La presse estudiantine dans la Roumanie communiste
Instrument de propagande du régime communiste, la presse a été pour ce dernier une des principales préoccupations. C’était un domaine strictement soumis à la censure. La Direction générale de la presse et des publications avait pour mission de contrôler et de superviser tout ce qui était destiné au public. Cet organisme était subordonné au Comité Central du Parti Communiste Roumain.
Ștefan Baciu, 01.09.2014, 14:45
Instrument de propagande du régime communiste, la presse a été pour ce dernier une des principales préoccupations. C’était un domaine strictement soumis à la censure. La Direction générale de la presse et des publications avait pour mission de contrôler et de superviser tout ce qui était destiné au public. Cet organisme était subordonné au Comité Central du Parti Communiste Roumain.
Malgré ce contrôle rigoureux, certains écarts par rapport à la politique officielle ont toujours existé, même s’ils n’ont pas été de nature à affaiblir le régime. Pourtant, l’obsession du danger que pouvait représenter la lettre écrite était si forte que l’on accordait à ces déviations plus d’attention qu’elles ne méritaient et les coupables étaient trop sévèrement punis pour leur insoumission. Ce fut le cas de la revue estudiantine « Amphithéâtre », publiée par l’Union des associations des étudiants communistes de Roumanie. L’adjoint au rédacteur en chef de cette revue, Constantin Dumitru, se rappelle comment la diffusion d’un de ses numéros fut interdite en raison de la présence, dans ses pages, de plusieurs poèmes écrits par Ana Blandiana et que l’on avait considérés comme des attaques dirigées contre le régime communiste.
Constantin Dumitru: « Cela s’est passé en décembre 1984. En lisant les poèmes d’Ana Blandiana, j’eus une réaction instinctive. J’ai su que ces poèmes ne pouvaient être publiés. Une fois cette première réaction passée, je me suis dit: mais au fond pourquoi ne seraient-ils pas publiés ? Et j’en ai approuvé la publication. J’ai présenté le numéro de la revue à l’Association des étudiants communistes de Roumanie. Car ce n’était pas à nous d’approuver la publication de la revue. Lorsque la Direction de la presse a cessé d’exister, le feu vert était donné par les organismes centraux chargés du contrôle des publications, à savoir le Comité central de l’Union de la jeunesse communiste et le Conseil des associations des étudiants communistes de Roumanie. Nous, les rédacteurs en chef et adjoints, étions censés uniquement approuver, un à un, les articles qui nous étaient proposés. La publication, dans son ensemble, devait être soumise à une autre autorité, car les cadres du parti ne nous faisaient plus confiance, parce que nous étions des journalistes et nous pouvions faire des bêtises. Alors, il fallait que quelqu’un d’autre voie la revue avant sa publication. Moi, j’étais adjoint au rédacteur en chef de la revue « Amphithéâtre »; j’étais membre du Comité Central de l’Union de la Jeunesse Communiste et membre du Bureau du Conseil de l’Association des étudiants communistes de Roumanie, car — pour appeler les choses par leur nom — on ne pouvait occuper un poste de rédacteur en chef sans faire partie de la nomenklatura. La poétesse Constanţa Buzea, première épouse du poète Adrian Păunescu, se trouvait à la tête de la Section poésie. Tout ce qu’elle a fait, c’était d’approuver la publication de ces poèmes. Grigore Arbore était en charge du numéro respectif, mais c’est moi qui ai donné l’aval. »
La revue « Amphithéâtre » était publiée en 7.000 exemplaires. 3.000 étaient distribuées dans les kiosques, un millier sous forme d’abonnements et 3.000 autres, payés par l’Union des Associations des étudiants communistes de Roumanie, étaient répartis dans les foyers estudiantins.
Constantin Dumitru se rappelle comment le scandale a éclaté: « Je vais chez un ami plasticien, dans la mansarde Nifon, qui abritait quelques ateliers. Une fois là je n’arrive pas à m’abstenir de me vanter. Je lui montre directement les formes d’impression et je lui dis : « Voilà ce que j’ai fait », sans savoir qu’il travaillait pour la Securitate. Je m’étais donc dénoncé tout seul. C’est aussi la raison pour laquelle ils m’ont destitué, je me suis vanté que c’était moi qui avais donné l’aval. Et puis, ce qui devait arriver est arrivé. Moi, je suis parti à la montagne où j’ai appris que plusieurs réunions avaient lieu pour décider de mon limogeage, de mon exclusion générale. Une fois rentré à Bucarest, un collègue me donne un coup de fil pour me dire que je n’étais plus son chef et que je ne figurais désormais nulle part. Pendant plusieurs mois, c’était grâce à Radio Free Europe que j’apprenais les décisions qui me concernaient. Je fus licencié et exclu du parti le 15 janvier 1985. Je n’ai eu pas d’emploi pendant 3 mois. Je fus convoqué et embauché contre mon gré à la revue « La protection du travail ». Mon épouse qui était enceinte s’est vu destituer elle aussi. Elle devait payer d’une façon ou d’une autre. Au fond, j’avais un contrat que je n’avais pas respecté. Mais je ne me suis pas lamenté alors et je ne le fais aujourd’hui non plus. J’avais un salaire très grand, un chauffeur, une secrétaire, le tout pour apprécier le camarade Ceausescu. Et moi, je ne l’ai pas apprécié comme il fallait. J’ai depuis appris ma leçon quand il s’agit d’apprécier les politiciens. »
Comme à l’époque personne ne pouvait être au chômage, Constantin Dumitru s’est vu embaucher par une revue ayant comme profil la protection du travail dans l’industrie, sans pour autant détenir une fonction dirigeante. Quelles ont été les répercussions du retrait de ce numéro de la revue « Amphithéâtre » ?
Constantin Dumitru : «A l’époque, les photocopies n’étaient pas à la portée de tout le monde, comme c’est le cas aujourd’hui. Beaucoup de personnes devaient donner leur aval. Les photocopieurs faisaient l’objet d’une très stricte surveillance. J’ai été choqué d’apprendre plusieurs années plus tard, d’un officier de la Securitate, que 5-6000 copies avaient été faites aux poésies en question. Ce qui veut dire que le tirage de la revue avait été refait, il avait ainsi pratiquement doublé. Comme tant d’officiers de la Securitate ont dressé un nombre si grand de rapports, il était pratiquement impossible que Radio Free Europe ne soit pas au courant. Cette radio a d’ailleurs diffusé les poésies, mais uniquement après ma destitution. D’un certain point de vue, les communistes ont fait une erreur. S’ils n’avaient pas provoqué un si grand scandale, le fait serait passé inaperçu. « Je crois que nous sommes un peuple végétal, qui a vu un arbre se révolter ? » c’est là un fragment de la poésie en question. Elle était belle ».
Après 1989, Constantin Dumitru a eu l’occasion de rencontrer l’auteure des poésies ayant entraîné sa destitution: «Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne connaissais pas Ana Blandiana. J’avais fait publier quelques-uns de ses textes, mais je ne la connaissais pas personnellement. Elle, n’en a pas été punie, moi si. Son volume « Motanul arpagic » est d’ailleurs paru un peu plus tard aux Editions Ion Creanga et d’autres personnes ont été destituées. En 1990, j’ai rencontré le poète Mircea Dinescu au siège de l’Ambassade des Etats-Unis et il m’a dit : « Eh mec, regarde, c’est Ana Blandiana, ton amie. Il ne croyait pas que je ne la connaissais pas. Et il s’est adressé à Ana Blandiana en lui disant que c’était moi la personne qui avait fait publier sa poésie dans la revue « Amphithéâtre ». Et Ana Blandiana a eu une réplique que j’admire de tout cœur « C’est son affaire à lui! ». Et je me suis rendu compte que c’était en effet mon affaire à moi. Moi, j’avais fait mon devoir et je soupçonne qu’elle avait fait de même ».
Constantin Dumitru a appris une leçon qui allait profiter à d’autres aussi. Quand on dit la vérité, aussi désagréable qu’elle soit, aucun prix n’est trop élevé à payer car la récompense sera sur mesure. (trad. : Dominique, Alexandra Pop)