Des Roumains à Carlsbad
Des membres des classes aisées pourtant avaient commencé à profiter de la vie et du beau temps dès le 19e siècle. Mais ce n’est qu’avec l’apparition des droits collectifs et des congés payés, que les classes ouvreuses accédèrent à leur tour aux plaisirs des vacances, dans la période de l’entre-guerres. Les villes d’eau, les stations balnéaires commencent à essaimer dans des endroits bien connus pour les propriétés curatives de leurs sources thermales, pour la qualité de l’air, et la beauté des paysages. L’un de ces endroits bénis est la ville de Carlsbad, l’actuelle Karlovy Vary, située en république Tchèque, près de la frontière allemande.
Steliu Lambru, 14.11.2022, 13:28
Des membres des classes aisées pourtant avaient commencé à profiter de la vie et du beau temps dès le 19e siècle. Mais ce n’est qu’avec l’apparition des droits collectifs et des congés payés, que les classes ouvreuses accédèrent à leur tour aux plaisirs des vacances, dans la période de l’entre-guerres. Les villes d’eau, les stations balnéaires commencent à essaimer dans des endroits bien connus pour les propriétés curatives de leurs sources thermales, pour la qualité de l’air, et la beauté des paysages. L’un de ces endroits bénis est la ville de Carlsbad, l’actuelle Karlovy Vary, située en république Tchèque, près de la frontière allemande.
Connue depuis le Moyen Âge pour les propriétés curatives de ses eaux thermales, fondée, selon la légende, par le roi de Bohême et empereur Charles IV, et attestée depuis 1370, la ville de Carlsbad compte depuis 1711 sa première institution municipale de cure thermale, devenant progressivement ce que l’on peut appeler un lieu mondain international. Parmi ses hôtes célèbres, la ville de Carlsbad a compté l’empereur de toutes les Russies, Pierre le Grand, l’écrivain allemand Johann Wolfgang Goethe, le compositeur allemand Ludwig van Beethoven, ou encore, plus récemment, le fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kemal Atatürk.
D’évidence, l’élite mondaine roumaine ne pouvait pas ignorer les attractions de la ville de Carlsbad et les bienfaits de ses eaux thermales. L’historien Radu Mârza a suivi les traces laissées par les plus célèbres d’entre eux, réunissant dans son récent recueil, intitulé « Călători și pacienți români la Karlsbad », en français « Voyageurs et curistes roumains à Carlsbad », leurs témoignages. Radu Mârza : « L’histoire de cette ville débute au Moyen Âge, au 14e siècle. Mais l’histoire de la ville d’eau, telle qu’on la connaît aujourd’hui, débute au 18e siècle. Le premier visiteur roumain de la ville dont l’on trouve la trace de son passage dans les archives est un boyard d’Olténie, Barbu Stirbei, dont le séjour a lieu à la fin du 18e siècle. »
Déjà à l’époque, les études scientifiques faisaient état des propriétés bénéfiques des eaux thermales de Carlsbad sur l’organisme, et les médecins s’empressaient de recommander une cure à Carlsbad à leurs patients aisés. Qui plus est, la beauté du paysage la situait parmi les cinq premières villes d’eau d’Europe, ce qui ne gâchait rien au plaisir de la cure à suivre sur place. A l’instar de la clientèle internationale que comptait la ville de Carlsbad à l’époque, les voyageurs roumains se sont laissés à leur tour attirés par les propriétés, qu’on disait miraculeuses, de l’endroit. Radu Mârza : « Les voyageurs roumains de la première heure ont le même profil social que les autres. La cure thermale était devenue à la mode. Il n’y avait pas que la ville de Carlsbad, certes, mais bien d’autres villes d’eau, certaines situées dans l’espace roumain. Mais, évidemment, le prestige social qu’impliquait une cure d’eau thermale suivie dans la ville de Carlsbad était sans nul autre pareil. »
L’historien Radu Mârza n’a pas eu pour ambition de recenser l’ensemble des voyageurs roumains de passage dans la ville de Carlsbad en cette époque-là, marquée par l’engouement du thermalisme. Il réussit malgré tout à dénicher une belle brochette des personnalités qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la Roumanie. Radu Mârza : « Alexandru Vaida-Voevod, homme politique, président du Conseil des ministres du royaume de Roumanie à trois reprises, et signataire du traité de Trianon au nom de la Roumanie à l’issue de la Grande Guerre, avait pratiqué d’abord comme médecin dans la ville de Carlsbad. Dans le rayon des hommes politiques, je nommerais encore Ionel Bratianu, grande figure de la politique libérale, et président de Conseil à plusieurs reprises, la reine Marie, épouse du roi Ferdinand 1er, Iuliu Maniu, fondateur du parti national-paysan et président de Conseil, Nicolae Titulescu, ministre des Affaires étrangères et président de l’Assemblée nationale de la Société des Nations à deux reprises, Constantin Argetoianu, et bien d’autres figures politiques roumaines de premier plan. Le passage de certaines de ces personnalités est bien documenté dans les archives, mais sur d’autres les informations sont bien moins bien fournies, voire absentes. »
L’auteur du volume « Voyageurs et curistes roumains à Carlsbad » insiste sur la dimension sociale que revêtait une cure d’eaux prise à Carlsbad dans l’époque : « Carlsbad bénéficiait de ce prestige tout à fait particulier. Pour l’anecdote, un article d’un journal roumain des années 1920 est assez parlant à cet égard. Il paraissait, en effet, qu’il était de mauvais goût de se demander où passer l’été. Car il n’y avait qu’une réponse évidente, et celle-là était Carlsbad. Dans certains cercles, il s’agissait d’une sorte de devoir social. Carlsbad était par excellence l’endroit où il fallait y être, voir et être vu, rencontrer des gens de son milieu, les membres de l’élite européenne. »
D’évidence, la ville de Carlsbad n’était pas pour tous les budgets. Malgré tout, elle devient progressivement une destination populaire parmi les membres des classes moyennes, et des documents d’archives font état de la présence sur place des professeurs, des membres des classes libérales, de petits commerçants. Après 1945, la Roumanie et la Tchécoslovaquie, devenus tous les deux des Etats socialistes, faisaient entrouvrir les portes de la cité désirée à des membres, triés sur le volet, de la classe ouvrière roumaine. Mais le charme des villégiatures d’antan n’a plus été le même. (Trad. Ionut jugureanu)