La chute du communisme en Roumanie et ses victimes sans auteur
Steliu Lambru, 30.12.2019, 14:41
Instauré
de la même façon dans tous les pays de l’Europe centrale et de l’Est, le
communisme a été renversé différemment, selon les pays. L’on peut ainsi
facilement différencier, d’une part, la Pologne, la Hongrie et la
Tchécoslovaquie, où le régime est renversé presque pacifiquement, et sans faire
des victimes. La RDA et la Bulgarie ont connu, elles, des scènes de violence,
plutôt contenue et limitée néanmoins. Enfin, d’amples violences, soldées par
1142 morts, 3138 blessés et 760 arrestations endeuillèrent la chute du
communisme en Roumanie. Enfin, le cas de la Yougoslavie demeure une page plus
noire encore de ce que l’on peut appeler la chute des régimes communiste en
Europe centrale et de l’Est.
Depuis lors, 30 années se sont écoulées. Des
années pendant lesquelles les chercheurs et les historiens se sont efforcés de
comprendre le particularisme roumain, les sources et les raisons de cette
violence qui a fauché tant de vies. L’historien Dragoș Petrescu, professeur à
la Faculté des Sciences politiques et administratives de l’Université de
Bucarest, précise au micro de Radio Roumanie : « Il
est forcément bien plus aisé d’analyser les tenants et les aboutissants du
moment a posteriori. Un élément ressort pourtant très vite et de manière
évidente : le passage s’est fait pacifiquement dans les Etats communistes
qui se trouvaient dans le giron de
Moscou. Plus les régimes locaux s’étaient éloignés de la politique moscovite, et
d’autant plus violente fut leur chute. Il y a, certes, la Roumanie, mais aussi
l’Albanie et la Yougoslavie. La Yougoslavie a terriblement souffert, car la
chute du communisme s’est accompagnée d’une guerre civile et d’un processus
d’épuration ethnique, des choses vraiment effrayantes. »
Il faut dire aussi que la violence a été
l’élément constitutif caractérisé de tous les régimes communistes. Cela a été
notamment le cas du régime communiste roumain de Nicolae Ceausescu, qui a pu
exercer son pouvoir absolu et discrétionnaire sur la société roumaine. Le
professeur Dragoș Petrescu croit comprendre ce qui s’était passé en Roumanie,
fin 1989. « Je pense qu’il existe deux
raisons à cette sortie du communisme par la violence en Roumanie, mais
également en Albanie et en Yougoslavie. Pour la Roumanie, il y a eu la
solidarité de l’élite communiste, léguée à faire barrage aux revendications
populaires, et à maintenir le statu quo. Au mois de novembre 1989, lors du
dernier congrès du parti communiste roumain, Ceausescu s’était fait réélire à
l’unanimité, ne l’oublions pas. A l’époque, le régime communiste avait déjà
cédé en Pologne, en Hongrie, en Allemagne de l’Est, et il était très mal en
point en Tchécoslovaquie. Malgré tout, les communistes roumains, par peur, par
opportunisme, par servilisme, misent toujours sur Ceaușescu. Cela montre à
l’évidence l’inexistence de la moindre faction réformiste au sein du parti.
C’était pire qu’en Bulgarie voisine, où tout de suite après la chute du Mur de
Berlin, Todor Jivkov se voit remplacer par son ancien ministre aux Affaires
étrangères, Petar Mladenov, un gorbatchéviste modéré. »
La deuxième explication tient à la
politique d’indépendance menée par certains régimes satellites par rapport à la
politique moscovite. Des leaders locaux, à l’instar de Ceaușescu, prenaient
leurs distances par rapport au pouvoir soviétique. Pour ce qui est de
Ceausescu, il marque le coup le 21 août 1968, lorsqu’il condamne l’invasion de
la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, raconte Dragoș Petrescu. « Cette politique d’indépendance
cultivée par Ceausescu et par l’élite dirigeante roumaine à compter du 21 août
1968 a représenté leur moment de grâce. Ce fut un coup de maître. Car, en faisant
cela, ils sont arrivés à retrouver une légitimité aux yeux de la nation, à ce
moment. C’était une période faste aussi sur le plan économique, il y avait un
certain relâchement du dogme communiste, les voyages à l’étranger ont été
permis à compter de 1967, l’Année internationale du tourisme, lorsque la
législation qui régissait le voyage à l’étranger a été assouplie. Le régime
roumain se distingue par nombre de ses particularismes, ce qui a sans doute eu
des conséquences sur la manière dont le régime a fini. »
Le tournant vers l’autonomie politique
pris par Bucarest à l’égard de Moscou, autonomie devenue un véritable mantra de
la politique étrangère de Ceausescu, a isolé de fait la Roumanie. Cette
dernière se voit alors forcée de réorienter son attention vers le Tiers monde,
et se fermer au plan interne, dans les années 80, allant de plus en plus vers
un régime flairant le stalinisme des années 50. Un stalinisme paralysant qui,
en s’éloignant de la politique réformiste menée au même moment par Mikhaïl
Gorbatchev, avait un effet paralysant au plan intérieur, explique Dragoș Petrescu : « L’indépendance de Bucarest par
rapport à la politique soviétique et la dépendance de l’élite communiste
roumaine face à la personne du secrétaire général du parti a laissé croire à
Ceausescu qu’il pouvait régner en maître autocrate. Et c’est ce qu’il a fait
lorsque la révolte de décembre 1989 a débuté dans la ville de Timisoara. Il a
donné l’ordre de tirer, avec des balles réelles, sur la foule. Puis il a
ordonné de faire disparaître les cadavres des victimes. Et, en effet, les
dépouilles ont été transportées à Bucarest, incinérées et jetées aux égouts.
C’était inouï, mais cela montre à profusion que la séparation de la Roumanie de
la dictature communiste n’allait pas pouvoir s’accomplir sans effusion de
sang. »
Au mois de décembre 1989, le régime
communiste roumain mené par Nicolae Ceaușescu s’écroule avec fracas, dans une
débauche de violence. Mais les coupables des morts enregistrées après le 22
décembre 1989 n’ont toujours pas été traduits en justice, 30 années après la
chute du communisme. (Trad. Ionuţ Jugureanu)