas eu de réformateur qui soit en mesure d’obtenir
l’évincement de Ceauşescu et d’assurer un changement pacifique du régime? »: « Ceauşescu a nommé des gens
sans colonne vertébrale, qui lui étaient dévoués. J’ai lu, par exemple, les
mémoires de Dumitru Popescu, un des membres du Comité politique exécutif du CC
du PCR, où il racontait que seul Nicolae Ceauşescu parlait aux réunions de cet
organe de direction du parti, tous les autres ne faisaient que l’écouter. Du
coup, Dumitru Popescu en sortait avec des maux de tête et pour se détendre, il
rentrait chez lui, dans le quartier Primăverii, à pied. De toute évidence, il
ne pensait pas qu’au fond, la position officielle qu’il occupait impliquait
aussi une responsabilité. Si Ceauşescu était le seul à prendre la parole,
tandis que les autres ne faisaient qu’écouter et prendre des notes, c’était
aussi parce que les autres avaient accepté une telle situation humiliante, à
mon avis. Le moment le plus incroyable a été celui où Ceauşescu, furieux
d’apprendre qu’il n’y avait pas eu de mesures sévères contre les manifestants
de Timişoara, s’était exclamé : « Je ne peux plus travailler avec ce Comité
politique exécutif, choisissez un autre Secrétaire général ! ». Alors
les autres avaient commencé à l’implorer: « ne nous abandonnez pas, nous vous
prions, nous vous sommes fidèles, nous restons à vos côtés, nous resterons avec
vous aux commandes ». Même à la dernière minute, aucun n’avait eu le
courage de lui dire : « nous prenons acte de votre démission, nous
mettons en place une direction collective, nous annonçons au peuple révolté que
Nicolae Ceauşescu a démissionné. Peut-être que les choses auraient évolué
différemment, sans le bain de sang que l’on connait. L’opportunisme de ces
gens-là a joué un rôle très important dans le déroulement de ces événements
dramatiques. »
Le procès d’Elena et de Nicolae Ceauşescu, du 25 décembre
1989, a été un des épisodes les plus chargés de la Révolution. Les deux tyrans
qui avaient obligé la Roumanie, pendant près de 25 ans, à vivre dans le froid
et à connaître la faim, avaient reçu des peines méritées. Cependant, peu de
temps après, des regrets se sont fait entendre au sujet de leur sort et même
leur procès, qui a fait justice, a commencé à être contesté. Le politologue
Ioan Stanomir, de la Faculté de sciences politiques de l’Université de
Bucarest, considère que de nombreuses personnes se rapportent superficiellement
à cette époque, particulièrement dure, de leur vie et dont le souvenir est
devenu conciliant, après la disparition du mal: «C’est l’acte à travers lequel nous réussissons à nous détacher
du communisme. Cette exécution prouve la profonde continuité qui existe entre
le régime communiste et le régime Iliescu. Ion Iliescu incarne la tentative des
Roumains de se détacher sans le faire. C’est une tentative typique des sociétés
post-communistes de garder une innocence qu’elles ont perdue. Tous ceux qui ont
traversé le communisme ne sont plus innocents. Soit ils ont été victimes ou
bourreaux, soit ils ont fait partie de la masse grise de ceux qui ont vécu
« sous le poids des temps ». Les régimes totalitaires volent
l’innocence des gens. Et, dans mon opinion, c’est ça la principale modalité de
comprendre le rapport très compliqué des peuples de l’Est de l’Europe et de
ceux de l’Union soviétique avec le communisme. Le communisme est une chemise de
Nessus, qui colle au corps, qu’elle brûle quand on souhaite l’enlever. »
Malgré
les près de trois décennies passées depuis, la Révolution roumaine de décembre
1989 est une présence forte dans la mémoire de la génération qui l’a portée
parce qu’elle continue à avoir des effets sur le présent. Et ce sera
probablement ainsi, jusqu’à ce que les générations qui ne l’ont pas vécue la
commémorent autrement. (Trad.: Ileana Ţăroi)