La crise politique de 1927
Dans l’histoire de l’humanité, les moments de crise n’anticipent jamais sur les développements ultérieurs. L’effondrement de la démocratie au cours de la première moitié du 20e siècle avait été annoncé par des signaux de crise, souvent pris à la légère par des sociétés qui espéraient voir les choses retrouver leur cours normal. Juste avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, les ennemis de la démocratie n’étaient pas totalement inconnus. En Roumanie, la crise démocratique s’est déclenchée en février 1938, lorsque le roi Carol II a supprimé les partis politiques, mis en page une nouvelle Constitution et instauré sa dictature personnelle.
Steliu Lambru, 20.02.2017, 13:20
Dans l’histoire de l’humanité, les moments de crise n’anticipent jamais sur les développements ultérieurs. L’effondrement de la démocratie au cours de la première moitié du 20e siècle avait été annoncé par des signaux de crise, souvent pris à la légère par des sociétés qui espéraient voir les choses retrouver leur cours normal. Juste avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, les ennemis de la démocratie n’étaient pas totalement inconnus. En Roumanie, la crise démocratique s’est déclenchée en février 1938, lorsque le roi Carol II a supprimé les partis politiques, mis en page une nouvelle Constitution et instauré sa dictature personnelle.
Pourtant, cet enchaînement n’est pas sorti du néant. La crise de la démocratie roumaine commençait déjà à se manifester en 1927, une année cruciale dans l’histoire politique de la Roumanie. Une année où le pays avait perdu deux grandes personnalités, le roi Ferdinand et l’homme politique libéral visionnaire Ion I. C. Brătianu, tous les deux fortement impliqués dans la création de la Grande Roumanie, suite à l’union du Royaume de Roumanie avec la Transylvanie et la Bessarabie, en 1918, à la fin de la première guerre mondiale. L’Etat roumain de l’entre-deux-guerres a toujours accusé le poids de cette perte, qui allait entraîner une dégradation accélérée de l’image publique de la monarchie et, pour le Parti national libéral de Brătianu, l’entrée dans une période de tensions et de scissions. L’année 1927 a également posé un autre problème à la société roumaine : assurer la succession au trône, puisque l’héritier du défunt roi était son petit-fils, Mihai, âgé de seulement 6 ans.
Florin Müller, professeur d’histoire roumaine contemporaine à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, revient sur l’évolution de la monarchie, après la mort du roi Ferdinand : « La mort du roi Ferdinand a produit des effets dans la durée, car elle a ouvert ce que l’on appelait, à l’époque, « la question fermée », et qui était, en fait, l’acte du 4 janvier 1926, lorsque le fils du roi, le prince Carol, avait renoncé à son droit au trône. Or, le décès de Ferdinand laissait ouverte la question de l’héritage. La régence était une structure provisoire, qui ne solutionnait pas le contenu de l’institution monarchique. Le roi Ferdinand n’avait pas été un chef d’Etat au style autoritaire, similaire à celui de Brătianu ou, encore moins, de son fils, Carol II. En revanche, grâce à lui, la monarchie a toujours été vue comme une institution solide et stable, sans les dérapages vers un pouvoir absolu enregistrés sous Carol II. Il faudrait aussi rappeler le penchant vers l’autoritarisme de la reine Marie, qui ne fut pourtant pas le véritable contenu de la monarchie sous Ferdinand. Ce roi avait donné une image sthénique de cette monarchie, qui était une institution de représentation, et non pas de pouvoir réel. »
Le Parti national libéral (PNL) n’a pas réussi à surmonter la mort de Brătianu et à lui trouver un remplaçant du même calibre. Une incapacité organisationnelle qui s’expliquerait par la manière dont l’ancien chef et premier ministre tenait en main le parti, considère Florin Müller : « Ion I C Bratianu a été celui qui a généré et organisé la démocratie libérale. Il a permis une démocratie limitée, dans le cadre conçu par le Parti national libéral, dans le sens où les réformes se réalisaient du haut vers le bas. C’est le pouvoir exécutif qui décidait au sujet du pouvoir législatif. Dans les années ’20 la caractéristique essentielle de la vie politique roumaine, qui allait avoir des conséquences pendant les années à suivre, a été la personnalité d’Ion I C Bratianu. Il concentrait dans ses mains un pouvoir démesuré. Les leaders du PNL exerçaient d’ailleurs un pouvoir trop grand par rapport aux usages du système démocratique. Par son style personnel, Bratianu n’a pas permis la création d’une élite politique libérale dans le sens classique du terme. On peut mentionner Ion Gheorghe Duca, son successeur à la tête du parti ou bien son frère, Vintila Bratianu, mais aucun des deux ne peut être comparé à Ion I C Bratianu. Seul Duca s’est rapproché du style de Bratianu, mais ce ne fut pas le cas pour les autres politiciens libéraux. »
C’est le Parti national paysan qui allait profiter de la crise qui secouait le Parti national libéral. Fondé en 1926 suite à la fusion entre le Parti national roumain de Transylvanie et le Parti paysan de l’ancien royaume de Roumanie, le Parti national paysan se voulait une alternative au régime instauré par les libéraux. Bénéficiant d’une vague de sympathie populaire, cette formation politique est arrivée au pouvoir en 1928 suite à la mort de Bratianu. Malheureusement le Parti national paysan n’a pas réussi à équilibrer les excès de pouvoir de l’autoritaire roi Carol II.
Florin Müller : « L’enjeu politique et idéologique du Parti national paysan était bien réel dans le sens où par le biais de toute une série d’arguments, les membres de ce parti attiraient l’attention du public sur le pouvoir oligarchique du Parti national libéral. Mais le Parti national paysan avait une rhétorique de gauche, pseudo-révolutionnaire, qui ne correspondait point avec les attentes sur le long terme de la société roumaine. Et même si ces tendances ont été liquidées par le caractère fort de son président, Iuliu Maniu, le Parti national paysan s’est confronté à un autre problème : la restauration, c’est-à-dire le retour du roi Carol II en Roumanie et son avènement au trône de Roumanie. On voit apparaître autour du roi Carol II une sorte de pôle de pouvoir parallèle, qui s’efforce de miner le Parti national paysan. Il est intéressant de remarquer que ce parti et notamment Maniu ont une position plutôt ambiguë à l’égard de la restauration. En contrepoids à Duca et au reste du parti, Maniu se déclarait favorable à une révision de l’acte du 4 janvier 1926. Mais le leader national paysan voulait que le retour de Carol II sur le trône se fasse selon les usages démocratiques, que le futur roi respecte la démocratie roumaine. Or Carol n’a jamais donné d’assurances et d’autant plus, il n’a jamais mis en œuvre ce que souhaitait Maniu : le respect des principes constitutionnels».
Un autre grand acteur politique qui allait jouer un rôle non négligeable sur la scène politique nationale à compter de 1927, ce fut la Légion de l’Archange Michel, un mouvement fasciste. Ses membres et partisans ambitionnaient de libérer la société de tous les maux du capitalisme. 1927 a marqué le passage d’une politique nationale paisible à une vie politique agitée, à une rhétorique politique construite autour du radicalisme. (Trad. Ileana Taroi, Alex Diaconescu)