La résistance par les ondes radio
Si le désir de museler et d’isoler la
société constitue le commun des régimes totalitaires, nul n’est encore jamais entièrement
parvenu dans ses desseins. A travers, par-dessus ou par-dessous les murs érigés
par ces régimes, aussi hauts soient-ils, les gens arrivent, tôt ou tard, à
communiquer avec l’extérieur, avec leurs semblables, avec ceux qui vivent
encore dans des sociétés libres. Et le bruit des pleurs et des cris, que les sociétés
totalitaires essayent depuis toujours d’étouffer, parviennent, tôt ou tard, à
l’oreille du monde libre. Dans le cas de cette Europe de l’Est issue de la
Deuxième guerre mondiale, occupée par les chars soviétiques et par les régimes
fantoches imposés par ces derniers, ce sont les ondes hertziennes qui ont porté vers le monde libre la voix des peuples écrasés, ce
sont les mêmes ondes qui ont maintenu vivant leur espoir de liberté. Et si ces
ondes devaient porter un nom, elles se seraient appelées Radio Free Europe.
Steliu Lambru, 31.10.2022, 12:33
Si le désir de museler et d’isoler la
société constitue le commun des régimes totalitaires, nul n’est encore jamais entièrement
parvenu dans ses desseins. A travers, par-dessus ou par-dessous les murs érigés
par ces régimes, aussi hauts soient-ils, les gens arrivent, tôt ou tard, à
communiquer avec l’extérieur, avec leurs semblables, avec ceux qui vivent
encore dans des sociétés libres. Et le bruit des pleurs et des cris, que les sociétés
totalitaires essayent depuis toujours d’étouffer, parviennent, tôt ou tard, à
l’oreille du monde libre. Dans le cas de cette Europe de l’Est issue de la
Deuxième guerre mondiale, occupée par les chars soviétiques et par les régimes
fantoches imposés par ces derniers, ce sont les ondes hertziennes qui ont porté vers le monde libre la voix des peuples écrasés, ce
sont les mêmes ondes qui ont maintenu vivant leur espoir de liberté. Et si ces
ondes devaient porter un nom, elles se seraient appelées Radio Free Europe.
Le traducteur et journaliste
roumain Liviu Tofan, qui s’était réfugié en Allemagne de l’Ouest au début des
années 1970, avait très vite rejoint la rédaction roumaine de Radio Free
Europe. Durant la pandémie de Covid-19, il publia un livre de mémoires,
intitulé : « Ils nous ont maintenu en vie. Radio Free Europe,
1970/1990 ». L’ancien rédacteur de la station de radio basée à Munich et
financée par le Congrès des Etats-Unis, puise dans ses souvenirs personnels,
mais également dans les archives de la Securitate (la police politique du
régime communiste de Roumanie), pour brosser l’atmosphère qui avait cours dans
ce bastion du monde libre.
Liviu Tofan : « Les analystes parlent de Radio Free
Europe comme d’un phénomène médiatique, voire comme du principal phénomène
médiatique roumain qui s’était déroulé durant la période communiste. J’ai
repris la formule et j’avais parlé dans mon livre de Noël Bernard et de Cornel
Chiriac comme de phénomènes médiatiques personnifiés. Car chacun d’eux avait
apporté sa pierre à l’édifice, sa contribution au succès de ce phénomène
médiatique. Il faut savoir que la section roumaine de radio Free Europe, bien
qu’avant-dernière en termes de personnel, était la section la plus écoutée,
celle qui bénéficiait d’une audience sans pareil dans son public cible. »
Les
journalistes de radio Free Europe ont été bien plus que de bons professionnels.
Certains les ont même appelés des héros. Et l’appellatif est loin d’être
démérité car, en effet, certains ont payé de leur vie le courage d’affronter le
régime communiste de Bucarest, affirme Liviu Tofan.
Liviu Tofan : « Cornel
Chiriac est un de ces héros du journalisme anti-communiste. Dans mon livre,
j’avais dédié tout un chapitre aux rapports entre la police politique du
régime, la Securitate, et notre radio. Certes, nous agissions depuis Munich, ville
située à 1.500 Km de Bucarest. Nous ne faisions rien de concret contre le
régime, si ce n’est par le verbe. Mais le nombre de nos auditeurs dans le pays
était carrément époustouflant. Dans notre siège de Munich, un département
spécialement dédié était chargé de mesurer l’audimat, et nous connaissions
exactement l’impact de nos émissions. Dans le chapitre que j’avais dédié aux
actions des services spéciaux de la Securitate contre les rédacteurs de notre
radio, j’avais essayé de passer en revue les attentats contre notre personnel,
y compris l’attentat du 21 février 1981, lorsqu’Emil Georgescu, futur directeur
de la Section roumaine, avait été violemment agressé par deux délinquants,
détenteurs d’un passeport français, et payés par les agents de la Securitate ;
il avait failli de peu y laisser la vie. Noel Bernard, directeur à l’époque de
la Section roumaine, est mort d’un cancer galopant au mois de décembre de la
même année. Ce ne fut pas un cas singulier. Plusieurs de nos collègues ont
perdu la vie de la même façon, d’une manière extrêmement suspecte. Je les ai
tous connus, j’avais assisté à l’évolution surprenante de leur maladie, et
j’avais essayé de faire la lumière sur cette affaire dans mon bouquin. »
Nous
avons questionné Liviu Tofan au sujet de ses sentiments, au moment où lui et
ses collègues osaient critiquer ouvertement le régime de Bucarest. Avaient-ils
peur, craignaient-ils d’éventuelles conséquences sur leur liberté de
parole ?
Liviu Tofan : « Vous
savez, nous étions tellement à notre tâche que nous ne prêtions aucune
attention aux dangers qui nous guettaient, alors même que les menaces
pleuvaient à notre égard. On coulait sous les menaces à tel point qu’on ne leur
prêtait plus aucune attention. Noel Bernard les ignorait, alors qu’il était la
cible principale. Même lorsque Cornel Chiriac avait perdu la vie, il n’avait
pas pensé une seconde qu’il s’agissait d’une action de la Securitate. Ce n’est
qu’après l’attentat contre Monica Lovinescu, en novembre 1977, à la veille de l’arrivée
de l’écrivain et dissident Paul Goma,
réfugié à Paris, que Bernard avait commencé à saisir l’étendue de la menace qui
planait sur nous, sur lui en premier lieu. Mais c’est bien ce que les agents de
la Securitate voulaient obtenir : nous intimider, nous effrayer, nous
faire taire, par peur des représailles. Or, nous n’avons jamais ployé. Pas du
tout. La menace n’a pas marché. Si le régime de Bucarest avait agi à l’instar de
celui de Budapest, en essayant d’améliorer le quotidien des Roumains, il serait
peut-être parvenu à nous amadouer. Mais certainement pas en nous menaçant. »
Une chose est sûre : Radio Free
Europe a été une bouffée d’oxygène pour les Roumains, durant les décennies 70
et 80 du siècle dernier. Elle brisa l’isolement et accompagna le désir de
liberté de tout un peuplé, qu’un régime aux pratiques innommables tentait inlassablement
d’écraser. (Trad. Ionuţ Jugureanu)