Giuseppe Mazzini et l’idée nationale roumaine
L'historien Remus Tanasă, auteur de l'ouvrage intitulé « L'apôtre de la nation. Mazzini et la renaissance de la Roumanie moderne » s'est penché sur l'influence qu'exerce Mazzini sur ses contemporains roumains
Steliu Lambru, 15.01.2024, 12:22
L’apparition de l’Etat-nation, de
la Roumanie moderne, doit beaucoup aux idées véhiculées par les révolutions
européennes de 1848 et au militantisme national des jeunes élites roumaines d’alors,
éduquées en Occident pendant la première moitié du 19e siècle. Les
idées de nation, d’union nationale, d’Etat dans l’acception moderne du terme
prennent corps à l’époque et se voient embrassées à corps perdu par la jeunesse
patriotique roumaine du temps. C’est dans ce contexte d’effervescence nationale
et révolutionnaire qu’apparaissent et se répandent les idées du juriste et
publiciste italien Giuseppe Mazzini (1805-1872), représentant
remarquable du Risorgimento, ce mouvement de renaissance du sentiment national
italien.
Démocrate radical, républicain, révolutionnaire
et infatigable promoteur de l’union italienne, Mazzini est né à Gênes à l’époque
des guerre napoléoniennes. Eduqué dans le culte des valeurs promues par la
Révolution française, où l’importance de l’héritage de la démocratie romaine
est remise à l’honneur, il rejoint au milieu des années 1820 les mouvements
insurrectionnels organisés par l’association des Carbonari, censés notamment
libérer l’Italie de la domination autrichienne.
Les idées et l’action politique
de Giuseppe Mazzini contribuent largement à la
naissance de l’État unitaire italien. En 1831, il organise un mouvement
politique appelé Jeune Italie, inspiré par le socialisme et qui s’appuie sur la
jeunesse. Lors de la révolution de 1848, lorsque la république est proclamée,
Mazzini arrive à occuper pour un bref moment les plus hautes positions
politiques. Mais Giuseppe Mazzini n’est pas seulement un homme d’action, mais
également ou surtout un grand penseur politique. Ses écrits se répandent et sont
embrassés avec enthousiasme par une grande partie de jeune intellectuels
roumains, surtout en Valachie. La redécouverte des origines latines, les idées
de nation et d’Etat national résonnent dans les salons intellectuels roumains
de l’époque, pour constituer la charpente du mouvement révolutionnaire roumain
de 1848.
L’historien Remus Tanasă, auteur de l’ouvrage
intitulé « L’apôtre de la nation. Mazzini et la renaissance de la Roumanie
moderne » s’est penché sur l’influence qu’exerce Mazzini sur ses
contemporains roumains :
« Une partie de jeunes élites roumaines découvrent
Mazzini dans les années 1830. Or, en 1848, il devient le leader de l’expérience
de la République romaine. Pour une brève période, le pape est chassé de Rome et
la Cité Eternelle est dirigée par un triumvirat. De ces trois-là, Mazzini était
ce que l’on peut appeler « primus inter pares » ».
Les idées de Mazzini gagnent davantage
d’adhésions en Valachie qu’en Moldavie. Le mouvement insurrectionnel
révolutionnaire de Valachie est parvenu à constituer un gouvernement provisoire
à Bucarest en 1848, chassant l’ancien pouvoir.
Remus Tanasă met en évidence l’influence
exercé par Mazzini sur l’un des leaders du mouvement roumain de 1848, Nicolae
Balcescu :
« L’on voit tout d’abord combien Dumitru
Bratianu, le frère aîné de I. C. Bratianu, et C. A. Rosetti embrassent les
idées de Mazzini. Dumitru Brătianu est allé jusqu’à rejoindre l’une
des initiatives de Mazzini : la création du Comité centrale démocratique
européen de Londres, actif entre 1850 et 1853. Mais l’espace roumain embrasse en
totalité les idées de Mazzini seulement après la guerre de Crimée. Pour montrer
à quel point les révolutionnaires roumains étaient attachés à Mazzini, il faut
savoir que C.A. Rosetti avait conservé en lieu d’honneur, dans son bureau de
travail, le portrait de son idole jusqu’à sa mort, alors qu’ils ne s’étaient
jamais rencontrés. »
Remus Tanasă montre dans son ouvrage combien
les idées de Mazzini avaient inspiré le mouvement insurrectionnel roumain :
« Une partie des idées promues par Mazzini était
plutôt controversée pour l’époque. Mais les Roumains avaient surtout été
inspirés par son idée de nation, le fondement de la construction politique de l’Etat-nation.
Ils appelaient d’ailleurs Mazzini « l’apôtre de la nation ». Or, surtout
après l’échec du mouvement de 1848, les Roumains avaient besoin de recouvrir et
d’affirmer une identité forte. Avant 1848, même Mazzini était assez confus lorsqu’il
s’agissait de situer les Roumains, lorsqu’il devait aborder leurs origines. Ces
éléments avaient été peu étudiés auparavant. Face à cette situation, après
1848, les révolutionnaires roumains font un point d’honneur d’étudier et de
publier dans des langues internationales, de mettre en évidence les racines
romanes et la latinité de la langue et de la nation roumaine. Et c’est grâce à
leur présence dans l’espace public intellectuel européen que la nation roumaine
commence à se frayer une place dans le concert des nations européennes, et que
les revendications des révolutionnaires roumains commencent à trouver des
oreilles attentives dans les cercles progressistes européens. »
Républicain convaincu, Giuseppe Mazzini abhorrait la monarchie, alors que les
progressistes et les révolutionnaires roumains se sont avérés plus nuancés à ce
sujet. Remus Tanasă :
« Au départ, les cercles progressistes roumains
avaient embrassé la république. Puis, devant l’évidence, devant cette Europe formée
pour la plupart de monarchies, ils avaient infléchi leurs idées républicaines.
Ils commencent à privilégier l’idée de nation, d’Etat-nation, mettant quelque
peu en veilleuse leur républicanisme. Et même Mazzini, républicain convaincu,
avait compris et accepté la position adoptée par ses homologues roumains. Aussi,
on le retrouve lorsqu’il conseille à Dumitru Bratianu de démarrer des
négociations avec des hommes d’Etat occidentaux en faisant l’impasse
sur la république. »
La vision politique de Giuseppe Mazzini
perd peu à peu son influence vers la fin du 19e siècle sur la pensée
politique et nationale roumaine. Mais il demeure un des grands inspirateurs des
élites roumaines qui ont eu pour ambition de fonder l’Etat roumain moderne au
milieu du 19e siècle. (Trad. Ionut Jugureanu)