La réforme de l’enseignement de 1948 en Roumanie
Installé en Roumanie en 1945, le régime communiste a procédé en 1948 à une réforme de lenseignement, dont le but était entre autres de favoriser laccès de la classe ouvrière à léducation – en fait de cette partie de la classe ouvrière qui avait donné des preuves dobédience. Le nouveau système mis en place était fondé sur ce que lon appelait « lorigine sociale saine ». Il éliminait la vraie compétition et formait des cadres obéissants, au service du nouveau régime.
Lingénieur Ştefan Bârlea a occupé de hautes fonctions dans les structures du parti communiste et de lEtat, faisant partie des personnes dont le régime a favorisé laccès à léducation. Pourtant, à la différence de ceux qui profitaient, sans justification, de la protection du nouveau régime politique, Bârlea était un élève éminent, qui a étudié au lycée « Gheorghe Lazăr », établissement scolaire délite de la capitale roumaine. Dans une interview pour le Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine, il racontait en 2002 de quelle façon ces changements dans le domaine de lenseignement avaient été reçus.
Ştefan Bârlea: « Il y a eu une facilité majeure pour les élèves de lycée, qui ont pu choisir décourter leurs études dune année ; moi, par exemple, je lai fait. Les nouvelles formes denseignement supérieur étaient ouvertes aux ouvriers, aux jeunes qui venaient directement des usines. Les écoles ouvrières, dont les cours duraient deux ans, préparaient ces jeunes après le bac et fonctionnaient auprès des universités. Ceux qui suivaient les cours dun lycée ou qui avaient terminé le lycée dune façon ou dune autre, pouvaient sinscrire à une faculté, tout en continuant à travailler. Le système a aussi mis en place des facultés dédiées aux diplômés des écoles ouvrières, qui pouvaient ainsi grimper sur léchelle sociale. La jeune génération sest montrée réceptive à cette ouverture et ça a contribué à la multiplication des organisations de jeunesse – élèves et étudiants. LUnion nationale des étudiants comptait de plus en plus de membres. Des classes préparatoires ont été organisées, ce qui a facilité laccès des jeunes à lenseignement supérieur. »
La réforme de léducation nationale de 1948 bouleversait les valeurs de lenseignement traditionnel. Les jeunes pouvaient renoncer au bac et sinscrire à luniversité sans avoir terminé le lycée, à condition de compléter, parallèlement, cette partie de leur scolarité.
Steliu Lambru, 31.07.2017, 13:22
Ştefan Bârlea : « Lorsque je me suis inscrit à la faculté, jai constaté quentre juin et septembre, quand se tenaient les examens dadmission, toutes les facultés organisaient des cours préparatoires destinés aux candidats. Ces cours étaient donnés par des professeurs des universités et des maîtres-assistants et les jeunes étaient nombreux à y participer. Cest là que jai rencontré pour la première fois des personnes issues de lécole ouvrière. Des professeurs des universités réputés y appliquaient la méthode suivante : ils écrivaient un problème de synthèse au tableau noir. Cétait valable pour les mathématiques, mais aussi pour la physique ou dautres disciplines. Le professeur demandait à la salle si quelquun souhaitait le résoudre. Le jeune qui se portait volontaire était appelé au tableau. Le professeur faisait de nombreux commentaires très utiles, faisant voyager le candidat à travers une grande partie des connaissances essentielles de la discipline respective. Ensuite, le professeur écrivait un autre problème au tableau. Si le candidat qui sy trouvait déjà ne savait pas le résoudre, il regagnait sa place et un autre candidat était appelé à le remplacer. »
La réforme créait un nouveau type détudiant, une nouvelle atmosphère estudiantine; forger une nouvelle conscience de classe en était une des priorités.
Ştefan Bârlea : « Tous les jeunes hommes qui arrivaient de lécole ouvrière bénéficiaient dun privilège : à lexamen oral, ils figuraient sur une liste séparée. Je ne sais pas ce qui se passait à lépreuve écrite, mais loral, ceux qui venaient de lécole ouvrière le passaient tous. Cest uniquement sils ne savaient rien, les pauvres, mais absolument rien, quils ne passaient pas cet examen. On essayait de les aider, mais cétait difficile. Le département de mécanique de la faculté de sciences a été réorganisé et nous avons été transformés en ingénieurs économistes. Là, jai rencontré beaucoup détudiants des écoles ouvrières, qui mont poussé à recréer les groupes détude, destinés officiellement aux membres de lUnion de la jeunesse communiste et des organisations de jeunesse. Ils sy connaissaient en matière dactivité syndicale et nous les avons élus dans nos syndicats. Nous devions les élire, car ils savaient mieux nous représenter. »
La fidélité au régime était obtenue également à laide de récompenses. Et les étudiants communistes, futurs cadres du parti, acceptaient le compromis.
Ştefan Bârlea : « Il y avait un système de bourses pour les étudiants, qui bénéficiaient de logement et de repas gratuits, ainsi que de 30 lei par mois pour des dépenses personnelles. Moi, je navais pas besoin de logement, mais les repas à la cantine étaient quand-même utiles. Je déjeunais et dînais à la cantine. Il y avait aussi des bourses de mérite, dont jai pu bénéficier après le premier semestre. Jai aussi reçu la bourse nationale attribuée à la faculté nouvellement créée. Cétait un montant de 500 lei par mois, presque un bon salaire de lépoque ! Cela ma énormément motivé. »
La réforme communiste de léducation nationale de 1948 a mis en place des changements structurels. Bien que certaines exigences de qualité aient été réintroduites après un certain temps, lidéologie communiste a eu, en général, un impact négatif sur lenseignement en Roumanie. (Trad. Dominique)