La prison politique d’Aïud
La triste notoriété d’Aiud, petite ville du Maramures, région située au nord de la Roumanie près de la frontière avec l’Ukraine, a abrité probablement la plus importante prison politique des années noires du régime communiste de Roumanie. Retour.
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Steliu Lambru, 03.03.2025, 10:30
La triste notoriété d’Aiud, petite ville du Maramures
La triste notoriété d’Aiud, petite ville du Maramures, région située au nord de la Roumanie près de la frontière avec l’Ukraine, a abrité probablement la plus importante prison politique des années noires du régime communiste de Roumanie.
L’historien Dragoș Ursu du musée national de l’Union d’Alba Iulia s’est penché dans son dernier ouvrage, 35 années après la chute du régime communiste, sur l’histoire de cette prison.
Dragoș Ursu : « L’opposition de la société roumaine au communisme, au régime communiste qui s’est installé après la Seconde Guerre mondiale, a été, avant tout, de nature politique. C’est que la société roumaine d’alors, les partis politiques, ce que nous appelons génériquement la société civile, les Roumains dans leur ensemble voyaient dans le communisme un ennemi qui menaçait l’existence même de la démocratie roumaine et de l’État roumain. Il s’agissait d’un régime imposé par l’occupant soviétique, un régime illégitime et criminel. Ainsi, avant tout, l’opposition au régime communiste était de nature politique, ce qui a conduit ces opposants dans les prisons, poursuivis qu’ils étaient par la Securitate, la police politique du régime, et par la répression communiste. La rééducation était de mise à Aiud, car le régime considérait qu’il avait à faire à ce qu’il appelait nommément des ennemis du peuple. Ils devaient donc être réprimés continuellement en détention, soumis à un régime de déshumanisation à travers un processus de rééducation politique et psychologique, déroulé sans répit ».
Le lieu de détention privilégié des membres de la Garde de Fer
La population carcérale de la prison d’Aiud venait de différents horizons politiques, mais elle fut surtout le lieu de détention privilégié des légionnaires, ces membres de la Garde de Fer, de l’extrême-droite d’avant la guerre.
Dragoș Ursu : « Aiud est peut-être la prison la plus grande, si l’on parle en termes de capacité d’accueil. Elle pouvait accueillir entre 3.600 ou 4.000 détenus au même moment. Au cours de la période communiste, environ 14.000 détenus sont passés par Aiud. En 1948, Aiud se voit attribuer les détenus ayant une profession intellectuelle : fonctionnaires, professions libérales et intellectuels, ainsi que ce que les communistes appelaient les « criminels de guerre », condamnés après la Seconde Guerre mondiale. Aiud devient ainsi connue comme la « prison des légionnaires ». Mais ces derniers ont formé une majorité plutôt relative. Car Aiud accueillait des membres d’autres formations politiques, des libéraux, des nationaux-paysans, des officiers de l’ancienne Armée royale, des paysans qui se sont rebellés contre la collectivisation des terres, des membres de la résistance anticommuniste ».
Les différentes formes de la rééducation
Aux côtés des pénitentiaires de Pitești, Gherla et Canal, Aiud a également été un des lieux de rééducation, soit de l’une des formes les plus extrêmes de brutalité infligée à l’être humain par un régime qui se prétendait humaniste.
Dragoș Ursu a cependant observé des différences entre les différentes formes que prenait la rééducation :
« C’est dans la prison politique de Pitești qu’a débuté la rééducation des détenus. Cette méthode sera ensuite implémentée à Gherla et Canal, une soi-disant rééducation, d’une violence extrême. En revanche, à Aiud, nous parlons d’une rééducation tardive, d’une répression déclenchée après la révolution hongroise de 1956, où le régime emploie davantage les instruments propres du conditionnement psychologique, de la guerre psychologique. Aussi, l’on hésitera d’utiliser directement et ouvertement la violence et la torture, pour des raisons très pratiques, car il s’agissait des détenus qui avaient déjà passé 10, voire 15 ans en détention, épuisés physiquement, psychiquement, moralement. Employer dans leur cas la violence physique les aurait tués. Aussi, si à Pitești l’on fait appel à des méthodes violentes, à Aiud l’on agit dans le registre psychologique, idéologique et culturel pour aboutir au lavage des cerveaux. »
La mémoire collective
Mais quelle empreinte a laissé la prison politique d’Aiud dans la mémoire collective ?
Dragoș Ursu : « La rééducation de Pitești, par sa violence extrême, a absout les victimes. Car, face à ce déchaînement de violence extrême, nul n’est tenu de résister. A Aiud en revanche, le sentiment de culpabilité des victimes est bien plus important, précisément parce que la rééducation a pris des formes insidieuses, psychologiques. Et nous voyons comment les mémorialistes, les survivants, polémiquent, transmettent le sentiment de culpabilité de ceux qui, d’une certaine manière, sont passés du côté du régime. Cela place la rééducation à Aiud dans un registre différent. Et, d’une certaine manière, de ce point de vue, nous pouvons dire que le régime a réussi à semer les graines de la méfiance parmi les victimes détenues, à la fois pendant la rééducation et ensuite au niveau des mémoires, parmi ceux qui ont survécu et ont raconté leur expérience d’incarcération. Ce qui n’est pas le cas à Pitești, car là-bas, la mémoire est beaucoup plus unie et les détenus se comprennent les uns les autres parce qu’ils ont traversé une violence extrême. En revanche, Aiud est différent. »
La prison d’Aiud dispose désormais d’une monographie qui ramène au présent un temps et un lieu de l’inhumanité du régime communiste.
(Trad Ionut Jugureanu)