La longue histoire des missions militaires françaises en Roumanie
Steliu Lambru, 21.11.2022, 11:06
La puissance
modernisatrice offerte par la France au monde a été incontestable, et l’espace
roumain n’est pas demeuré indifférent à l’appel de la France. L’influence de l’Hexagone
dans cet espace fut en effet aussi étendue qu’omniprésente, s’exerçant sous les
formes les plus variées, depuis l’influence culinaire et jusqu’à la langue de
tous les jours, en passant par la mode ou par ce qu’on appelait à l’époque le
code des bonnes manières. Mais les grands moments de l’histoire appellent à des
arguments d’un autre genre que les seuls emprunts de mode. Et les arguments que
la France avait avancé pour épauler la Roumanie s’étaient matérialisés par sa
présence militaire, à travers des missions envoyées en renfort à la Roumanie. Aussi,
c’est dans ce contexte que le musée national d’Histoire de la Roumanie a
récemment rendu hommage aux missions militaires françaises venues prêter main
forte aux troupes roumaines à travers les âges. Le directeur du musée, Ernest
Oberländer-Târnoveanu,
a tenu d’expliciter le rôle endossé par cette suite de missions militaires françaises
pour l’histoire roumaine des deux derniers siècles :
« Vous savez, l’on a coutume de
dire qu’une image vaut mille mots. Quant à moi, je dirais plutôt qu’un seul acte
concret que l’on pose vaut mille promesses. Et cela est encore plus vrai lorsque
l’on regarde l’action de la France, ancien et fidèle ami de la Roumanie. Pratiquement,
depuis le milieu du 19e siècle, la France a été constamment aux côtés
de la Roumanie. Et ces liens de cœur et de raison doivent être célébrés comme
il se doit. Il faut remémorer cela, rappeler cela, à nos concitoyens, à nos
amis et à nos partenaires, français et européens. Et c’est bien ce que notre exposition
entend faire : rappeler les faits d’armes, rappeler la présence militaire
française en Roumanie, dès 1855, voilà bientôt 150 ans depuis. Rappeler aussi
1916, puis 1918, lorsque la mission militaire française a joué un rôle
essentiel dans la réorganisation des troupes roumaines et qu’elle s’est battue
pour la sauvegarde de l’Etat roumain, indépendant et souverain. Mais nos
rapports se sont poursuivis au-delà de la Grande Guerre, durant les années 20
et 30, lorsque la Roumanie était un allié de poids de la France dans l’Europe de
l’Est et les Balkans. Avec la Pologne, la Roumanie faisait barrage aux visées
révisionnistes et totalitaires qui nous ont malgré tout emporté dans la
Deuxième guerre mondiale ».
Car c’est en 1855, pendant
la guerre de Crimée, que la France envoyait une première mission sur le sol de
ce qu’allait devenir la Roumanie de demain, une mission qui prenait ses
quartiers dans le Dobroudja, avant de construire la route qui relie la ville de
Constanța au village de Rasova. Dirigée par l’ingénieur Léon Lallan, la mission française
comptait encore sur les compétences de l’ingénieur Jules Michel, des géologues
Blondeau et Gaudin, du médecin Camille Allard, du topographe roumain Aninoșeanu,
s’appuyant sur la vigilance d’une garde composée de seulement 8 militaires.
Puis, dès 1857, l’on retrouve des officiers français commencer à former les
premiers détachements roumains, en Moldavie.
Mais la première mission
militaire française officielle n’est envoyée qu’en 1860 par l’empereur Napoleon
III à la demande du prince régnant Alexandru Ioan Cuza, celui qui venait d’unifier
les provinces historiques de Moldavie et de Valachie dans un même Etat. La
mission, dirigée par le sous-intendant Guy Le Clerc, comprenait des officiers
et des sous-officiers chargés de préparer l’arrivée des troupes françaises. L’année
d’après, en 1861, c’est le colonel de cavalerie Zenon Eugène Lamy qui prendra les rênes de la
mission, épaulé par des officiers d’état-majeur, mais aussi par des officiers
et des sous-officiers d’artillerie, de cavalerie, de génie, chargés de former
les forces armées du nouvel Etat roumain, des forces qui avaient été dotées d’armement
de provenance française. Et bien que cette première mission militaire française
plie bagage en 1869, la loi d’organisation de l’armée roumaine, adoptée en 1867,
est et restera d’inspiration française.
Sans doute, d’une célébrité
autrement plus durable jouira la mission militaire envoyée par la France à l’automne
1916, à un moment charnière de la guerre qui opposait la Roumanie, dont les 2/3
de son territoire étaient occupées, aux Empires centraux. Dirigée par le
général Henri Mathias Berthelot, la mission militaire française, adoubée d’une
mission sanitaire, a fait d’un coup remonter le moral des Roumains, qui voyaient
alors la France comme unique bouée de secours. Mais son rôle s’est avéré particulièrement
décisif dans l’instruction des troupes roumaines, qui avaient été dotées d’armes
d’origine franco-britannique. Et la compétence stratégique du général Berthelot
fut ensuite mise en évidence lors de la brillante campagne de l’été 1917, dans
les batailles héroïques de Mărăști, Mărășești și Oituz.
Aujourd’hui, la Roumanie
accueille, pour la 3e fois dans son histoire, une nouvelle mission militaire
française. Intitulée AIGLE, démarrée à l’été 2022 dans la base de Cincu, près
de Brașov, les objectifs de cette mission nous sont détaillés par Ernest Oberländer-Târnoveanu :
« Nous nous trouvons dans un
moment critique, à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Et dans ce
contexte délétère, la France s’est à nouveau montrée prête à s’investir, en
vrai partenaire et allié de confiance, qu’elle a depuis toujours été pour la
Roumanie. La France a envoyé des troupes et des ressources militaires
conséquentes dans cette mission censée protéger non seulement notre pays, mais
encore la région de la mer Noire, l’Europe de l’Est, et le monde démocratique
dans son ensemble des possibles conséquences néfastes d’un acte agressif orchestré
par la Russie dans la région. La mission française défend ainsi la Roumanie,
mais elle défend plus largement tout le continent européen, et l’ordre mondial,
fondé sur le respect du droit international et sur la démocratie ».
Quoi qu’il en soit, une
chose est sûre : les missions militaires françaises ont depuis toujours
marqué les grands moments de l’histoire de la Roumanie moderne. Et la présence
de la mission Aigle sur les terres roumaines ne fait que confirmer, encore une
fois, une amitié franco-roumaine aussi solide que le roc.
(Trad Ionut Jugureanu)