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La répression communiste. Le tortionnaire.

Récemment, la presse roumaine a remis au goût du jour un terme aux résonances sinistres: le tortionnaire. Alors que le terme est revenu dans lactualité à la faveur des premiers procès qui ont mis sur le banc des accusés les derniers survivants parmi les dirigeants des prisons politiques des années 50, lusage immodéré du terme frôle linflation. En effet, force est de constater la tendance des médias roumains de coller lappellatif de tortionnaire à tous ceux qui ont travaillé dans le système de justice ou le système pénitentiaire de lépoque communiste.





La réalité demeure pourtant plus nuancée. Car ce que la presse daujourdhui appelle tortionnaire est tout à la fois victime et bourreau. Victime, car certains de ceux que lon désigne aujourdhui comme tels nétaient au fond à lorigine que de pauvres victimes forcées à endosser lhabit du bourreau pour améliorer leur sort.

La répression communiste. Le tortionnaire.
La répression communiste. Le tortionnaire.

, 29.07.2019, 13:09

Récemment, la presse roumaine a remis au goût du jour un terme aux résonances sinistres: le tortionnaire. Alors que le terme est revenu dans lactualité à la faveur des premiers procès qui ont mis sur le banc des accusés les derniers survivants parmi les dirigeants des prisons politiques des années 50, lusage immodéré du terme frôle linflation. En effet, force est de constater la tendance des médias roumains de coller lappellatif de tortionnaire à tous ceux qui ont travaillé dans le système de justice ou le système pénitentiaire de lépoque communiste.





La réalité demeure pourtant plus nuancée. Car ce que la presse daujourdhui appelle tortionnaire est tout à la fois victime et bourreau. Victime, car certains de ceux que lon désigne aujourdhui comme tels nétaient au fond à lorigine que de pauvres victimes forcées à endosser lhabit du bourreau pour améliorer leur sort.



La prison de Piteşti, lieu de détention connu pour les expériences de lavage de cerveau et de rééducation par la torture inspirées des pratiques soviétiques a été lun des meilleurs exemples qui ont vu des victimes se muer en bourreaux. Le but de cette expérience sinistre, menée de 1949 à 1952 à léchelle dune prison tout entière, était dutiliser la torture en continu pour obtenir un changement de personnalité, un effacement des valeurs et des principes dont les détenus politiques étaient porteurs, pour les remplacer par les principes communistes. La rééducation de Pitesti nétait en fait quun projet pilote, un modèle de « bonnes pratiques » censé être ultérieurement étendu à tout le goulag roumain. Dévidence, les partisans de la première heure de lexpérience de Pitesti sont, pour sûr, de véritables tortionnaires. Parmi ces derniers, une place à part est réservée à Eugen Ţurcanu.





Les archives du Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine abritent les enregistrements des interviews réalisées avec plusieurs des survivants de lexpérience de rééducation par la torture effectuée dans la prison de Pitesti.



Le détenu Sorin Bottez, interrogé en 2001, remémorait, 50 ans après les événements, avec beaucoup de difficulté, de son expérience à Pitesti : « Il sagit dun sujet pénible, car cela dépasse lentendement. Je suis lun de ceux qui sont parvenus à résister, qui ne sont pas devenus des tortionnaires à leur tour, pendant cette période de rééducation terrible. Mais même ainsi, jhésite à jeter lanathème. Jhésite, car je sais comment cétait. A lexception de ceux qui sont devenus des tortionnaires de leur plein gré, de leur propre chef, sans avoir à subir la torture. Ceux-là, je les condamne, ils mériteraient dêtre cloués au pilori. Ce qui narrivera jamais, pourtant. Mais il faut quand même faire la distinction entre ceux qui sont tombés, ceux qui sont devenus des bourreaux parce quils avaient tout simplement cédé à la torture, parce que la capacité de résistance du cerveau a ses limites, et puis les autres, ceux qui ont été leurrés, qui ont cédé par faiblesse, sans quon les touche. Aux derniers, je ne puis trouver dexcuses. La plupart dentre eux ont par la suite payé les faits à leur juste prix. Car ils ont été jugés et exécutés par ceux-là même quils avaient servis et vénérés, par les communistes. Malheureusement, certains y ont échappé. »





Lon imagine rarement le mal en chair et en os. Et lorsquon limagine malgré tout, il nous apparaît sous des traits effrayants, terribles, des traits sous lesquels on puisse lidentifier facilement. Pourtant, ce nest pas ainsi quil est en réalité. Ses traits sont ceux de M. tout le monde. Aristide Lefa a eu affaire au célèbre Eugen Ţurcanu, détenu politique, devenu le meneur des tortionnaires racolés parmi les détenus. Car ce qui a été terrible dans lexpérience de rééducation de Pitesti, cétait que les tortionnaires étaient des détenus, ils vivaient avec les autres détenus 24h/24, 7j/7, la panoplie des humiliations, des violences et des brimades mises en œuvre étant aussi étendue que limagination humaine.



En 2000, Aristide Lefa remémorait le personnage dEugen Turcanu : « Ţurcanu était un chef suprême en quelque sorte. Même le directeur de la prison le craignait. Il déambulait librement dans la prison, il avait les clés des cellules, évidemment avec laval du ministère de lIntérieur, le ministère de tutelle. Dumitrescu, le directeur, le craignait, il fallait quil collabore avec Turcanu. Ce dernier mettait au point tous les détails des tortures, des dérouillés qui avaient lieu, mutait les prisonniers dune cellule à lautre. Le soir où jai quitté Pitesti, il y avait 50 prisonniers qui devaient partir au sanatorium. Sur les 50, seuls 18 y sont parvenus. Nous étions là avec nos bagages, on devait partir pour la gare et, à un moment donné, lon voit Turcanu venir du bureau du directeur, avec le visage tordu carrément, par la furie probablement. Je ne suis pas sûr, mais je revois son visage, son rictus. Il nous a jeté un regard qui semblait dire : « Ceux-là mont échappé, les salauds ! ». Et il sest éloigné. Ce fut la dernière fois que je lai vu. »




En 2000 toujours, Ion Fuică remémore les scènes de torture mises en scène par Turcanu et auxquelles il avait assisté : « Ses hommes de main entraient, et ils vous prenaient de force. Ils vous emmenaient dans la cellule 4 de lhôpital, là où Turcanu organisait ses séances de torture. Turcanu était assis à une table, il y avait dans la pièce un poêle à bois, et je me souviens de lodeur des bûches. Cela me rappelait la maison. Et là, il fallait reconnaître tout ce qui leur passait par la tête, ce dont vous naviez jamais pensé faire. Vous deviez écrire votre déposition. Et puis Turcanu lisait ce que vous veniez de coucher sur papier et criait : «Tu penses que ça, cest une déposition ? Tu te crois à lenquête ? ». Comme si lenquête subie dans les locaux de la Securitate, de la police politique, cétait de la tarte. Et il fallait « reconnaître » quon avait eu des relations sexuelles avec sa propre mère, par exemple. Si vous refusiez, ils vous tapaient. Un autre, je lai vu de mes yeux, a été forcé de boire son urine. Cest des choses connues, mais je suis témoin que cela se passait ainsi, car je lai vu de mes yeux, ce ne sont pas des histoires à dormir debout ».



En labsence de ces témoignages, quils soient oraux ou écrits, on pourrait être tenté de penser que de telles horreurs ne sont que le fruit dune imagination malade. Malheureusement, ce fut le vécu réel de beaucoup de victimes du système concentrationnaire communiste. Un vécu qui, souvent, dépassa de loin la fiction. (Trad. Ionut Jugureanu)

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