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La mémoire d’un quartier disparu : Uranus

Le centre actuel de
Bucarest qui abrite notamment l’imposant bâtiment du parlement, la Place de la constitution,
et les sièges des principales institutions de l’Etat a été érigé au début des
années 80 selon les plans pharaoniques de Nicolae Ceausescu sur les ruines d’un
quartier paisible, détruit à coups de pelleteuses et des bulldozers. En effet,
il y a 40 ans, l’on pouvait encore parcourir ce charmant quartier Uranus,
tellement typique du vieux Bucarest. L’on pouvait y voir les bâtiments du vieil
Arsenal, un stade, des églises et de petites maisons pittoresques, bordant des
ruelles pavées, étroites, érigées en pente. 90% de ce quartier partira en poussière
dans les années 80 pour faire place nette à la dernière folie du régime
communiste de Nicolae Ceausescu : bâtir le centre administratif de son
pouvoir.

, 10.04.2023, 13:27

Le centre actuel de
Bucarest qui abrite notamment l’imposant bâtiment du parlement, la Place de la constitution,
et les sièges des principales institutions de l’Etat a été érigé au début des
années 80 selon les plans pharaoniques de Nicolae Ceausescu sur les ruines d’un
quartier paisible, détruit à coups de pelleteuses et des bulldozers. En effet,
il y a 40 ans, l’on pouvait encore parcourir ce charmant quartier Uranus,
tellement typique du vieux Bucarest. L’on pouvait y voir les bâtiments du vieil
Arsenal, un stade, des églises et de petites maisons pittoresques, bordant des
ruelles pavées, étroites, érigées en pente. 90% de ce quartier partira en poussière
dans les années 80 pour faire place nette à la dernière folie du régime
communiste de Nicolae Ceausescu : bâtir le centre administratif de son
pouvoir.


L’historienne Speranța Diaconescu travaillait
en 1975 à l’Office du Patrimoine culturel de Bucarest. Et c’est en cette
qualité qu’elle avait pu suivre de près la destruction systématique du paisible
quartier. Son interview, enregistrée en 1997, a été conservée par le Centre d’histoire
orale de la Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-la :


« Uranus
était un quartier historique de Bucarest. Le musée d’histoire de Bucarest avait
voulu cartographier la zone. Il devait le faire, cela faisait partie de sa
mission, car il fallait faire connaître aux générations futures ce qu’avait été
en ce lieu. Et puis, les équipes de cartographes du musée ont étendu leur
action pour couvrir toutes les zones qui allaient être démolies dans la ville
de Bucarest selon le nouveau plan d’urbanisme concocté par le régime. Pour conserver
la mémoire de ce qu’avait été Bucarest avant les destructions volontaires
ourdies par le régime. Alors, voyez-vous, le musée d’histoire de Bucarest
détient grâce à cela les fiches de tous les bâtiments démolis dans les années
80 à Bucarest, qu’il s’agisse de simples maisons modestes ou de véritables hôtels
particuliers. Les informations reprises dans ces fiches rendent aussi de la
situation socio-professionnelle des propriétaires, des locataires. C’est une
photographie, peut-être pas suffisamment détaillée, mais une photographie de ce
Bucarest disparu. »


Les urbanistes, les
architectes de l’époque étaient bel et bien au fait de l’énormité de la
démarche destructrice du régime. Certains ont bataillé ferme pour tenter de
sauver ce qui pouvait l’être. Speranța Diaconescu :


« Lorsque
les travaux de démolition avaient démarré, nous agissions en vertu du décret-loi
120 de 1981. L’on pouvait essayer de sauvegarder certains éléments de patrimoine,
certains éléments de décoration. Un vitrail par exemple, une porte, des parties
entières d’un bâtiment qui nous semblaient faire partie du patrimoine culturel.
Mais l’on se trouvait devant le rouleau compresseur des ordres politiques. Il
fallait faire vite. L’on nous disait : allez commencer à faire l’inventaire
des bâtiments qui se trouvaient en tel endroit. On y allait, on commençait à
faire l’inventaire, et puis les bulldozers se pointaient le lendemain, ou le
surlendemain. Parfois, l’on n’arrivait même pas à accomplir les démarches
administratives nécessaires pour commencer l’inventaire que les bâtiments que l’on
devait répertorier étaient déjà à terre. Il était rare que l’on dispose d’une
semaine pour effectuer notre travail. C’était tout bonnement insensé »
.


De fait, la folie
destructrice du régime n’avait que faire des réticences des spécialistes. Speranța
Diaconescu à nouveau :


« Il
m’est arrivé de faire l’inventaire de certains hôtels particuliers. C’étaient
de véritables palais. Je me souviens encore de certains vitraux, des portes
anciennes des miroirs ou que sais-je encore. Et si aujourd’hui, je parvenais à
répertorier ce qu’il fallait sauvegarder, il n’était pas rare à ce que je
constate que les démolitions avaient débuté le lendemain exactement là où j’aurais
voulu conserver des choses. Et je me suis alors rendu compte que, grâce à nous,
le régime se donnait bonne conscience, mais qu’en fait, nos efforts ne servaient
à rien. L’on était mains et poings liés.
»


Après la chute du régime
communiste fin 1989, Nicolae Ceausescu, renversé et tué pendant les heures terribles
de la révolution, avait été tenu pour seul et unique responsable de la destruction
des pans entiers du patrimoine architectural de la capitale roumaine. Pourtant,
il n’aurait rien pu faire seul, en l’absence de la complicité de ses ouailles. Speranța
Diaconescu :


« Je
suis navré, mais vous savez, pour ma part, Nicolae Ceausescu, aussi primitif et
insensé qu’on a pu le voir, était un mec rusé. Suffisamment rusé pour qu’il
signe les décrets qui devaient sauvegarder certaines parties de la ville de la
destruction toujours après que ces les travaux de démolition avaient été réalisés
sur le terrain. En fait, les décrets de démolition portaient généralement sur
des superficies très vastes. Il revenait ensuite à ce qu’un autre décret
exempte des effets du premier les monuments, les éléments de patrimoine. Et sur
ce décret, Ceausescu apposait sa signature toujours trop tard, lorsque les
démolitions avaient été déjà accomplies, lorsque tout avait été rasé. Or, ces
manigances ne pouvaient s’accomplir en l’absence de la complicité de certains,
prêts à tout faire pour mettre en œuvre au plus vite les désirs de destruction
du dictateur.
»


De nos jours, seule
une petite partie de l’ancien quartier Uranus, l’un de plus beaux quartiers du
vieux Bucarest, peut encore être admirée par le passant. Mais l’image de ce
quartier détruit par le régime communiste est sauvegardée encore dans la mémoire
de ses anciens locataires, dans leurs albums photo, mais aussi grâce aux
articles de presse, aux expositions et aux films qui ont été tournés dans ce
lieu une fois paisible et poétique de la capitale roumaine. (Trad.
Ionut Jugureanu)

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