La présence américaine en Roumanie durant la seconde moitié des années 1940
...une intervention tellement attendue, alors que les communistes s'emparaient de la Roumanie
Steliu Lambru, 01.05.2023, 08:16
Avec l’entrée de la Roumanie dans le giron de l’Allemagne nazie fin 1940, les relations entre la Roumanie et les Etats-Unis ont connu une détérioration constante, surtout après l’entrée de la Roumanie dans la guerre contre l’URSS. Alors que les relations entre les deux pays, les Etats-Unis et la Roumanie, étaient dépourvues de points d’achoppement particuliers, le fait de se retrouver dans des camps opposés durant cette guerre ne pouvait pas ne pas les affecter.
Pourtant, et en dépit de ces événements, les deux Etats essayent de conserver un minimum de contacts bilatéraux durant toute la guerre. Un tel exemple a constitué le camp des prisonniers américains, notamment aviateurs, établi près de la localité Geamana dans le département Arges, et dont parlait en 2004 Gheorghe M. Ionescu, américanophile et ancien membre du parti National-Paysan, au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine :« Vous savez, il y a eu une bataille aérienne juste dans le ciel au-dessus de la commune. Des avions américains ont été abattus par les Allemands. 8 militaires américains sont malgré tout parvenus à s’échapper en parachute d’un B-26. C’était un bombardier qui comptait un équipage de 8 personnes. Sur ces huit-là, 4 étaient déjà morts lorsqu’ils avaient touché le sol, les quatre autres étaient juste blessés. Le vent les avait porté dans une forêt, près du village de Cireşu. L’alarme avait été donnée, et l’on nous a demandé d’aller les chercher. L’on prétendait que c’étaient des méchants. Je n’y suis pas allé. Les gars de sécurité civile y sont finalement allés, les militaires, les gars de la mairie. Mais les Américains sont sortis d’eux-mêmes des bois, et se sont rendus sans faire d’histoires. On les a embarqués dans deux équipages, et on les a emmenés à l’hôpital de Pitesti. C’est là qu’on les a soignés, guéris, ils en sont sortis complètement rétablis. »
Avec un fair-play certain, ces ennemis de conjoncture que furent les anglo-américains n’ont pas hésité à reconnaître le bon traitement dont bénéficiaient les prisonniers de guerre en Roumanie. Gheorghe M. Ionescu :« Sur ses ondes, Radio Londres avait remercié nommément le docteur Nelecu, le chirurgien en chef de l’hôpital où avaient été soignés les prisonniers américains « pour les soins qu’il leur avait prodigué ». Après s’être rétablis, ces prisonniers ont rejoint le camp de prisonniers de guerre de Predeal, où là encore ils furent extrêmement bien traités. Ils tenaient des conférences, jouaient au tennis, ils étaient plutôt comme en vacances dans une station de montagne que dans un camp de prisonniers en temps de guerre. Les quatre victimes de la bataille aérienne ont été enterrées dans le cimetière de Lăceni, leurs funérailles ont été organisés dans l’église de Badea Cârstei. Ils étaient munis de leurs médaillons où il était mentionné le nom, le régiment auquel ils avaient appartenu, l’âge, enfin toutes ces données qui auraient facilité l’identification d’une personne. »
Une semaine après le changement de régime du 23 août 1944, lorsque Bucarest avait rejoint le camp des Alliés, les Américains sont venus et ont récupéré les dépouilles, pour les amener à Oklahoma, d’où ils étaient originaires.
Gheorghe Barbul, le secrétaire personnel du maréchal Ion Antonescu, le Duce roumain, mentionnait lors d’une interview de 1984 sur les ondes de Radio Free Europe les négociations déroulées en catimini durant la guerre entre les Roumains et les Américains, dans le dos des Allemands : « Le premier contact direct avec les Américains avait été réalisé à Stockholm par Rădulescu, le chef de cabinet de Mihai Antonescu, ministre des Affaires étrangères de l’époque. Son interlocuteur était un envoyé personnel du président Roosevelt en Europe. Ce dernier n’avait pas de qualité officielle. Le président américain n’utilisait pas les canaux diplomatiques officiels pour négocier séparément avec les alliés des Allemands, pour ne pas s’attirer les foudres des alliés. Le résultat de ces contacts avait été synthétisé par Mihai Antonescu de la manière suivante : les Américains s’inquiétaient de savoir où exactement les deux armées, soviétique et anglo-américaine, allaient faire jonction sur le sol européen. Et de fait, ce genre de raisonnement confortait le maréchal Antonescu dans son analyse qui faisait qu’en résistant le plus longtemps aux Soviétiques, la Roumanie servait les intérêts des Anglo-Américains. »
Après la défaite de l’Allemagne nazie, la Roumanie s’est tournée vers la diplomatie américaine, seule en mesure selon elle de préserver le pays du rouleau compresseur des communistes, propulsés au pouvoir par les armées soviétiques d’occupation. Des espoirs fous se faisaient alors jour, certains nourrissant l’espoir d’un débarquement des anglo-américains dans les Balkans. Il s’agissait évidemment d’une illusion.
Radu Campeanu, un des leaders du parti libéral, mentionnait dans une interview donnée en 2000 le peu d’influence de la diplomatie américaine dans les affaires intérieures de la Roumanie d’après-guerre : « Nicolae Penescu, secrétaire-général du parti national-paysan, m’avait raconté un épisode qui s’était déroulé fin 1944. Le parti national-paysan, par peur de la répression des communistes qui venaient de prendre le pouvoir, conservait une partie de ses archives sensibles chez un certain monsieur Melbourne, officier de liaison de la mission américaine en Roumanie. Et une fois, au café, ce Melbourne leur avait avoué : les officiels américains disposaient d’une marge de manœuvre réduite pour intervenir en Roumanie. Il fallait s’entendre avec les Soviétiques, il fallait se tourner vers eux et trouver un terrain d’entente. Et Penescu se rend ensuite chez Maniu, le président de son parti, pour rapporter les propos de Melbourne. Et vous savez quelle a été la réaction de Maniu ? Il prit sa main et lui dit : nous, on va poursuivre comme avant. C’est-à-dire sans conclure le pacte avec le diable, avec les communistes ».
Et même si les aléas de l’histoire ont fait que la Roumanie et les Etats-Unis se soient à nouveau retrouvés dans des camps politiques opposés de 1945 à 1989, leurs relations bilatérales ont redémarré sur de meilleurs auspices une fois que la Roumanie est parvenue à se libérer de la dictature communiste et de l’influence soviétique. (Trad Ionut Jugureanu)