Elie Wiesel et la mémoire de la Shoah
Celui qui nous a quittés le 2 juillet 2016, à New York, était venu au monde 88 années plus tôt, le 30 septembre 1928, à Sighetu Marmaţiei, la ville la plus septentrionale de la Roumanie actuelle. Cest de là que lui et sa famille furent embarqués dans les trains qui allaient transporter des millions de personnes vers les camps de la mort. Quelque 6 millions de Juifs, dont 400 mille originaires de Roumanie ou des territoires administrés par la Roumanie entre 1941 et 1944, ont trouvé leur fin dans cette campagne dextermination de masse. En mai 1944, les autorités de la Transylvanie du nord, annexée par la Hongrie suite au Diktat de Vienne du 30 août 1940, font déporter Elie Wiesel, alors âgé de 15 ans, de même que ses deux parents et ses trois sœurs. Ils sont tous emmenés à Auschwitz doù seul le garçon et ses deux sœurs aînées sortiront en mai 1944.
Steliu Lambru, 18.07.2016, 14:03
Celui qui nous a quittés le 2 juillet 2016, à New York, était venu au monde 88 années plus tôt, le 30 septembre 1928, à Sighetu Marmaţiei, la ville la plus septentrionale de la Roumanie actuelle. Cest de là que lui et sa famille furent embarqués dans les trains qui allaient transporter des millions de personnes vers les camps de la mort. Quelque 6 millions de Juifs, dont 400 mille originaires de Roumanie ou des territoires administrés par la Roumanie entre 1941 et 1944, ont trouvé leur fin dans cette campagne dextermination de masse. En mai 1944, les autorités de la Transylvanie du nord, annexée par la Hongrie suite au Diktat de Vienne du 30 août 1940, font déporter Elie Wiesel, alors âgé de 15 ans, de même que ses deux parents et ses trois sœurs. Ils sont tous emmenés à Auschwitz doù seul le garçon et ses deux sœurs aînées sortiront en mai 1944.
Une expérience terrifiante, racontée par Elie Wiesel dans son volume de mémoires, « La Nuit », traduit dans une trentaine de langues. Ses écrits, ainsi que toute son activité contre loubli, contre leffacement de la barbarie que fut la Shoah, de même que son combat de décennies contre les politiques et les régimes génocidaires du monde entier, ont valu à Elie Wiesel le Nobel de la Paix, en 1986. Elie Wiesel a parlé au monde entier de ses propres souffrances et des celles du peuple juif à lépoque de la Seconde guerre mondiale afin que jamais elles ne puissent se répéter pour dautres gens, pour dautres peuples, pour dautres pays. Son héritage est, avant tout, celui du civisme et des idéaux de respect et de tolérance pour la diversité.
Alexandru Florian est le directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste, qui porte justement le nom dElie Wiesel. La disparition de ce dernier est une immense perte symbolique pour lhumanité, dit Alexandru Florian : « Si en 1986, lorsquil se voyait attribuer le Nobel de la Paix, Elie Wiesel était surnommé le messager de lhumanité, je pense quil nest nullement excessif daffirmer que sa mort laisse un vide. Après ce qui lui est arrivé à Auschwitz, Elie Wiesel a consacré toute sa vie à la mémoire de la Shoah ainsi quà lactivisme pour les droits et les libertés des habitants de cette planète, où quils se trouvent. Il a mené un combat équilibré, constant et assidu pour que chacun de nous comprenne que ce qui sest passé avec les Juifs lors de la Seconde guerre mondiale a été une tragédie criminelle qui ne doit plus se répéter. De ce fait, il sest activement impliqué dans la condamnation des grands génocides du 20e siècle, tel celui du Rwanda. Alors, effectivement, pour les militants en faveur des droits humains, pour chacun dentre nous, la mort dElie Wiesel est une grande perte. »
Quelle est, dans ces conditions, la force symbolique de lhéritage dElie Wiesel ? Alexandru Florian : « Pour tous ceux qui préparent ou participent à des actions dextermination ou des crimes contre lhumanité, je pense que la vie dElie Wiesel ne peut être quune entrave, un frein pour leurs actions criminelles. Pour de telles personnes que je ne saurais appeler des êtres humains, Elie Wiesel na pas existé et ils ne veulent pas que des gens tels Elie Wiesel existent. En Roumanie aussi, certains ont mis en cause la qualité de survivant de la Shoah dElie Wiesel et ont propagé toute sorte de mythes négationnistes afin de minimiser son rôle et damoindrir les actions dans lesquelles il sinvestissait. »
Tous ceux qui ont porté le fardeau de la souffrance, tous ceux qui chérissent la tolérance et la paix souhaitent que lhumanité apprenne de son passé, quelle tire des leçons de lhistoire. En fin de compte, la Shoah est-elle vraiment irrépétable, vu tout ce qui se passe actuellement dans le monde ? Alexandru Florian, directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste : « Vous savez quen politique, il nest pas souhaitable dutiliser le vocable jamais ou de décréter que telle chose est impossible. Je ne mavancerais pas à dire quune telle tragédie ne peut plus se reproduire, je ne pourrais laffirmer de manière catégorique. Selon moi, toutefois, il serait très difficile, aujourdhui, au 21e siècle, de détruire à nouveau un groupe de populations par des politiques denvergure comme celles mises en œuvre lors de la Deuxième guerre mondiale. Justement, je pense que lactivité civique dElie Wiesel a beaucoup contribué à cet état de fait. Il a été épaulé, en ce sens, par les politiciens éclairés ayant régi lEurope après la deuxième conflagration mondiale et qui ont fait valoir la raison, lhumanité et la retenue en situation de crise. Je pense que des désastres tels la Seconde guerre mondiale ne sont pas impossibles, de nos jours, mais le risque quils se produisent est moindre. Noublions pas que nous avons plus de 70 années de paix en Europe, même si certains pays de la région ont connu des conflits ou des guerres civiles ».
En 2004, Alexandru Florian rencontrait Elie Wiesel, pour un court dialogue qui a marqué directeur de lInstitut roumain pour létude de lHolocauste : « Nous nous sommes rencontrés lors dune réunion de la Commission internationale pour létude de la Shoah en Roumanie, dont il était le président et moi jétais un des membres. Cet organisme avait alors conclu ses travaux et remettait ses conclusions au président roumain de lépoque, Ion Iliescu. Ce fut un privilège de mentretenir avec M. Wiesel en privé et jai été profondément marqué par léquilibre, la chaleur et lhumanité que cet homme et ses paroles émanaient. Dans le même temps, moi-même et nous tous nous avons été motivés par la détermination avec laquelle il agissait en faveur de la mémoire de la Shoah ainsi que pour barrer laccès au rênes du pouvoir de tout Etat, quel quil soit, de politiciens criminels tels ceux qui ont orchestré la Seconde guerre mondiale. »
Le monde actuel saura-t-il éviter les pièges des erreurs du passé ? Elie Wiesel nous a quittés, mais rien ne garantit que lhumanité saura se conduire sans plus avoir besoin de personnalités ou dexpériences comme les siennes. (trad. Andrei Popov)