La faculté ouvrière
Le 6 mars 1945, le Parti communiste semparait du pouvoir en Roumanie avec laide de lURSS. Peu de temps après démarrait la transformation de la société selon le modèle soviétique. En 1948, la réforme de lenseignement rendait possible lapparition dun établissement scolaire bizarre, baptisé « faculté ouvrière », car lidéologie communiste considérait lUniversité comme une forme de manifestation de lexploitation capitaliste. Louvrier étant devenu lemblème du régime communiste, cette institution avait pour mission de former les gens de sorte à en faire des « hommes nouveaux ». Son second rôle consistait à servir au régime dinstrument de contrôle de la jeunesse étudiante.
Steliu Lambru, 01.08.2016, 13:33
Le journaliste de radio et de télévision Andrei Banc était étudiant vers le milieu des années 1950, lorsque cette faculté avait atteint son apogée. Dans une interview accordée en 2002 au Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Banc décrivait succinctement comment se déroulait ladmission des jeunes à la faculté ouvrière : « En 55, quand jai été admis à la faculté, le régime communiste comptait à peine une dizaine dannées, 9 plus exactement, si lon prend pour point de départ les élections de 1946. Dans ce laps de temps, on avait mis en place tout un appareil dEtat. Bien des ouvriers, donc des gens très peu instruits, mais issus dune couche sociale jugée saine, ont accédé à des postes de direction. Ils ont suivi à la va-vite les cours de lycée et puis deux années dans cette faculté créée à leur intention. En fait, cette faculté dune durée de deux ans équivalait à des études secondaires car ces jeunes navaient fréquenté que lécole primaire. Moi aussi javais achevé le lycée en 2 ans, selon le modèle soviétique. Plus dun tiers de mes collègues, beaucoup plus âgés que moi, étaient diplômés de cette faculté ouvrière. Comme ils étaient tous membres du parti communiste, ils exerçaient lencadrement dun point de vue politique de jeunes étudiants, qui navaient pas plus de 16 à 17 ans. »
Les étudiants de la faculté ouvrière étaient donc des gens mûrs, adeptes de lidéologie prônée par le régime et résolus à la défendre. Ils avaient également pour tâche dorienter la jeunesse, de veiller à sa formation éducationnelle et intellectuelle. Andrei Banc : « Si de nos jours, les frais émoulus des lycées ont 19 à 20 ans, à cette époque-là, la plupart de mes collègues ayant ce même âge étaient mariées et certaines dentre elles avaient déjà un enfant. Elles épousaient des hommes domiciliés à Bucarest pour trouver un emploi dans la capitale, après la faculté. Une bonne partie de mes collègues de faculté avaient presque le double de mon âge. Cela faisait une drôle dimpression. Cétait comme si un quadragénaire considérait un octogénaire. Ces gens dont je vous parle étaient mariés, avec enfants. Dans la majeure partie des cas, ils travaillaient parallèlement à leurs études. Ils avaient donc certaines responsabilités et ne pouvaient donc pas se permettre les folies auxquelles nous autres, les jeunes, nous adonnions en ces temps-là. Ils vivaient sous la pression, sous la contrainte de leur qualité de membres du parti communiste, de leur origine ouvrière. En plus, ils étaient conscients du fait que la moindre erreur leur aurait coûté lemploi, le carnet de membre du parti, la qualité détudiant. Or, comme ils avaient tous des familles à entretenir, les choses nétaient pas du tout simples. »
Par ailleurs, les leaders des organisations étudiantes provenaient sans exception de la faculté ouvrière. Andrei Banc : « Ils formaient, pour ainsi dire, le détachement appelé à encadrer les jeunes étudiants en philosophie et en droit. Chaque année détudes avait son secrétaire de parti. Le nôtre était quelquun de bien. Cest dire que tous ces individus nétaient pas abrutis. Cette personne-là, qui avait exactement le double de mon âge, était journaliste au quotidien « Munca » (Le Travail). Le bureau de lUnion de la jeunesse ouvrière était formé de jeunes élus sur des critères parfaitement démocratiques, alors que le secrétaire de parti, plus âgé et issu de la faculté ouvrière, était nommé à ces fonctions. Il y avait aussi une troisième catégorie, regroupant ceux qui avaient été admis à la faculté ouvrière, mais qui ne fréquentaient pas les cours car occupant des postes beaucoup trop importants. Ils se présentaient directement aux examens. Ce fut le cas de Dumitru Aninoiu aussi. Nous autres, jeunes étudiants appliqués, dont moi-même, nous aidions ces étudiants de la faculté ouvrière, qui peinaient à apprendre. Le nommé Aninoiu était directeur dans le domaine de la presse, même si sa formation ne le qualifiait pas pour un tel poste. De nos jours, les choses semblent être plus compliquées. Bref, il y avait deux groupes distincts: celui des jeunes folâtres et un autre, le détachement de la classe ouvrière formé de gens très sérieux. »
La faculté ouvrière a fait figure à part dans lenseignement supérieur de Roumanie. A commencer par 1960, cette véritable pépinière de cadres allait servir de base à lenseignement supérieur consacré à lidéologie du parti. (trad.: Mariana Tudose)