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Eugène Ionesco

Le
nom d’Eugène Ionesco, Eugen Ionescu en roumain, se passe de présentation, car
il s’agit de l’une des grandes personnalités de la dramaturgie mondiale du 20e
siècle. Pour les Roumains, Eugène Ionesco rejoint Mircea Eliade et Emil Cioran,
pour former cette triade bien connue d’une génération de personnalités culturelles
d’exception. Apparue au début du 20 siècle, cette génération marqua de son
empreinte la culture occidentale.

Eugène Ionesco
Eugène Ionesco

, 29.06.2020, 15:19

Le
nom d’Eugène Ionesco, Eugen Ionescu en roumain, se passe de présentation, car
il s’agit de l’une des grandes personnalités de la dramaturgie mondiale du 20e
siècle. Pour les Roumains, Eugène Ionesco rejoint Mircea Eliade et Emil Cioran,
pour former cette triade bien connue d’une génération de personnalités culturelles
d’exception. Apparue au début du 20 siècle, cette génération marqua de son
empreinte la culture occidentale.


Né en 1909 dans la ville de Slatina, d’un
père roumain et d’une mère française, Eugène Ionesco meurt en 1994, à 84 ans, à
Paris. Il passe une enfance heureuse en France, dans la famille maternelle, en
dépit de la séparation de ses parents et des soucis financiers auxquels la
petite famille était confrontée. Il ne rejoindra son père qu’à l’âge de 15 ans,
lorsqu’il vient vivre à Bucarest. C’est là qu’il apprend le roumain, pour
suivre ensuite ses études à la faculté des Lettres, à l’Université de Bucarest.
En 1938, l’Institut français de Bucarest offre à Ionesco une bourse d’études
pour aller à Paris, afin de préparer une thèse de doctorat sur les thèmes du
péché et de la mort dans la poésie moderne. Mais c’est en Roumanie qu’il fait
son début littéraire, en publiant d’abord des poèmes dans une revue littéraire
bucarestoise, bien connue à l’époque et intitulée « Les petites notes du
perroquet », avant de se lancer dans la critique littéraire. Son premier
volume, qui paraît en 1934 à Bucarest, s’intitule « Nu »/« Non »,
exprimant le ras-de-bol des canons littéraires établis, ressenti par toute une
génération. Et ce sera seulement après la guerre que Ionesco, reconverti à la
dramaturgie, va goûter à la gloire. La
Leçon, la Cantatrice chauve, Les chaises, Le roi se meurt, Les rhinocéros, La
soif et la faim sont autant de titres de pièces de théâtre qui ont
bouleversé la dramaturgie mondiale. La Comédie française même monta deux de ses
pièces, soit La soif et la faim et Le roi se meurt. En 1970, Ionesco occupe sa
place parmi les « Immortels » de l’Académie française, premier
Roumain à avoir reçu cet honneur. Dans ses autres écrits, dans ses articles publiés
dans Le Figaro ou encore dans son journal, l’on découvre un autre visage de
Ionesco, celui d’un antifasciste et d’un anticommuniste convaincu, d’un
démocrate averti, à une époque et dans une société littéraire parisienne où
l’anticommunisme se faisait denrée rare. Mais le processus de rhinocérisation
du monde, métaphore des totalitarismes rampants et triomphants, avait déjà été
mis en exergue par Ionesco dans son œuvre dramatique, notamment dans « Les
rhinocéros ».


Les archives du Centre d’histoire orale
de la Radiodiffusion roumaine recèlent un document audio exceptionnel. Il
s’agit de l’interview donnée le 29 novembre 1984 par Eugène Ionesco, au micro
de la très connue critique littéraire Monica Lovinescu, sur les ondes de Radio
Free Europe. C’était à l’occasion du vernissage de l’exposition de gouaches que Ionesco
allait exposer à la galerie « La Une », à Saint-Germain-des-Prés. Car, en
effet, vers la fin de sa vie, Ionesco s’est résolument tournée vers la
peinture, une sorte de forme alternative de délivrance. Dans ce dialogue
émouvant, Eugène Ionesco avouait sa passion longtemps réprimée pour les arts
visuels, dont notamment la peinture. « J’ai depuis
toujours adoré admirer les toiles. J’ai fait aussi de la critique d’art.
J’avais réalisé un documentaire pour la télévision sur Vermeer et sur d’autres
maîtres flamands. J’avais écrit un essai sur Brancusi, j’avais connu Miro et
bien d’autres encore, même si je ne faisais pas partie de leur cercle
restreint. Mais j’adorais m’essayer à percer le secret de leur art. Je me suis
depuis toujours intéressé à la peinture. C’est que je n’avais pas assez de
connaissances pour faire de la musique. Et la musique, aussi suranné que cela
puisse vous paraître ce que je vais vous dire, mais pour moi la musique
s’apparente au silence, c’est l’art du silence. »



Ionesco n’est pas seulement le maître du verbe, de la prose
et du jeu de scène. Il essaye d’outrepasser les limites du verbe en faisant
appel aux autres moyens d’expression artistique.
« Je suis fatigué
de parler. La parole m’épuise. Je parlais de trop. Le théâtre m’épuise.
Pourtant, je n’avais pas créé un théâtre du verbe, mais un théâtre qui casse la
parole cohérente. C’est surtout vrai dans la dernière de mes pièces, où le
langage passe à la trappe, où le langage c’est des sons incohérents. Le langage
théâtral n’est pas toujours lisible, audible, compréhensible. Il faut le
traduire. Or, j’en avais marre surtout de ce verbiage. Je me devais changer de
formule, reformuler ce que j’avais dit dans « La vase », en usant
d’autres moyens esthétiques. Et là où cesse la parole, l’on entrevoit les
couleurs, et une sorte de bonheur. Là où la peinture épuise ce qu’elle a à
exprimer, c’est le verbe qui commence. Si je pouvais, j’utiliserais la danse ou
la musique. »



Le dialogue se poursuit, passant
immanquablement par la case enfance, le moment de bonheur absolu pour Ionesco,
et dont il garde l’image du paradis à jamais perdu : « Le mirage que je
garde de mon enfance, passée à la Chapelle Anthenaise, est fondé sur le
souvenir, inconscient sans doute, d’un monde paradisiaque. Le temps était
suspendu, le temps n’existe pas dans l’enfance. Je me souviens d’une présence
lumineuse formidable. Je me rappelle le dimanche des Rameaux, lorsque le
village était recouvert de feuilles, de plantes, de fleurs, où l’église du
village se trouvait entourée de toutes ces maisons, plus lumineuses que la
lumière même, plus blanches encore que le blanc du printemps. C’était un moment
béni, et je ressentais comme une présence miraculeuse qui entourait tout ce qui
était, cette présence que je ressens de moins en moins, que j’ai perdue avec
l’âge. »



En dépit de sa passion tardive pour la
peinture, c’est l’histoire du théâtre d’avant-garde du 20e siècle
qu’Eugène Ionesco marqua de l’empreinte indélébile de son génie. (Trad.
Ionuţ Jugureanu)

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