La coopération au développement de la Roumanie
Les Etats socialistes avaient développé leurs propres politiques en matière de coopération au développement. La Roumanie socialiste de Nicolae Ceausescu ne pouvait pas être en reste.
Steliu Lambru, 26.06.2023, 10:13
L’un des changements majeurs qu’a eu lieu après la fin de la Deuxième guerre
mondiale a été le processus de décolonisation. Les anciennes métropoles ont bien
été, tour à tour, forcées de reconnaître l’indépendance de leurs anciennes
colonies. Pourtant, ces nouveaux Etats indépendants, moins développés et
souvent peu préparés à prendre en charge la gestion de leur pays, ne pouvaient éviter
de tomber victime aux convoitises des deux blocs, l’Est et l’Ouest, alors que
la guerre froide battait son plein. Aussi, le bloc socialiste, grand
pourfendeur du colonialisme, ne pouvait évidemment pas se désintéresser du sort
de ce que les politologues appelleront dans les années 80 le Sud global. Et c’est
dans ce contexte que les Etats socialistes développeront leurs propres
politiques en matière de coopération au développement. Certes, cachées bien
sous les bonnes intentions clamées haut et fort, l’ambition des Etats
socialistes de remplacer l’influence exercée encore par les anciennes métropoles
sur leurs anciennes colonies était transparente.
La Roumanie socialiste de Nicolae Ceausescu ne pouvait pas être en
reste. A partir des années 70, elle part ainsi résolument à la conquête du tiers
monde, suivant en cela une stratégie où la coopération en développement trouvait
toute sa place.
L’historienne Mia Jinga, de l’Institut pour
l’investigation des crimes du régime communiste et pour la mémoire de l’exile
roumain, analyse avec beaucoup de lucidité la politique internationale de la Roumanie
des années 1960-1980.
« L’intervention déployée par la Roumanie dans ce
cadre ratisse large, de l’aide humanitaire d’urgence, et jusqu’aux dispositifs
de coopération en développement consacrés. Au début, il s’agit surtout d’offrir
de l’aide d’urgence en cas de catastrophes naturelles : sécheresse, inondations,
tremblements de terre. Par la suite, l’intervention de la Roumanie se diversifie,
visant l’aide humanitaire apportée aux populations qui se trouvaient dans des régions
touchées par des conflits armés, aux camps de réfugiés, et jusqu’à l’aide
humanitaire, voire militaire apportée aux mouvements de libération. Il s’agit d’un
genre d’interventions utilisées aussi bien par d’autres Etats du bloc
socialiste que par certains Etats occidentaux. La coopération en développement
de la Roumanie s’est par la suite diversifiée encore davantage, prenant la
forme des bourses et des subventions octroyées aux étudiants étrangers en
provenance de certains Etats amis du tiers monde, des stages subventionnés
destinés aux spécialistes, du soutien apporté à divers projets de développement,
des dons d’équipements, de l’expertise ».
En 1979 déjà, la Roumanie étendait son
réseau de coopération en développement sur trois continents. En Amérique, des
pays tels le Pérou, la Martinique, la république Dominicaine le Nicaragua et le
Mexique bénéficiaient des largesses du gouvernement de Bucarest. En Afrique, c’était
le Bénin, l’Ethiopie, le Soudan, le Burundi, le Mozambique, le Sénégal, la République
centrafricaine, la Mauritanie, la République du Cap Vert, la Namibie, la Guinée-Bissau,
cependant qu’en Asie il y avait le Yémen et le Liban. Mia Jinga ne manque pas
de remarquer combien, derrière les mécanismes d’aide au développement mis en
place par la Roumanie, le calcul politique n’était jamais loin. Ce fut le cas de l’aide apporté par l’Etat roumain au groupe
marxiste intitulé l’Union du peuple africain du Zimbabwe, partie prenante dans
la guerre civile qui ravagea la Rhodésie entre 1964 et 1979.
Mia Jinga : « Chaque domaine de cette coopération au
développement était entiché de visées politiques. Il y avait certes aussi de l’aide
humanitaire classique, en cas de calamités, des aliments de première nécessité,
des médicaments, de l’aide médicale. Et j’avais choisi d’étudierl’aide
apportée par la Roumanie à l’Union du peuple africain du Zimbabwe, parce que je trouve qu’il s’agit
d’un cas d’école pour comprendre la manière dont les choses fonctionnaient. Par
exemple, en 1979, cette organisation avait bénéficié d’un soutien qui s’était élevé
à 9,5 millions de lei, sachant que l’intervention financière s’élevait à près
de 250.000 lei par action. »
Mia Jinga explicite encore le mécanisme utilisé
par la Roumanie pour venir en aide aux pays en développement : « J’ai analysé de près ce projet d’aide
humanitaire, comprendre ses tenants et aboutissants. Est-ce qu’il s’agissait d’une
initiative de l’Etat roumain, ou s’agissait-il plutôt d’une réponse apportée à
une demande formulée par le bénéficiaire de la coopération. Et dans les
situations que j’avais étudiées, je dois dire qu’il fallait une requête
formulée en bonne et due forme par le bénéficiaire principal pour que le
processus s’enclenche. La requête était en général signée par le leader du
mouvement, parfois à la suite d’une entrevue qu’il avait eue avec Nicolae Ceausescu.
Après avoir reçu la demande, c’était le tour de la Section des relations externes
du Comité central du Parti communiste de formuler une réponse, positive ou
négative, qu’elle devait arguer. Cette note comprenait en outre l’historique
des relations avec le bénéficiaire potentiel, l’aide apportée par la Roumanie,
une évaluation des conséquences éventuelles qu’une fois octroyée, l’aide en
question pourrait provoquer. Il y eu des situations où la Roumanie était près d’intervenir,
mais la situation internationale l’avait dissuadée. Quoi qu’il en soit, c’est
Nicolae Ceausescu qui avait toujours le dernier mot. Il y avait aussi des
situations particulières, le Viêtnam par exemple. Il pouvait demander n’importe
quelle somme, l’avis était toujours favorable. A un certain moment, Ceausescu s’était
énervé tout de même, il commence à dire que la Roumanie soutient depuis dix
années le Vietnam, et qu’il est grand temps à ce que les Vietnamiens commencent
eux aussi à travailler un peu ».
La Roumanie socialiste, à l’instar des
autres Etats du bloc communiste, a mené une politique d’aide au développement
volontariste, mais une politique dont le critère principal était constitué par l’appartenance
idéologique du bénéficiaire. Aussi, le continent Noir avait constitué un bénéficiaire
de choix, Nicolae Ceausescu faisant de ce continent son principal pivot en
matière de politique étrangère. (Trad. Ionut Jugureanu)