Ceaușescu : portrait intime
Nous vous proposons de suivre de près l'évolution de Nicolae Ceauşescu lors des visites officielles qu'il effectuait à l'étranger.
Steliu Lambru, 02.10.2023, 12:09
Pour
toute dictature, la propagande demeure une arme redoutable. Chargée de bâtir une
image d’ouverture d’un système, par définition clos et opaque, de renforcer la
popularité de l’homme fort du régime, les messages distillés par la propagande
heurtent souvent le sens commun. Pour dénicher la vérité au milieu de tous ces
mensonges, il existe une recette aussi simple qu’efficace : accréditer tout
simplement le contraire de ce que la propagande s’efforce de nous faire croire.
Et pour saisir la personnalité véritable du dernier dictateur communiste
roumain, Nicolae Ceaușescu, il ne faut certainement pas déroger à la règle.
Peu de
ses contemporains peuvent prétendre avoir connu et côtoyé de près et dans la
durée Nicolae Ceausescu. Sorin Cunea, journaliste à la radio Free Europe, le
média le plus craint par le régime d’alors, car démontant avec précision les rouages
de sa propagande, avait suivi de près l’évolution de l’ancien leader roumain
lors des visites officielles qu’il effectuait à l’étranger. Dans l’interview que
Sorin Cunea donna en 1998 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion
roumaine, il avoue s’être renseigné au
sujet du programme du dictateur roumain dans la presse de propagande du régime.
C’est ainsi qu’il put suivre à la trace Nicolae Ceausescu à 12 occasions, lors
de ses visites à l’étranger. Aussi, lors d’une visite officielle effectuée par
le président roumain en Allemagne de l’Ouest, M. Cunea se rappelle quelques détails
qui ne manquent pas de piquant. Ecoutons-le :
« Dans
le programme du couple présidentiel, en déplacement en Allemagne de l’Ouest, figurait
la visite de la société Bayer. Vous savez, Nicolae Ceausescu s’évertuait de promouvoir
la carrière politique de sa femme, et pour ce faire le régime tentait d’asseoir
sa légitimité en lui confectionnant une couverture bidon, de scientifique de
taille mondiale. Elle était soi-disant spécialisée en chimie. Alors, leurs
hôtes allemands avaient cru bon d’insérer dans son programme une visite à
Leverkusen, dans une des usines Bayer. Vu que la presse n’avait pas accès aux
discussions officielles, Noel Bernard, le directeur de la section roumaine de
Radio Free Europe, m’avait chargé de suivre la visite officielle de la « première
dame ». Et là, en marge de cette visite, je me suis rendu compte de ce que
devait être l’attitude du parfait propagandiste. Parce qu’au sein de la
délégation roumaine, je pus à un certain moment apercevoir ce que nous savions tous
être leur poète de cour, le poète officiel de la famille Ceausescu, un certain
Adrian Paunescu. Et puis, à un certain moment, la délégation s’arrête dans une
salle de réunions, pour que Mme. Ceausescu puisse entendre les explications de ses
hôtes. J’ai pu alors dévisager à envie ce Paunescu. Il était assis juste en
face de sa patronne, et lui buvait les paroles. Il avait son calepin et prenait
des notes mais d’une manière tellement ostentatoire, tellement ridicule, qu’on
comprenait d’emblée qu’il voulait à tout prix se faire remarquer par sa
patronne, pour son servilisme sans doute. »
Sorin
Cunea faisait partie de cette rédaction de la radio Free Europe, devenue le
mouton noir du régime communiste de Bucarest. De ce fait, lors de certaines
visites, la délégation officielle roumaine faisait de son mieux pour empêcher ses
journalistes d’effectuer leur travail. Une scène du genre eut lieu lors de la
visite de Nicolae Ceausescu en Turquie, à Ankara. Sorin Cunea :
« Lorsqu’on
nous annonça que la presse pouvait entrer, j’ai pris mon magnétophone à l’épaule,
et j’essaye d’y pénétrer. Tous les journalistes présents y entrent, moi l’on m’arrête
net. Et un mec de la délégation s’adresse en moi, en roumain, preuve qu’il me
connaissait, il savait qui j’étais. Et il me dit : « Arrêtes de
pousser ainsi, gardes tes distances, n’approches pas ton micro de camarade
président ». Je reste éberlué sur le coup, je ne dis rien, mais lorsque Ceausescu
commence son discours, je m’approche et lui mets le micro devant la bouche,
comme à l’accoutumée. Mais quelles manières quand même ! »
Interrogé
s’il n’avait jamais eu l’occasion d’interviewer l’ancien dictateur roumain,
Sorin Cunea répond :
« Non, mais je lui ai une fois posé
une question. C’était lors d’une conférence de presse, à Bonn, et j’étais assis
juste devant lui, au premier rang, car je voulais à tout prix que la chaine de télévision
officielle de Bucarest, qui filmait tout, me fasse passer dans leur JT. Je lui avais
posé une question, et il y avait répondu. Lors d’une autre conférence de
presse, à Vienne cette fois, c’était sa deuxième visite officielle dans la
capitale autrichienne, même manège. J’étais assis au premier rang, et je pus scruter de près les
deux. Il y avait lui, et sa femme, Elena. Et je pus remarquer qu’à chaque fois
qu’il répondait à une question des journalistes, il la cherchait du regard. Comme
s’il avait besoin de son approbation. Et elle acquiesçait à ses dires. C’était
visible, et assez saisissant. »
Mais
la personnalité orgueilleuse et capricieuse du dictateur pouvait exploser à
tout moment, même en public. Sorin Cunea :
« Toujours
à Bonn, il devait répondre à une question relative à la
Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Il formule sa réponse,
et son interprète, venu de Bucarest, la traduit, et il finit en ajoutant ses
mots « en Europe ». Pour que l’on sache de quoi l’on parle. Et ni d’une ni
deux, le goujat se tourne vers son interprète et l’interpelle en pleine
conférence de presse. Il avait entendu un mot qu’il n’avait pas prononcé :
Europe. Alors que le gars n’avait fait que reprendre la titulature complète de
la conférence. D’ailleurs, dans ce registre anecdotique, une manie qu’il avait
avant d’entrer en conférence de presse était de dégainer son peigne de sa poche,
pour arranger sa coiffure. C’est dire. »
L’image
de dieu vivant que la propagande officielle du régime communiste avait tenté d’instiller
à l’époque de son règne dans la conscience collective laissa progressivement la
place à une image plus proche de la réalité, à la suite du renversement du
régime fin 89. La personnalité mesquine et orgueilleuse du vieux dictateur
couvrit pour l’histoire l’image factice et reluisante que sa propagande avait
tenté, à perte, d’accréditer. (Trad Ionut Jugureanu)