La révolution de 1989 et la renaissance de la démocratie roumaine
La révolution du mois de décembre 1989 restera sans doute le
moment le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle roumain. Inscrite
dans le mouvement plus ample du délitement des régimes communistes d’Europe
centrale et orientale, la révolte, partie de Timisoara, gagnera rapidement
Bucarest, avant d’embraser tout le pays. Les énergies sociales libérées à cette
époque transformeront radicalement la Roumanie et l’Europe dans son ensemble.
Steliu Lambru, 27.12.2021, 08:36
La révolution du mois de décembre 1989 restera sans doute le
moment le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle roumain. Inscrite
dans le mouvement plus ample du délitement des régimes communistes d’Europe
centrale et orientale, la révolte, partie de Timisoara, gagnera rapidement
Bucarest, avant d’embraser tout le pays. Les énergies sociales libérées à cette
époque transformeront radicalement la Roumanie et l’Europe dans son ensemble.
Le régime
communiste, instauré dans toute l’Europe de l’Est à la fin de la 2e
Guerre mondiale à la faveur de l’occupation de la région par l’Armée rouge, a fait
main basse sur la Roumanie en à peu près 3 ans. D’ailleurs, avant la fin de
l’année 1948, l’Albanie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie, la
Pologne et la Roumanie se trouvaient embarquées sur le même bateau, dirigées
par des gouvernements communistes, sous contrôle soviétique. Les historiens
s’accordent pour conclure que la seconde Guerre mondiale a représenté une
chance inespérée pour l’URSS, devenue alors une superpuissance, et cela en
dépit des politiques économiques désastreuses qu’elle avait menées à partir de
1918. En l’absence de cette guerre, il est probable que l’URSS aurait été
forcée de réformer son système dès la mort de Staline, en 1953. Mais l’histoire
contrefactuelle demeure une action risquée, sujette à caution. Ce qu’il en reste
c’est le souvenir d’un régime totalitaire et répressif, qui a jeté aux
oubliettes les droits et les libertés fondamentales. Néanmoins, pour beaucoup,
le régime du totalitarisme communiste n’était que la suite logique des régimes
totalitaires fascistes qui avaient dominé l’Europe durant la guerre. Ainsi, la
fin de la conflagration n’a pas pour autant signifié la fin de la tyrannie et
de l’oppression pour près de la moitié du continent.
Pour ce qui est de la Roumanie, le régime de Nicolae
Ceaușescu, hissé à la tête de l’Etat en 1965, avait mené à bout les capacités
de résistance des 22 millions de Roumains que le pays comptait en 1989. A la
crise de régime qui caractérisait le système communiste finissant s’étaient rajoutées
les lubies d’un dictateur pas comme les autres. En effet, Nicolae Ceausescu
s’étaient fait fort de rembourser la dette qu’il avait contractée dans les
années 70 pour industrialiser le pays. Entre temps, deux crises pétrolières
étaient passées par là, et la dégradation du niveau de vie des Roumains s’était
accélérée à la fin des années 80. Et c’est bien dans ce climat délétère
qu’allaient exploser la révolte populaire contre le régime de Nicolae Ceausescu
en particulier, contre le régime communiste au sens large. Dès le 16 décembre
1989 l’on voit des habitants de Timișoara descendre dans la rue, pour
manifester leur solidarité à M. Tökes, un pasteur réformé appartenant à la
minorité hongroise de Transylvanie, que le régime s’entêtait de faire muter de
son poste et de déloger de sa ville. Progressivement, les manifestants sont
devenus plus nombreux, et leurs revendications ont commencé à ratisser large.
Face à cette situation, les forces de répression n’ont rien trouvé de mieux que
d’ouvrir le feu sur la foule, faisant plusieurs centaines de victimes.
Ensanglantée, Timisoara est coupée du reste du pays, mais les manifestants
occupent la ville.
Le 21 décembre, c’est à Bucarest que les choses se gâtent
pour de bon pour le régime. Nicolae Ceaușescu organise alors une grande
assemblée populaire devant le siège du Comité central du parti communiste,
initiative particulièrement mal inspirée, qui se voulait une démonstration de
force du régime. Le rassemblement tourne court, lorsque les manifestants
enrégimentés, venus acclamer le leader suprême, commencent à le conspuer. La foule
rompt les rangs et se disperse en catastrophe. Certains s’organisent cependant
et dressent des barricades au centre de la capitale. A l’instar de Timisoara
quelques jours auparavant, les troupes interviennent en force, et la violence
de la répression arrive à son apogée dans la nuit du 21 au 22 décembre. Le
matin du 22 décembre, les ouvriers des grandes plateformes industrielles de la
capitale s’organisent et répliquent, en donnant l’assaut au siège du Comité
central du parti communiste. L’armée déployée en nombre dans le centre-ville et
autour du Comité central fraternise avec la foule, pendant que Nicolae
Ceausescu, son épouse, elle aussi cacique du régime, et quelques proches se
sauvent en catastrophe, à bord d’un hélicoptère qui prend son envol depuis le
toit du bâtiment. En quelques heures, le dictateur déchu sera capturé, jugé
ensuite, avec sa femme, à la faveur d’un simulacre de procès, expédié à la sauvette.
Ils seront, tous les deux, exécutés le 25 décembre 1989, dans une base
militaire de la ville de Targoviste, une ancienne capitale de la Valachie
historique. La révolution l’emporte, au prix de près de 1.200 vies.
Petru Creția, philosophe, essayiste, traducteur
et éditeur de Platon en langue roumaine, rédigera un manifeste émouvant, qui
sera diffusé sur les ondes de Radio Free Europe la veille de la chute du
dernier dictateur communiste de Roumanie. Les lignes écrites à l’occasion par
Petru Creția illustrent à merveille le summum de la tragédie que le XXe siècle
était parvenu à atteindre. La voix émue du philosophe, conservée dans les
archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, est à la
fois grave et prémonitoire.
Petru Creția : « L’on
approche la fin du siècle et, avec lui, la fin inévitable de notre malheur
collectif. Ce malheur qui s’était drapé de tant de noms menteurs, qu’il suffit
de lire à rebours pour approcher la vérité. Les longs, les trop longs règnes
sanglants, qui ont jeté un doute jusqu’au cœur de l’humanité enfouie aux tréfonds
de l’homme, nous ont profondément meurtri. La crise de l’humanité, incarnée par
le nazisme, le communisme, le maoïsme, touche aujourd’hui à sa fin, en dépit de
ses derniers soubresauts. Et les héritiers de ces monstres, leurs épigones,
qu’ils soient asiatiques, africains, sud-américains, voire européens, ne
sauront renverser la vapeur. Ils se ressemblent à s’y méprendre, alors qu’ils
ne sont que des caricatures pitoyables, des pantins misérables, qui grèvent le
destin des nations. Mais aujourd’hui, leur heure a sonné. Ces autocrates
pénibles, ces dieux imaginés sont tombés en désuétude. Leurs noms seront à
jamais damnés, liés qu’ils sont aux innombrables hécatombes, aux morts, aux
torturés, aux affamés, que leur règne de malheur est parvenu à produire. »
L’année 1989 sonna le glas du siècle
finissant, un siècle noir, à plus forte raison qu’il s’était voulu brillant,
comme nul autre auparavant. Le mal lui a cependant survécu. Et si le passé ne
saura nous prémunir des malheurs à venir, l’on espère néanmoins, qu’à l’instar
du vaccin, il aura la force de nous immuniser de ces pandémies idéologiques
mortifères. (Trad. Ionut
Jugureanu)