Cent ans depuis la création de la Petite Entente
Steliu Lambru, 25.10.2021, 10:32
C’est ainsi qu’avait vu le jour la Société des Nations, appelée
aussi la Ligue des Nations. Ancêtre de l’ONU, la Société des
Nations se voulait le forum d’élection où les conflits naissants
allaient pouvoir être réglés à l’amiable. C’est ici que
furent énoncées, en effet, les idées les plus généreuses, c’est
ici encore que la guerre fut mise au ban des nations, qui lui
refusait dorénavant le droit de pouvoir régler les disputes entre
les Etats.
Mais alors que les vainqueurs
de la Grande Guerre s’efforçaient de faire émerger un nouveau
droit international, les Etats vaincus n’avaient de cesse de
reprendre la main, en contestant le nouveau tracé des frontières,
décidé à Versailles. Progressivement, les nations commençaient à
se ranger dans deux camps, que tout opposait. Les nations
victorieuses essayèrent de leur côté de se regrouper en
différentes types d’alliances régionales, pour mieux défendre
leurs intérêts communs, et pour éviter de rendre les armes devant
les visées révisionnistes de leurs voisins vaincus.
La
diplomatie de la Grande Roumanie, nation victorieuse à l’issue de
la Grande Guerre, s’était résolument engagée dans cette bataille
d’influence, s’efforçant de bâtir un système d’alliances
régionales pour préserver ses intérêts. C’est ainsi que la
Roumanie signe son premier traité d’alliance d’après la guerre
avec la Pologne, en 1921. Et c’est toujours en 1921, au mois
d’octobre, que fut créée la Petite Entente, alliance qui
réunissait la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie,
prenant pour exemple la Triple Entente, scellée durant la guerre,
entre la France, le Royaume-Uni et la Russie. Le troisième mécanisme
de coopération régionale fut créé seulement en 1934, et
réunissait, sous l’appellation de l’Entente balkanique, la
Roumanie, la Yougoslavie, la Grèce et la Turquie, les 4 Etats légués
contre les visées révisionnistes de la Bulgarie notamment.
Au
centenaire de la signature de la Petite Entente, l’historien Ioan
Scurtu nous décrit le contexte régional qui prévalait en 1921 : « Aussi bien la
Tchécoslovaquie, que la Yougoslavie et la Roumanie, tous ces pays
avaient conclu des traités de paix avec la Hongrie, lorsque fut
signé le Traité de Trianon, le 4 juin 1920. Mais ces Etats
craignaient les visées révisionnistes magyares, et désiraient se
mettre à l’abri. Cette alliance se constitua à partir du statut
de la Société des Nations, cette institution internationale qui
venait juste d’être mise sur pied, en 1919, faisant suite à la
proposition du président des Etats-Unis, Woodrow Wilson. L’objectif
de l’alliance était de mettre en échec toute tentative
révisionniste, car elle était censée avoir un caractère
dissuasif, excluant d’emblée la guerre du champ du possible. Pour
constituer la Petite Entente, il y a évidemment eu des négociations
préalables. L’on avait d’ailleurs commencé par signer des
traités bilatéraux. La Roumanie et la Yougoslavie désiraient se
prémunir des menaces hongroises et bulgares, alors que la
Tchécoslovaquie n’avait aucun différend avec la Bulgarie et
qu’elle n’avait pas considérée utile d’intervenir dans un
premier temps. »
Et
en effet, l’alliance entre la Roumanie, la Yougoslavie et la
Tchécoslovaquie s’était construite à travers trois traités
bilatéraux. L’historien Ioan Scurtu détaille : « Ces traités
comprenaient des articles similaires en tous points. Dans le cas du
traité entre la Roumanie et la Tchécoslovaquie, il était prévu de
défendre la frontière avec la Hongrie. Le traité avec la
Yougoslavie parlait d’une riposte commune en cas d’éventuelle
attaque non provoquée, venant de la part de la Hongrie ou de la
Bulgarie. La
Petite Entente a été la première alliance multilatérale conclue
après la fin de la Grande Guerre, dans l’esprit de la Société
des Nations. Une alliance qui a fait naître beaucoup d’espoirs. »
Mais
l’historien Ioan Scurtu est tranchant : ces alliances
régionales, constituées contre la Hongrie et la Bulgarie, étaient
disproportionnées. Et il met tout cela sur le dos de la propagande. « Si l’on regarde de
plus près, l’on constate que les trois Etats qui s’alliaient
comptaient ensemble 683.000
kilomètres carrés et 50 millions d’habitants. Ils se léguaient
contre un Etat qui ne comptait 93.000 kilomètres carrés et 9
millions d’habitants. Chaque Etat allié, pris séparément, pesait
plus que la Hongrie seule. Je me suis alors demandé à quoi tout
cela servait. Surtout que, conformément au traité de Trianon, la
Hongrie avait dû démanteler son armée et son industrie d’armement,
et elle avait été empêchée de constituer d’autres formes
d’organisation paramilitaire. Et pour moi cela reste un mystère,
mais je crois que les trois Etats alliés avaient surévalué la
puissance de la diplomatie et de la propagande externe hongroise,
traditionnellement influentes. Ils avaient sans doute pensé donc que
face à une éventuelle agression hongroise, appuyée par des forces
extérieures, les Etats de la Petite Entente se devaient d’agir
ensemble. »
Mais
vers la fin des années 1930 il devenait évident que les politiques
antagoniques qu’opposaient les deux blocs ne pouvaient plus
continuer à l’infini. Les vainqueurs de la Première guerre
mondiale se sont alors montrés plus conciliants, ce qui n’a
pourtant rien arrangé, croit savoir l’historien Ioan Scurtu. « La Hongrie, appuyée
de façon manifeste par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie,
mais bénéficiant également de l’accord de la France et de la
Grande-Bretagne, les puissances garantes des traités, avait obtenu
le droit de réarmer. Par
l’Accord de Bled de
1938, les trois Etats
de la Petite Entente donnaient à leur tour leur accord, sous
prétexte que cela allait pouvoir garantir la paix. Qu’à cela ne
tienne. Au mois de novembre 1938, la Hongrie reprend une partie de la
Tchécoslovaquie, puis, au mois d’août 1940, la partie nord de la
Transylvanie, à la suite du Diktat de Vienne. Enfin, au mois d’avril
1941, ce sera le tour de la Yougoslavie. »
Les alliances régionales,
bâties pour arrêter une nouvelle guerre et défendre le statu quo
des frontières établies à Versailles, avaient finalement montré
leurs limites. Et la plus prometteuse entre toutes, la Petite
Entente, n’a pas fait mieux. (Trad. Ionut Jugureanu)