La presse écrite dans la Roumanie d’après-guerre
Steliu Lambru, 28.03.2022, 11:59
La presse roumaine du XXe siècle avait tout
connu : liberté, censure, et jusqu’à la suppression pure et simple. Mais
sa pire période a sans doute été l’époque communiste, entre 1945 et 1989. Après
1945 et la disparition de la censure fasciste, après aussi quelques années, seulement,
de relative liberté, le pouvoir communiste, instauré d’autorité par l’occupant
soviétique, jettera aux oubliettes la liberté de la presse. Pourtant, même en
cette période sombre pour la profession, des voix se sont levées et des
professionnels de la plume ont tenté, avec courage et honnêteté, de poursuivre
leur mission, en dépit des embûches parsemés sur le chemin de la liberté
d’expression par le pouvoir totalitaire.
Dorel Dorian avait débuté sa carrière de
journaliste à la fin de la Deuxième guerre mondiale, passant par bon nombre de
rédactions de la presse écrite de l’époque. En 1997, à l’occasion d’une
interview conservée par le Centre de l’histoire orale de la Radiodiffusion
roumaine, il racontait la place que la presse écrite occupait dans la maison de
ses parents :
Dorel Dorian : « J’ai été fasciné
par la presse écrite bien avant que je n’en fasse une profession. Le journal
papier, c’était une sorte de religion dans notre famille. Je n’y connaissais
rien forcément. Et c’est mon père qui m’avait appris à me méfier et à ne pas
prendre pour de l’argent comptant tout ce que l’on pouvait y trouver. Qu’il
fallait savoir faire la part de choses, qu’il fallait chercher la vérité,
parfois derrière les mots imprimés. Qu’il fallait surtout et toujours chercher
la vérité. J’étais jeune et enthousiaste, c’était une période épatante. On
croyait sincèrement en ces lendemains qui chantent pour tous. Les dessous de
tout cela, on l’apprendra plus tard. Mais à l’époque on se donnait à fond, on
servait ces idéaux de justice sociale, de liberté, d’émancipation,
d’affirmation morale, les seules qui nous semblaient valoir de la peine. Je
croyais en tout cela, et je le crois toujours, bien que l’histoire nous ait
donné tort. »
Le jeune Dorian a débuté dans la presse écrite, à
16 ans, en 1945. Bientôt pourtant, il se verra tiraillé entre sa passion pour
la presse et la nécessité de subvenir à ses besoins : « A l’été 1948,
par une série de circonstances particulières, j’avais dû me résoudre à suivre
les cours de la faculté des Mines, à l’Université polytechnique. C’est que
j’étais bon élève, j’aimais aussi les maths et les sciences. En ’53, j’avais
achevé mes études, mais j’avais continué d’écrire et de publier mes articles
dans les gazettes pendant tout ce temps. Lors du Festival international de la
jeunesse de Bucarest de 1953, j’étais un des journalistes les plus demandés.
J’écrivais et envoyais des notes, des reportages, toutes sortes d’histoires.
Mais à la fin des études, j’avais décroché un poste d’ingénieur dans la vallée
du Jiu, dans cette zone bien connue pour ses charbonnages. Je deviendrai chef
du service technique et électrique de la première grande centrale
thermoélectrique roumaine. »
La rébellion anticommuniste hongroise de 1956
marque un tournant, que Dorian n’avait pas manqué de remarquer, traduit notamment
dans le ton de la presse écrite. L’enthousiasme révolutionnaire du début
laissait peu à peu la place à la lassitude. A la revue « Vie
étudiante », dont il était collaborateur, les choses n’allaient pas
différemment.
Dorel Dorian : « Le paysage
s’assombrissait. Beaucoup d’articles paraissaient sous commande politique, une
politisation rampante, et qui sautait aux yeux. J’avais compris que le pouvoir
entendait réagir de la sorte à la crise de légitimité du régime, c’était sa
réplique, visant notamment les étudiants. Le deuxième numéro de notre revue
avait fait scandale. Les choses sont arrivées jusqu’au Comité central du parti
communiste. Nicolae Ceauşescu, qui n’était pas encore le numéro un du régime,
menait l’enquête. On a dû s’expliquer, se morfondre en excuses. Ils nous voyaient
comme si l’on était des zozos. »
Dorian prend alors la décision d’abandonner la
presse d’opinion pour dédier sa plume à la presse spécialisée : « Ion
Iliescu, qui était alors secrétaire du Comité central du parti, m’avait demandé
comme faire revenir la jeunesse. Les communistes savaient avoir loupé les
jeunes, les avoir fait fuir. Je lui ai alors proposé le concept d’une
publication de modélisme, quelque chose qui puisse intéresser et passionner les
jeunes. Et c’est ainsi qu’est née la revue Technium. J’avais aussi collaboré à
une autre publication du genre, « Science et technique ». Les deux
publications ont rencontré un franc succès auprès du public. Le président de
l’Académie roumaine, un certain Drăgănescu, qui dirigeait le quotidien de grand
tirage « România liberă/ La Roumanie libre », m’avait proposé de
lancer une revue de vulgarisation scientifique. J’avais accepté encore ce défi.
Mais je collaborais à plein d’autres titres, même à la revue « Femeia/La
femme », où je signais Dorina Petcu. Je répondais au courrier des
lectrices, dont beaucoup voulaient me rencontrer, rencontrer Dorina. Seulement,
ce n’était forcément pas possible, vous vous en doutez bien. »
En 1989, la presse roumaine
est libérée, à l’instar de toute la société. Elle se trouve même à la pointe du
combat pour la liberté d’expression, se diversifie et se modernise. Un
processus toujours d’actualité. (Trad. Ionuţ Jugureanu)