Iuliu Maniu, un homme politique d’exception
Steliu Lambru, 23.01.2023, 12:08
L’image de la politique, et surtout celle du politicien, s’est
beaucoup dégradée ces dernières décennies, et cela pour des raisons de plus
diverses. Il n’empêche que si nul homme n’est parfait, l’histoire des nations a
été bâtie par des hommes et de femmes d’Etat d’une envergure remarquable. Et il
n’y a nul autre contexte qui permette au caractère d’un homme d’Etat de se
révéler pleinement que dans l’adversité. L’un de ces hommes d’Etat remarquables
a été Iuliu Maniu, né il y a voici 150 ans, le 8 janvier 1873, à Șimleul
Silvaniei, en Transylvanie, dans le nord-ouest de la Roumanie d’aujourd’hui. Devenu,
comme son père, avocat, il obtient le titre de docteur en droit à l’Université
de Vienne en 1896, avant d’entrer dans la vie politique, dans les rangs du
parti National Roumain actif dans cette partie de l’empire d’Autriche-Hongrie
qu’était la Transylvanie d’alors. Elu député dans le parlement de Budapest en
1906, enrôlé en 1915 et envoyé sur le front d’Italie, on le retrouve à la fin
de la guerre parmi les organisateurs de l’assemblée populaire d’Alba Iulia, qui
allait décider l’union de la Transylvanie au royaume de Roumanie. Dans la
Roumanie de l’entre-deux guerres, il fonde avec Ion Mihalache, en 1926, le
parti National Paysan. A la tête de ce dernier, il sera à trois reprises
président du Conseil de ministres. Démocrate convaincu, il refuse de collaborer
aussi bien avec les fascistes, arrivés au pouvoir au mois de septembre 1940,
qu’avec, plus tard, début 1945, les communistes. Arrêté et condamné par ces
derniers, soumis à un régime d’extermination, Iuliu Maniu s’éteint, à l’âge de 82
ans, le 5 février 1953, dans le pénitentiaire de Sighet.
Par sa droiture,
par son charisme, par son attachement aux valeurs démocratiques, par la
ténacité avec laquelle il se bâtit jusqu’au bout pour la sauvegarde de ces
valeurs, la personnalité de Iuliu Maniu a frappé l’esprit des contemporains et
la mémoire de nouvelles générations. Des pages de mémoires que ses
contemporains ont laissé à la postérité ressort l’image d’un homme incorruptible,
charismatique et tenace, cet homme de courage et de principes dont les nations
ont le plus grand besoin dans les moments charnières de leur histoire. Conservé
jalousement par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine,
écoutons le témoignage d’Ioana
Berindei, dont le père, Ioan Hudiţă, un des leaders du parti National Paysan, a
été un témoin privilégié de l’action dirigé par Iuliu Maniu pour faire barrage
à l’instauration de la dictature communiste. Ioana Berindei :
« Maniu était un homme d’une grande modestie. Un homme extrêmement
gentil et agréable, avec une voix caressante. Il venait dîner parfois chez
nous, et je me souviens qu’une fois je suis venue à sa rencontre et il nous a
accueillis avec ces mots : « Bonjour, chères demoiselles ». Et
il y avait une tâche sur son col et lui ai demandé la permission de l’essuyer,
pour pas que l’on se moque de lui ailleurs. Il était confus de ne l’avoir pas
vue. Il était un peu souffrant à ce moment-là. Il avait la goutte, et avait du
mal à se déplacer. Mais je ne l’avais jamais vu de mauvaise humeur, impatient,
ou irrité. Il était d’un calme olympien. Mais en tant qu’homme politique, il
était intransigeant. C’est ce que mon père appréciait par-dessus tout. Il ne
lâchait jamais, coûte que coûte. Certains médisaient, prétendant qu’il avait
toujours un mal fou à se décider. C’étaient des bêtises. C’étaient de simples
médisances, des sornettes sorties par ses adversaires politiques. Ecoutez, il
faut que vous dise, et pas parce que mon père l’aimait, mais moi, je le
trouvais un homme charmant, un modèle ».
Sergiu Macarie, jeune activiste du parti National Paysan au milieu des années 40,
racontait dans une interview enregistrée en 2000 la manière dont Iuliu Maniu
s’était mobilisé, en dépit de son âge avancé et de son état de santé
défaillant, pour faire barrage à la montée du communisme, emmené par les chars
soviétiques, dans la société roumaine d’après 1945. Sergiu
Macarie :
« Tous les deux, trois jours, il y avait des
bagarres entre nous et les bandes communistes. C’étaient des provocateurs,
envoyés par les communistes pour foutre le bordel dans les manifestations
démocratiques. A part nous, les jeunes, il y avait encore Ilie Lazar, un des
leaders de notre parti. On allait place du Palais, pour acclamer le roi, qui
incarnait la nation, la démocratie, la liberté. Mais les provocateurs
communistes débarquaient toujours, armés de gourdins, et essayaient de foutre
le bordel. Prenez, le 15 mai 1945, il y avait l’anniversaire de la grande
assemblée populaire de Blaj. Et Maniu était présent. Mais notre manifestation
était cernée de toutes parts, par des camions et les hommes de main des
communistes. On est quand même parvenu de faire sortir indemne notre président
de la cohue. »
Iuliu
Maniu a été perçu par ses contemporains, et rangé plus tard par les historiens,
dans la galerie des ceux, peu nombreux, qui ont incarné les valeurs
démocratiques jusqu’au sacrifice suprême. Certes, son opposition farouche n’a
pas changé le cours de l’histoire. Mais sa figure tutélaire a été un repère
incontournable pour des générations de militants roumains qui se sont battus
pour la démocratie et la liberté. (Trad. Ionut Jugureanu)