Corneliu Coposu et le devoir de liberté
Figure de proue de la vie politique roumaine, Corneliu Coposu a gardé les liens avec la démocratie d’avant l’instauration du régime communiste. Aux côtés du roi Michel Ier, il a apporté une contribution fondamentale à la renaissance de l’esprit démocratique au lendemain des événements de 1989. La société roumaine lui saura gré pour le modèle qu’il lui a offert, pour sa foi dans le devoir de lutter en faveur de la liberté, de la justice et de l’honneur, pour l’honnêteté et le dévouement dont il a fait preuve durant les longues années de souffrance dans le Goulag roumain. Ces qualités lui ont d’ailleurs valu le surnom de « Senior ».
Steliu Lambru, 23.06.2014, 14:19
Fils de prêtre gréco-catholique, Corneliu Coposu est né le 20 mai 1914, dans le comté de Sălaj (nord-ouest de la Roumanie). Diplômé de l’Université de Cluj, iI a été avocat, docteur ès sciences juridiques et assistant personnel de Iuliu Maniu, président du Parti National Paysan. Le 14 juillet 1947, Coposu et tous les dirigeants du parti ont été arrêtés suite à une manigance du gouvernement. Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il a été relâché en 1964, au bout de 17 années de détention, dont 9 passées en régime d’isolement cellulaire dans la prison de Râmnicu Sărat.
Corneliu Coposu a survécu au calvaire du régime d’extermination infligé par les communistes à la démocratie roumaine après 1945. En 1993, il a accordé une interview à la journaliste Lucia Hossu-Longin. Vivrait-il autrement sa vie si le retour dans le temps était possible, lui a-t-on demandé.
Corneliu Coposu : « Non. Après avoir fait mon examen de conscience, passé en revue toutes les peines et misères que j’ai eu à supporter dans les prisons et après la détention, je pense que je n’aurais pas le choix. J’opterais sans hésiter pour le même sort. Je crois à la prédestination, sans pour autant verser dans le fatalisme. Bref, si d’autres alternatives se présentaient à moi, je pense que je choisirais le passé qui a été le mien et le répéterais sereinement. »
Rencontrer de telles gens est un véritable privilège. L’expérience qui a le plus marqué l’existence de Corneliu Coposu a été la période de détention à Râmnicu Sărat.
Corneliu Coposu: « La prison de Râmnicu Sărat avait 34 cellules, dont 16, au rez-de-chaussée et à l’étage, séparées par des cloisons en filets de fer. Il y avait aussi 2 cellules isolées et 4 autres situées au sous-sol. Chaque cellule faisait 3 mètres sur 2. Elles étaient disposées sous la forme d’un rayon de miel, l’une contre l’autre. A trois mètres du sol, il y avait une petite fenêtre mesurant 45 sur 30 centimètres, inaccessible aux détenus. En plus, comme elle était couverte de l’autre côté du mur, elle ne laissait pas filtrer la lumière. A l’intérieur, la cellule était éclairée par une ampoule de seulement 15 watts, que l’on n’éteignait jamais et qui répandait une lumière blafarde de caveau. La prison aux murs épais, et qui datait des années 1900, n’était pas chauffée. Elle était entourée de deux rangées de murailles hautes de 5 à 6 mètres, séparées par un couloir de contrôle. La deuxième rangée de murailles était surplombée de tours d’observation abritant les soldats armés qui gardaient la prison. »
Pour le régime totalitaire, les gens n’étaient pas des êtres humains portant un nom et un prénom, ils n’étaient que des chiffres. En 1993, Corneliu Coposu racontait sa vie en prison : «Chaque détenu avait un numéro représentant le numéro de la cellule, personne n’avait de nom, nos noms n’étaient pas connus. On nous identifiait selon notre cellule. Comme chaque détenu était seul dans sa cellule, toute conversation était exclue et toute connexion avec les autres prisonniers se faisait à l’aide du code Morse, tapé dans le mur, jusqu’à ce que le système ait été découvert et sanctionné très sévèrement. Ensuite, on communiquait en toussant le code Morse, chose extrêmement fatigante, voire épuisante, vu notamment l’état de santé déplorable dans lequel nous nous trouvions. Moi, j’ai occupé la cellule numéro 1. Au-dessus de moi, dans la cellule numéro 32, se trouvait Ion Mihalache. Si initialement nous pouvions communiquer à l’aide du code morse, après 4 ou 5 ans, il n’a plus répondu aux signes faits dans le mur car son ouïe s’était détériorée».
Après 1989, Corneliu Coposu a exprimé clairement et fermement le fait que la Roumanie devait renaître. A cet effet, elle avait besoin d’une personnalité à même de lui rendre la confiance en elle-même. Pour Corneliu Coposu, cette personnalité était le roi Michel Ier : « Mon attitude en faveur de la dynastie royale est fondée sur ma conviction ferme que de nos jours en Roumanie, il n’existe aucune personne qui aie la vocation de polariser la sympathie et la confiance de la population outre le Roi Michel. Vu que cette personne – qui puisse bénéficier de la confiance de la majorité de la population et garantir la stabilité à l’intérieur du pays et la crédibilité à l’extérieur – n’existe pas dans notre société, nous faisons appel au roi. C’est lui qui a placé la patrie en première place en 1944, qui a eu une attitude nettement anticommuniste. Il a eu une attitude nettement anticommuniste et a manifesté le prestige et la sagesse d’être un arbitre impartial de la politique roumaine. La motivation de cette adhésion pro-monarchique est pragmatique et dépasse tout sentimentalisme et romantisme. S’il existait une personnalité à vocation de polariser la confiance de la population et la sympathie de la majorité du peuple roumain, peut-être que la restauration ne serait plus nécessaire. Nous ne pouvons pas créer des personnalités de premier rang comme on sort les poulets de la couveuse. Si on essayait de suivre un tel objectif, il serait atteint en 30, voire 40 ans. »
En 2014, l’Europe commémore le centenaire du début de la première Guerre Mondiale. La Roumanie a également commémoré le centenaire de Corneliu Coposu, la personne sans laquelle le pays n’aurait pas pu redéfinir son identité. (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavski, Alex Diaconescu)