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Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

Le 7 mai 1920 s’éteignait à Bucarest,
dans sa 64e année, Constantin Dobrogeanu-Gherea, sans doute le plus
important penseur marxiste roumain du 19e siècle. De son vrai nom
Solomon Katz, Gherea est né en 1855 dans la ville de Slavianka, située dans
l’Ukraine d’aujourd’hui, dans une famille de commerçants juifs. La famille Katz,
bien intégrée, faisait partie de la classe moyenne de la société russe de
l’époque. Avec un père brasseur et un frère médecin, le futur Constantin
Dobrogeanu-Gherea suit des études universitaires à Kharkov, où il entre en
relation avec les mouvements révolutionnaires russes, marqués souvent par la pensée
des anarchistes. Il prend part au mouvement estudiantin de 1874, qui tenta
d’essaimer l’idée de la révolution parmi les paysans.

Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea
Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

, 17.08.2020, 14:00

Le 7 mai 1920 s’éteignait à Bucarest,
dans sa 64e année, Constantin Dobrogeanu-Gherea, sans doute le plus
important penseur marxiste roumain du 19e siècle. De son vrai nom
Solomon Katz, Gherea est né en 1855 dans la ville de Slavianka, située dans
l’Ukraine d’aujourd’hui, dans une famille de commerçants juifs. La famille Katz,
bien intégrée, faisait partie de la classe moyenne de la société russe de
l’époque. Avec un père brasseur et un frère médecin, le futur Constantin
Dobrogeanu-Gherea suit des études universitaires à Kharkov, où il entre en
relation avec les mouvements révolutionnaires russes, marqués souvent par la pensée
des anarchistes. Il prend part au mouvement estudiantin de 1874, qui tenta
d’essaimer l’idée de la révolution parmi les paysans.

Poursuivi par la police
du Tsar, Constantin Dobrogeanu-Gherea trouve d’abord refuge en Roumanie, à
Iaşi, l’ancienne capitale de la principauté de de Moldavie, ensuite en Suisse,
où il se mettra en relation avec les groupes des révolutionnaires russes. Rentré
en Roumanie, il s’occupe du trafic de littérature révolutionnaire subversive,
qu’il s’ingénie à transporter en sous-main de Iasi vers la Russie. En parallèle,
il s’adapte à son nouveau pays, et obtient la nationalité roumaine en 1890,
alors même que, fait remarquable, l’octroi de cette nationalité aux allochtones
était alors conditionné par leur appartenance à la religion chrétienne
d’Orient. Il ne prendra pour nom celui de Constantin Dobrogeanu-Gherea que
lorsqu’il s’affirmera en tant que critique littéraire, au moment où il mettra
les bases, en tant que cofondateur, du Parti social-démocrate ouvrier roumain,
soit en 1893.


Accompagnés par Călin Cotoi, de
l’Université de Bucarest, essayons de remonter le parcours de l’aventure
roumaine de celui qui deviendra le plus important penseur socialiste roumain du
19e siècle. Călin
Cotoi : « Dobrogeanu-Gherea a eu une vie assez aventureuse. A un certain moment,
en 1877, il se fait enlever par la police secrète du Tsar, pour se retrouver en
Sibérie. Il s’évade, puis, via la Norvège, il regagne la Roumanie. Il
abandonnera par la suite son attachement à la perspective anarchiste, et
devient l’un des représentants de poids de l’orthodoxie marxiste, partisan du
penseur marxiste allemand Karl Kautsky. Il traduit son ouvrage, intitulé
« Le programme d’Erfurt », tout en essayant d’adapter les préceptes
de Marx à la réalité de cette société agraire, située à la périphérie de
l’Europe, qu’était la société roumaine de l’époque ».


Polyglotte
averti et doté d’un sens aigu de l’observation, Constantin Dobrogeanu-Gherea deviendra
très vite un terrible diagnosticien des maux qui rongent la société paysanne de
Roumanie. Il écrira « La nouvelle servitude paysanne », ouvrage de
référence pour le mouvement socialiste roumain naissant. Călin Cotoi : « Gherea n’était pas le seul penseur de gauche de son époque. Ces
mouvances de la gauche roumaine étaient travaillées à l’époque par le désir
d’adapter la pensée marxiste aux réalités locales, qu’il s’agisse de cette
Roumanie un peu excentrée par rapport à l’Europe occidentale ou encore du sud
de la Russie, soit de ces régions charnière entre l’Empire russe et l’Europe. Gherea
faisait donc partie de ce courant de pensée plus ample, censé repenser et
adapter le socialisme au profit d’une société périphérique et agraire.
L’héritage le mieux connu qu’il nous a légué tient en fait en cette
expression : la nouvelle servitude paysanne. C’est le titre de son
ouvrage, qui demeure une référence dans les sciences sociales et dans
l’histoire de l’évolution sociale de la Roumanie. Dans ce livre, il donne la
réplique à Constantin Stere, ancien partisan, tout comme Gherea, du mouvement
des Narodniki. Et il essaye d’expliquer pourquoi la pensée socialiste prend
tout son sens dans le contexte roumain, s’érigeant même en tant qu’unique
pensée progressiste adaptée à la
région ».


Et
parce que les idées devaient bien trouver un champ d’application politique, il
s’attelle à fonder, avec d’autres, en 1893, le Parti social-démocrate des
ouvriers de Roumanie. Călin Cotoi : « Le Parti social-démocrate des ouvriers de Roumanie fait dès le départ
face à toute une série de défis. Il y avait tout d’abord la question de la
nationalité roumaine, qu’une partie de la classe ouvrière, encore balbutiante, ne
détenait pas. Les ouvriers comptaient parmi eux beaucoup de Juifs, des
Hongrois, des Allemands, des Roumains citoyens de l’Empire d’Autriche-Hongrie.
Et, sur ce fond, surgissaient de façon régulière des crises à caractère
antisémite, au sein même de la classe ouvrière. Des crises que le parti
social-démocrate de Gherea essaiera d’atténuer. Finalement, le parti implosera,
suite à ce genre de situations inextricables. Gherea, qui était lui-même
d’origine juive, venait juste de recevoir la nationalité roumaine. Et il refuse
de se laisser couler avec son bébé, le parti. Il va donc trouver la parade en
s’investissant dans la culture roumaine, devenant l’un de ces critiques
littéraires dont l’opinion faisait autorité dans l’époque, surtout une fois la
rupture avec Titu Maiorescu, l’autre grand critique littéraire du moment,
consommée. Et voilà comment l’un des plus importants penseurs politiques de son
époque fera reconnaître son nom par la postérité : non pas grâce à son
activité politique, ni même grâce à ses traités en sciences sociales, mais
surtout grâce à son œuvre de critique littéraire. »


Au mois
de novembre 1917, à la faveur de la Révolution d’octobre, le régime bolchévique
faisait son entrée dans l’histoire. Avec lui, Gherea, assez âgé, selon les normes
de l’époque, prendra ses distances. Călin Cotoi croit savoir que l’attitude de
Constantin Dobrogeanu-Gherea ne fut pas tant dictée par des considérations
d’âge, mais plutôt infléchie par l’évolution de sa pensée politique, par son
adhésion à un socialisme démocratique, plutôt que révolutionnaire. Călin Cotoi : « Constantin Dobrogeanu-Gherea a toujours été un social-démocrate, adepte
de Kautsky. Selon ce dernier, la mouvance bolchévique s’avérait une sorte
d’hérésie. Pourtant, Gherea garde ses contacts. Il parle à Racovski, son fils
même adhère au mouvement bolchévique, mais lui, il essaye de s’aménager une
sorte d’espace de liberté, une sorte d’autonomie. Il restera fidèle au mouvement
social-démocrate inspiré par le modèle allemand. »


100 ans
après, l’héritage laissé par Constantin Dobrogeanu-Gherea dans l’évolution de
la pensée de gauche en Roumanie ou encore à l’égard de l’état social de la
paysannerie roumaine de l’époque, demeure toujours essentiel. (Trad. Ionuţ Jugureanu)



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