La Maison du Peuple – un territoire non cartographié
Le Palais du Parlement de Bucarest demeurera certainement, pour beaucoup de temps encore, la construction la plus étrange de la capitale roumaine. S’élevant jusqu’à 84 mètres de haut, il est en soi un vrai spectacle. Ce bâtiment est, avant tout, le symbole du totalitarisme communiste, emblème d’une ville défigurée, il témoigne d’un goût douteux, affichant son inutilité et posant le dilemme d’une destination appropriée. Il est aussi un espace inconnu, un territoire encore non cartographié, bien que produit d’un régime qui contrôlait et savait tout.
Steliu Lambru, 17.02.2014, 14:54
Le Palais du Parlement de Bucarest demeurera certainement, pour beaucoup de temps encore, la construction la plus étrange de la capitale roumaine. S’élevant jusqu’à 84 mètres de haut, il est en soi un vrai spectacle. Ce bâtiment est, avant tout, le symbole du totalitarisme communiste, emblème d’une ville défigurée, il témoigne d’un goût douteux, affichant son inutilité et posant le dilemme d’une destination appropriée. Il est aussi un espace inconnu, un territoire encore non cartographié, bien que produit d’un régime qui contrôlait et savait tout.
La Maison de la République Socialiste de Roumanie fut le premier nom donné à ce bâtiment pharaonique érigé au centre de Bucarest et qui devait marquer «la nouvelle époque d’essor de la Roumanie, sans précédent dans son histoire».
Son projet fut conçu par une équipe de jeunes architectes coordonnée par Anca Petrescu. On a beaucoup parlé de cette construction, après la chute du communisme en 1989, et on croyait que l’on savait tout sur elle. Eh bien, on se trompait. De nombreuses histoires et légendes urbaines circulent sur ce bâtiment et sur Nicolae Ceauşescu, auquel il doit son existence. Augustin Ioan est professeur à l’Université d’Architecture et d’Urbanisme ”Ion Mincu” de Bucarest. Encore étudiant dans les années ‚80, lorsque ce bâtiment fut construit, notre invité connaît certaines sources de ces histoires sur le Palais du Parlement. « Une des sources était l’ancien recteur de l’Institut d’architecture, Cornel Dumitrescu, qui, après la mort de l’architecte personnel de Ceauşescu, Cezar Lăzărescu, l’a remplacé précisément durant cette période de construction de la fameuse Maison du Peuple. Dumitrescu était un habitué du Club A, le club de l’Institut, où les discussions sortait souvent des limites du discours public. Arrivé là, il buvait une bouteille de whiskey — pour pouvoir dire après qu’il était ivre quant il a parlé — et après il racontait ses rencontres avec Ceauşescu. Certaines d’entre elles étaient formidables, pourtant, on peut se demander combien vrai était ce qu’il racontait après une bouteille de whisky? On a parlé des dessins faits par Ceauşescu lui-même, pourtant personne ne les a vus. Un des architectes qui ont fait les projets de la Salle du Palais affirmait avoir assisté à la création d’un tel dessin. Ceauşescu aurait demandé que tous les boulevards soient rectilignes, « tracés au compas ». C’était une compréhension un peu spéciale de la notion de « ligne droite », qui devait, selon lui, être dessinée au compas. Entre autres — et ce n’est plus une légende urbaine — on sait qu’il ne comprenait pas du tout comment un bâtiment était construit. Toutes les modifications opérées suite à ses visites sur le chantier supposaient des travaux à l’échelle 1 sur 1, il n’a jamais été question de maquettes. C’était uniquement des constructions « grandeur nature » et démolies — parfois à plusieurs reprises — quand quelque chose ne lui plaisait pas. »
Les inconnues du Palais du parlement de Bucarest confèrent un air mystérieux et une atmosphère gothique à cette immense bâtisse. C’est une entité qui semble dévorer tous ceux qui entrent dans sa sphère, croit Augustin Ioan : « Cette Maison de la république est toujours un domaine non cartographié. La Maison du peuple semble être plus grande que ce que nous voyons actuellement. Il n’existe pas un plan général, parce que ce bâtiment a été dès le début classé secret défense et les travaux étaient réalisés par sections. Par exemple, le chef de projet d’une salle recevait uniquement le contour intérieur de la salle, mais il ne connaissait pas la structure de celle-ci. Je ne peux pas l’appeler objet architectural puisqu’il s’agit un ensemble d’objets. Cette structure est une véritable localité, en effet, en la dépliant elle s’étend sur la superficie d’une petite ville. Puis elle a détruit une partie de la ville, tout en s’éloignant de la ville. En plus, le bâtiment le plus publique de Roumanie est toujours entouré d’une muraille et protégé l’arme à la main. C’est tout simplement un objet rural, amplifié par plusieurs dizaines de fois, qui a une façade avant et une autre arrière. Et qu’est ce qu’il y a derrière ce bâtiment ? Et bien il y aura un boulevard appelé Uranus et la Cathédrale du Salut. »
La Maison de la république a alimenté aussi l’imagination de ceux qui croient dans l’existence des catacombes de la ville. Les passionnés du paranormal affirment qu’il existe un véritable Bucarest souterrain, qui intègre la Maison du Peuple, par le biais de plusieurs tunnels. Un tunnel existe certainement, comme l’affirme Augustin Ioan. Mais il existe aussi l’opinion conformément à laquelle l’immense édifice serait relié à d’autres bâtiments du quartier, tel celui du Ministère de la défense et même aux immeubles situés plus loin, tel le Palais de Cotroceni, siège de la présidence de la république. Le mystère est amplifié aussi par le fait que le palais s’étend sur 7 niveaux souterrains et qu’il dispose aussi d’un abri anti-atomique, pouvant accueillir 3 mille personnes.
Le Palais du Parlement et tout l’ensemble de bâtiments qui l’entourent forment un univers à part, séparé de la ville dans laquelle il n’a pas réussi à s’intégrer. Ce qui est certain, c’est qu’il est coûteux, puisque son budget est similaire à celui de Ploiesti, une ville de 228 mille habitants.( Trad. : Alex Diaconescu, Dominique)