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La frontière de fer de la Roumanie

Dans les années ’80, de véritables tragédies dont on sait très peu se sont produites à la frontière ouest de la Roumanie. Des citoyens roumains qui ont essayé de franchir illégalement l’obstacle qui les séparait du monde libre ont été maltraités, emprisonnés ou tués. Certains d’entre eux ont réussi à s’échapper et arriver dans le monde libre, où ils ont raconté leur histoire et celles d’autres Roumains qui ont essayé de fuir l’enfer communiste. L’aventure de ceux qui ont tâché de passer la Danube à la nage reste également gravée dans notre mémoire.

La frontière de fer de la Roumanie
La frontière de fer de la Roumanie

, 11.01.2016, 14:05

Dans les années ’80, de véritables tragédies dont on sait très peu se sont produites à la frontière ouest de la Roumanie. Des citoyens roumains qui ont essayé de franchir illégalement l’obstacle qui les séparait du monde libre ont été maltraités, emprisonnés ou tués. Certains d’entre eux ont réussi à s’échapper et arriver dans le monde libre, où ils ont raconté leur histoire et celles d’autres Roumains qui ont essayé de fuir l’enfer communiste. L’aventure de ceux qui ont tâché de passer la Danube à la nage reste également gravée dans notre mémoire.



Selon Doina Magheţi et Johann Steiner, auteurs du livre « Les tombes se taisent », quelque 16 mille personnes auraient tâché de franchir illégalement la frontière occidentale de la Roumanie, dont 12 mille auraient été capturées. Ceux qui sortaient vivants de cette tentative étaient condamnés à 6 mois de prison. On ignore le nombre exact des victimes. Il y a de nos jours dans les cimetières des deux côtés de la frontière des tombes d’inconnus, personnes tuées pour avoir voulu vivre une vie meilleure.



Dan Dănilă est né à Sibiu et, en 1986, accompagné par un ami, il a essayé de traverser le Danube dans un canot pneumatique. Durant notre entretien, il s’est rappelé leur préparation psychologique avant la grande aventure: « La préparation de la traversée du point de vue psychologique, mental, a duré des années. Ce fut une véritable guerre intérieure entre la peur, le désespoir et le courage. Un courage qui naissait, en fait, de notre désespoir. Ce ne fut pas un acte irréfléchi. Nous avions finalisé nos études universitaires, nous étions jeunes, mais pas inconscients. Nous avons étudié la carte de la Roumanie, nous avons acheté d’autres cartes, nous avons appris à nous orienter à l’aide d’une boussole, nous avons acheté des costumes de pêche, ces costumes de camouflage qui imitaient les couleurs de la nature.


Depuis Herculane-les-Bains, la station du sud-ouest du pays, au lieu de nous diriger directement vers le Danube, comme le faisaient ceux qui voulaient traverser le fleuve, nous nous sommes dirigés dans l’autre sens, vers l’intérieur du pays, pour ne pas éveiller des soupçons. Nous sommes entrés dans une forêt et nous avons pénétré sur un terrain vierge, nous orientant avec la boussole. Et nous avons réussi. Après 4 jours et 4 nuits durant lesquelles nous avons dormi dans des conditions précaires, dans des fosses et des fossés, couverts de feuilles, nous avons enfin aperçu le Danube.


Cette nuit-là nous sommes descendus dans l’eau, nous avons lancé le canot et commencé à ramer désespérément. Nous ne parvenions pas à nous éloigner de la rive à cause du désespoir et de la peur d’être surpris et capturés, qui nous glaçait. Nous ne pouvions pas coordonner nos mouvements, nous ne cessions de remuer les rames de manière chaotique, tournant en rond un bon moment, à un mètre de la rive. »



L’été était la saison où les gens tentaient leur chance dans la lutte contre le Danube et les gardes-frontières. Pour les arrêter, les gardes-frontières roumains avaient recours à toutes les méthodes. Ceux qui avaient les ressources pour franchir le Danube sans se noyer d’épuisement ou de froid étaient tués par balles dans la tête ou étaient écrasés par les chaloupes. Ceux qui étaient attrapés étaient battus jusqu’à perdre connaissance ; certains ont même été tués et enterrés sur la frontière. Pour mener l’enquête contre eux, des chiens dressés étaient utilisés.



Dans d’autres cas, ceux qui franchissaient la frontière illégalement étaient tués par balles et laissés même plusieurs jours dans les champs pour servir d’exemple à d’autres qui auraient eu l’idée de faire de même. A maintes reprises, les autorités yougoslaves réclamaient à la partie roumaine que les équipements de pompage de l’eau dans les écluses de la centrale des Portes de fer étaient bouchés par les cadavres des personnes tuées par balles ou noyées. Dan Dănilă et son ami ont choisi une saison qui n’était pas propice à la tentative: « Nous avons traversé au printemps, c’était la fin mars-début avril. Nous avons préféré cette période-là parce que nous voulions surprendre les gardes-frontières. En été, il faisait plus chaud et il leur était plus facile de surveiller la frontière. Lorsqu’il faisait plus froid, le garde-frontière voulait se mettre à l’abri pour se réchauffer, lui aussi. En saison froide, les traversées étaient moins probables, la grande majorité se produisaient en été, lorsqu’il faisait chaud. Certains se permettaient même de traverser le Danube à la nage ou sur la terre ferme à hauteur de Timişoara. Nous avions partagé la frontière entre la partie terre ferme et la partie Danube, c’était notre langage secret. »



Les difficultés ne s’arrêtaient pas une fois dépassés les gardes-frontières roumains ; il n’y avait aucune garantie que leurs collègues hongrois ne les auraient pas refoulés vers la Roumanie. Ce qui est d’ailleurs arrivé à nos héros. Dan Dănilă : « Nous avons réussi le passage, nous sommes restés dans le camp de Belgrade pendant quelques mois et mon ami n’était pas très amateur de l’Amérique, il aurait préféré rester en Europe. Il a réussi à me convaincre à quitter le camp. Moi, j’étais assez influençable et timide, je n’ai pas su dire non. En essayant de franchir la frontière entre la Yougoslavie et l’Autriche, dans les Alpes slovènes, nous avons été attrapés par les gardes-frontières yougoslaves qui nous ont retournés en Roumanie. Nous savions que Nicolae Ceauşescu avait accordé une amnistie générale pour toutes les affaires pénales, c’est aussi pourquoi nous avions forcé les choses. Nous pensions que si nous avions été pris, nous n’irions pas en prison. Ils nous auraient battus et nous auraient laissé partir. »



Si on s’en tient strictement à la loi, toute tentative de passage illégal de la frontière reste une infraction. Mais lorsque la loi est un instrument d’un régime totalitaire et répressif, pour lequel justement le fait de fouler aux pieds les lois est la raison d’être, ceux qui essaient de s’échapper ne sont nullement coupables. Les Roumains qui essayaient de franchir la frontière ont été seuls dans la lutte contre le régime criminel, et le cas de Dan Dănilă et de son ami a montré comment le régime communiste traitait ses citoyens. (trad.: Dominique, Ligia Mihăiescu)

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