La paix de Buftea-Bucarest – un traité à plusieurs visages
La campagne militaire de la Roumanie dans les années 1916-1917 s’est achevée par la paix de Buftea-Bucarest, conclue en mai 1918. Après l’installation du régime soviétique, dans la foulée de la révolution bolchevique de Russie, le nouveau pouvoir en place à Saint-Pétersbourg dénonça le caractère impérialiste de la guerre et décida de conclure la paix. Restée seule sur le front de l’Est, la Roumanie se vit contrainte de réclamer elle aussi la paix. Une paix aux lourdes conditions imposées par le vainqueur. En sortant de la guerre, la Russie porta un coup dur à la Roumanie, son geste étant perçu comme une trahison en ces temps-là.
Steliu Lambru, 13.03.2017, 15:17
L’armée roumaine, décimée par le typhus exanthématique, était dans l’impossibilité de repousser à elle seule l’offensive allemande. A cela s’ajoutait l’anarchie semée par les soldats russes, lesquels, acquis aux idées du bolchevisme, entendaient propager cette idéologie partout. Ceci étant, la paix apparaissait comme la dernière solution possible pour sauver ce qui pouvait encore l’être.
Sorin Cristescu, qui enseigne l’histoire à l’Université « Spiru Haret » de Bucarest, détaille le contexte européen dans lequel s’étaient produites la sortie de guerre de la Russie et la signature des deux traité de paix consécutifs : « La sortie de guerre de la Russie, suite à la victoire du coup d’Etat bolchevik du 7 novembre 1917, a donné le coup d’envoi des pourparlers de paix, comme prévu. Exilé en Suisse, Lénine allait rentrer en Russie grâce à l’aide des Allemands. Il y arriva après avoir traversé la Suède et la Finlande. Il voulait justement organiser un coup d’Etat pour s’emparer du pouvoir et conclure une paix séparée, de sorte que les Allemands puissent se déplacer de Russie en France et gagner la guerre. Le 3 mars 1918 furent scellées la paix de Brest-Litovsk et celle de Buftea-Bucarest. Le 7 mai, la paix avec la Roumanie allait être signée, au Palais de Cotroceni, à Bucarest. Une paix asservissante, amputant le pays de sa frontière montagneuse, qui revenait à l’Empire d’Autriche-Hongrie, et de la province de Dobroudja, qui devenait condominium germano-bulgare. En outre, les gisements de pétrole faisaient l’objet d’une concession pour une période de 90 ans. »
Aux termes de la paix de Buftea-Bucarest, la Roumanie se voyait contrainte de céder à la Bulgarie le sud de la Dobroudja, également connu sous le nom de « Quadrilatère » et même une partie du nord de cette province qui n’avait jamais appartenu au pays voisin. Par ailleurs, l’Autriche-Hongrie allait s’emparer du contrôle des défilés des Carpates. Une petite concession était pourtant faite à Bucarest, même si elle n’était pas consignée dans le traité. Il s’agit du fait que les Puissances centrales acceptaient l’union de la Bessarabie avec la Roumanie, et ce en vertu d’un calcul élémentaire: éviter l’hostilité que les Roumains auraient pu éprouver à leur égard, en raison des pertes territoriales qu’ils devaient subir et de la concession d’exploitation de leurs ressources naturelles.
Le Traité a été ratifié par le Parlement roumain durant l’été 1918, mais il n’a jamais été promulgué par le Roi Ferdinand Ier de Roumanie. Heureusement, les termes du traité ont été valables uniquement six mois parce qu’à la fin octobre 1918, le gouvernement du premier ministre Alexandru Marghiloman a déclaré qu’ils n’étaient pas valables et la Roumanie a recommencé les hostilités.
Malgré les apparences, affirme Sorin Cristescu, le traité de paix de Bucarest a été positif pour la Roumanie : « Mais il faut mentionner que même si ses conditions étaient injustes, la paix de Buftea-Bucarest est une importante victoire diplomatique de l’Entente, constatée en tant que telle par le Parlement allemand. A l’époque, dans le législatif de Berlin, on disait « à partir de maintenant, personne ne pourra s’assoir à la table des négociations avec nous ». Tout le monde a constaté que les Puissances centrales, leurs leaders en fait, n’étaient qu’une bande de malfaiteurs, qui pillaient les vaincus, et dès lors les diplomates des Puissances centrales n’ont jamais pu s’assoir à la table des négociations avec ceux d’un autre pays. Les Etats-Unis étaient également entrés dans la guerre et la politique américaine affirme que l’adversaire ne pourra jamais être un partenaire de négociations, que l’adversaire n’est que l’auteur d’une infraction de droit commun qui doit absolument être déféré à la Justice. L’idée que les leaders des Puissances centrales pourraient négocier quelque chose avec quelqu’un fut définitivement abandonnée. Evidemment qu’en France des affiches sont apparues illustrant la paix faite par les Puissances centrales avec des titres tels « Ils veulent la paix ? Oui, mais d’abord il faut les vaincre ! » « Vaincre d’abord ! » Certes, les conditions de la paix ont été désastreuses pour nous, mais la défaite diplomatique et la perte de crédibilité de la diplomatie allemande a été de beaucoup plus dramatique. »
Sorin Cristescu affirme que la perte de la crédibilité allemande avait commencé même avant la fin de la guerre : « Elle a eu lieu en 1918. Mais en 1914, les quotidiens du monde publiaient à la Une la réponse donnée par le chancelier allemand Bethman-Hollweg à la déclaration de guerre du Royaume-Uni : « Vous déclarez la guerre pour un bout de papier ? ». Alors l’opinion publique a réagi affirmant que pour la diplomatie allemande, les traités internationaux n’étaient que des bouts de papier sans aucune valeur. Le traité qui garantissait la neutralité de la Belgique avait été signé en 1831 par les représentants de l’Angleterre, de la France et de la Prusse. Le 12 décembre, après la conquête de Bucarest, le 6 décembre 1916, les Puissances centrales ont envoyé à l’Entente une offre de paix pas tout à fait détaillée. La réponse est venue quelques jours plus tard. L’Entente disait que l’offre était faite par des personnes qui comptaient gagner la guerre en trois mois. Mais voilà qu’après deux années, les mêmes gens se rendaient compte que leurs objectifs étaient impossibles à atteindre. Les deux traités de paix, ceux de Brest-Litovsk et de Bucarest, ont carrément éliminé la diplomatie allemande de toute formule de négociation ».
A la fin de la première conflagration mondiale, la Roumanie a compté parmi les pays à avoir gagné la guerre. Le traité de Buftea-Bucarest n’est devenu qu’un mauvais souvenir, qui n’a pourtant jamais été effacé de la mémoire collective. (trad. : Mariana Tudose)