La Jeunesse artistique roumaine au 19e siècle
La première génération de jeunes roumains qui a revendiqué en tous mots le rejet de l’ordre établi s’était coagulée à Iasi, au 19e siècle, autour d’un groupe littéraire et esthétique, intitulé, à juste titre, « Junimea ». L’appellation même du groupe revendique l’âge jeune comme critère définitoire, le terme roumain de « june », du latin « juvenem », se traduisant tout simplement en français par jeune. « Junimea » est à la fois un courant littéraire et artistique, une association homonyme fondée en 1863, dans la ville d’Iaşi et que l’on voit prendre ses quartiers à Bucarest en 1885, et une communauté de gens d’art et de lettres, partageant une vision commune. A la fin de 19e siècle et au début du 20e, la jeunesse européenne semble d’ailleurs mûe par l’idée du changement, sinon de la révolution. Prônant les formes esthétiques radicales de la modernité dans l’art, l’on voit ainsi apparaître dans l’espace francophone l’Art Nouveau, et l’art de type Sécession, ou Jugendstil, dans l’espace germanophone, qui s’inspire du nom de la revue de l’avant-garde artistique viennoise, intitulée « Jugend ».
Steliu Lambru, 08.07.2019, 13:00
La première génération de jeunes roumains qui a revendiqué en tous mots le rejet de l’ordre établi s’était coagulée à Iasi, au 19e siècle, autour d’un groupe littéraire et esthétique, intitulé, à juste titre, « Junimea ». L’appellation même du groupe revendique l’âge jeune comme critère définitoire, le terme roumain de « june », du latin « juvenem », se traduisant tout simplement en français par jeune. « Junimea » est à la fois un courant littéraire et artistique, une association homonyme fondée en 1863, dans la ville d’Iaşi et que l’on voit prendre ses quartiers à Bucarest en 1885, et une communauté de gens d’art et de lettres, partageant une vision commune. A la fin de 19e siècle et au début du 20e, la jeunesse européenne semble d’ailleurs mûe par l’idée du changement, sinon de la révolution. Prônant les formes esthétiques radicales de la modernité dans l’art, l’on voit ainsi apparaître dans l’espace francophone l’Art Nouveau, et l’art de type Sécession, ou Jugendstil, dans l’espace germanophone, qui s’inspire du nom de la revue de l’avant-garde artistique viennoise, intitulée « Jugend ».
C’est dans ce contexte qu’apparaissait en Roumanie « Tinerimea artistică », la Jeunesse artistique, courant moderniste qui reprenait au mot près les thèmes et les concepts qui venaient juste de commencer à s’imposer à l’Ouest de l’Europe. Le philosophe de l’art Erwin Kessler considère que la naissance de la Jeunesse artistique marque en quelque sorte l’adhésion des Roumains au changement de paradigme qui se fait sentir dans ce domaine en Occident. Ecoutons-le : « Beaucoup de ces nouvelles formes, les attitudes et les créations qui voient le jour à ce moment-là trouvent leurs racines non pas dans un trop plein, mais dans une absence, dans un manque, une frustration. En dépit du nom que cette association se donne, un nom qui nous renvoie à de nouveaux débuts, à la jeunesse et au printemps, en dépit de cet air printanier qu’il suggère, le mouvement naît d’une frustration. La frustration que les jeunes artistes ressentaient par rapport aux artistes consacrés, aux « vieux ». A l’époque, on était loin d’imaginer pouvoir donner du crédit à l’art produit par un étudiant par exemple. Les jeunes n’avaient pas d’espace pour s’exprimer, le canon artistique était de la compétence des anciens. C’est de là que part la frustration de cette génération de jeunes de 30, 35 ans, qui fondent le mouvement. »
L’exposition universelle de 1900, organisée à Paris, a représenté l’Evènement, avec un grand E, de cette période. Car tous les pays se sont ingéniés à se présenter sous leur meilleur jour. Erwin Kessler. « La Jeunesse artistique est apparue dans le sillage de la frustration qui s’est appelée l’Exposition universelle de Paris, déroulée du 14 avril au 12 novembre 1900. C’était l’exposition qui a marqué La belle époque. L’Exposition universelle c’était l’occasion pour la géopolitique de se mettre à la table de la culture, l’endroit qui marqua de son empreinte l’histoire de notre civilisation au début du 20e siècle. Quant à la Roumanie, c’était l’occasion rêvée pour qu’elle se fraie une place, se fasse un nom, se construise une image dans le concert des nations. Mais, à l’époque comme à présent, la Roumanie était une nation schizoïde, tiraillée entre modernité et culte des traditions. On voit ainsi apparaître un pavillon national en forme de sonde de pétrole, reflétant donc une image de modernité, outrancière pour l’époque. Puis, à l’intérieur de cette Roumanie industrielle et industrieuse, on découvre exposés des icônes, des blouses roumaines, l’art paysan dans toute sa splendeur, et l’art paysan vivant aussi, illustré par des jeux et des danses ancestraux. La carte de visite roumaine était cela : un pays d’apparence moderne, avec un reliquat extrêmement puissant de tradition paysanne. Cela dit, aussi incongru que cela puisse paraître, le pavillon roumain reflétait une réalité : 75% de la population roumaine d’alors vivait de l’agriculture et peuplait la campagne. »
Nicolae Grigorescu, le fondateur de l’école roumaine de peinture, était, disons, le peintre officiel de l’époque. Mais il refuse d’exposer dans l’espace étriqué qui lui avait été alloué à l’intérieur du pavillon. Ce qui laisse, du coup, l’occasion à une nouvelle vague d’artistes de s’affirmer. L’exposition universelle de Paris de 1900 a représenté de fait le déclencheur de nouvelles énergies artistiques qui bouillonnaient déjà auparavant dans une parfaite ignorance. Erwin Kessler :« L’Exposition universelle marqua la cassure entre modernisation et modernité. Là où l’on voit s’affirmer la nouvelle génération : Ştefan Luchian, Theodor Pallady, des tout grands en fait. Ils ont relevé le défi d’accepter d’exposer dans cet espace étriqué, minable, dans un petit coin du Grand Palais. A l’époque, l’écrivain Dimitrie Olanescu notait : « La galerie est tellement inconfortable et isolée dans un coin du Grand Palais, c’était tellement frustrant pour ces jeunes artistes, qu’ils avaient du mal à imaginer quelque chose de meilleur à l’avenir ». Et c’est bien à partir de ce mécontentement des exposants que l’on voit surgir, un an plus tard, le 3 décembre 1901, ce mouvement initié par une demi-douzaine de ces jeunes artistes d’exception, qui se réunissent et forment ce qu’ils appelleront « Tinerimea artistică », la Jeunesse artistique. Parmi eux, l’on dénombre Ştefan Luchian, Gheorghe Petraşcu, Frederick Storck. »
Et bien qu’elle milite pour le renouveau du canon artistique, prônant le réalisme et les thématiques sociales, la Jeunesse artistique mettra les bases de ce que l’on appellera plus tard l’élitisme dans l’art roumain. Erwin Kessler toujours :« La Jeunesse artistique n’était pas la première association du genre en Roumanie. Dès 1890, on voit apparaître « Le Cercle artistique », soit une sorte de syndicat qui regroupait pêle-mêle tous les artistes de la nouvelle génération. La Jeunesse artistique se démarque en cela qu’elle devient une association fermée et, de fait, élitiste. Elle sera active depuis 1901 et jusqu’en 1947, lorsque le régime communiste va acter sa fin. Cette association n’a jamais fait paraître le moindre manifeste ou traité d’esthétique, ni même de collection de professions de foi de ses membres. La Jeunesse artistique s’est en revanché chargée d’aider ses membres à exposer, de faire paraître les catalogues de ces expositions. Leur objectif premier était donc d’exposer dans des salles dédiées, gérées par les artistes eux-mêmes, des artistes habités par l’exigence de la modernité, et non pas d’exposer dans des lieux organisés par les pouvoirs publics. Et c’est là que réside une partie du caractère novateur de cette association. »
On assiste alors à la renaissance de l’art roumain à partir justement de cette frustration, de ce rejet des formes établies, du canon en vigueur en 1900. Une renaissance qui débouchera quelques années plus tard sur l’avant-gardisme, l’absurde et le surréalisme. (Trad. Ionuţ Jugureanu)