La politique balkanique de la Roumanie après la Seconde guerre mondiale
C’est à peine après la mort de Staline en 1953 que la Roumanie a commencé à manifester ses propres initiatives dans la région et à essayer de passer outre les barrières imposées par la séparation des Balkans en blocs militaires et politiques différents à l’après-guerre. Alors que la Roumanie, la Yougoslavie, la Bulgarie et l’Albanie étaient contrôlées par des régimes communistes, la Turquie et la Grèce évoluaient dans l’espace de la démocratie libérale.
Steliu Lambru, 24.08.2015, 13:59
C’est à peine après la mort de Staline en 1953 que la Roumanie a commencé à manifester ses propres initiatives dans la région et à essayer de passer outre les barrières imposées par la séparation des Balkans en blocs militaires et politiques différents à l’après-guerre. Alors que la Roumanie, la Yougoslavie, la Bulgarie et l’Albanie étaient contrôlées par des régimes communistes, la Turquie et la Grèce évoluaient dans l’espace de la démocratie libérale.
Après 1956 et l’intervention contre la révolution anticommuniste de Hongrie, pour améliorer son image internationale, l’Union soviétique a laissé aux pays qu’elle contrôlait une certaine liberté de mouvement. En Roumanie, les Soviétiques sont même allés plus loin et ont retiré leurs troupes en 1958.
Les communistes roumains ont utilisé ce délestage en essayant surtout de se rapprocher des autres pays balkaniques, du point de vue économique et culturel. Valentin Lipatti a été ambassadeur, essayiste et traducteur. Interrogé en 1995 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, il a mentionné l’initiative de dénucléarisation des Balkans : «Après la guerre, la première initiative roumaine plus importante a été lancée par le premier ministre de l’époque, Chivu Stoica, en 1957, sur la dénucléarisation des Balkans. C’était une initiative téméraire, importante, mais qui s’est heurtée à de grandes réticences, il va sans dire. Si la Bulgarie et la Yougoslavie étaient favorables à un tel processus de transformation des Balkans en une zone sans armes nucléaires, la Grèce et la Turquie, qui appartenaient à l’OTAN, s’y sont opposées. L’initiative, bien que belle, n’a pas connu un grand succès. Après une année ou deux, ce n’est pas qu’elle a été enterrée, mais elle a été maintenue dans une sorte de léthargie. Pourtant, cette idée a proliféré dans le monde et par la suite, les zones dénucléarisées se sont élargies dans d’autres points du globe. »
Comme la barrière entre le monde communiste et celui démocratique semblait insurmontable, il ne restait qu’une seule solution pour la franchir : la coopération culturelle. Valentin Lipatti : « Parallèlement à cette initiative gouvernementale renvoyant à un domaine militaire très complexe, les pays des Balkans ont mis en place une coopération non gouvernementale significative. Ils ont donc coopéré dans les domaines scientifique, culturel et éducationnel. Des années durant, la coopération multilatérale dans les Balkans s’est déroulée sur le plan non gouvernemental, plus facile à mettre en pratique et moins restrictif. L’Union médicale des Balkans datant de l’entre-deux-guerres, l’Union balkanique des mathématiciens, créée en 1963, ou encore l’Association Internationale des Etudes de l’Europe de l’Est figurent parmi les nombreuses associations et organisations professionnelles à avoir préservé le climat de confiance et de coopération au sein des milieux scientifiques et professionnels des Balkans. »
Bien que chargé de la coordination des actions culturelles, le Comité de coopération balkanique, dirigé par Mihail Ghelmegeanu, a rencontré un succès plutôt limité. Valentin Lipatti : « Le Comité de Coopération Balkanique, mené par Mihail Ghelmegeanu, était un comité non-gouvernemental, qui œuvrait en faveur de la paix. Vous savez, à l’époque, c’était une véritable mode de créer des organismes de lutte en faveur de la paix, d’organiser des conférences régionales pour la paix et contre l’impérialisme. On assiste donc à la mise en place de ce Comité de défense de la paix dans les Balkans qui se voulait une structure multilatérale, sans dérouler pourtant des activités majeures. Par contre, les associations professionnelles de médecins, architectes, géologues, scientifiques, archéologues, historiens et écrivains étaient vraiment importantes, puisqu’elles s’avéraient efficaces sur le plan de la collaboration dans la région des Balkans. Tous ces organismes coopéraient concrètement dans les domaines mentionnés à travers de nombreuses études, recherches, publications, colloques. Une coopération qui permettait aux pays concernés de préserver un climat de bon voisinage, de confiance et d’amitié. »
Les vices de cette politique ont été découverts en 1976, lors d’une réunion gouvernementale consacrée à la coopération économique et technique. Valentin Lipatti explique : « L’objectif que la Roumanie poursuivait attentivement, tout comme la Yougoslavie, la Turquie, et, dans une certaine mesure, la Grèce, était de se doter d’une procédure de suivi. C’est à dire d’un cadre institutionnel puisqu’une conférence, si elle est unique, elle ne vaut pas trop, on l’oublie facilement. Et c’est à ce moment-là que nous nous sommes heurtés à l’opposition ferme de la Bulgarie. Nos amis bulgares sont arrivés avec un mandat extrêmement restrictif. Ils ont déclaré tout simplement que leur mandat ne leur permettait pas de prendre des décisions. Toute décision se prenait sur base de consensus, et le consensus à cinq était facile à obtenir. Mais il suffisait qu’un des cinq dispose d’un droit de veto pour que toute décision soit bloquée. La Bulgarie faisait la politique des Soviétiques, et à l’époque Moscou ne voyait pas d’un bon œil toute coopération économique, susceptible d’échapper à son contrôle, dans les Balkans. L’URSS voyait un danger dans ce mini-marché commun des Balkans, où, certes, la Roumanie et la Bulgarie étaient des pays socialistes, mais la Turquie, la Grèce et la Yougoslavie non-alignée risquaient de porter cette coopération dans une direction que l’Union soviétique ne voulait pas. Et alors les Bulgares ont reçu l’ordre de bloquer les suites des conférences. Ce coup dur des Bulgares a bloqué pour longtemps le développement multilatéral. »
La politique de la Roumanie dans les Balkans a connu à l’époque du Rideau de Fer des succès plutôt limités. Les intérêts divergents au sein du même bloc, tout comme les différences en termes de régime politique ont constitué autant de raisons pour qu’aucun pays balkanique n’arrive à s’affirmer dans le domaine de la coopération régionale.