Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen – roi de Roumanie et… de Bulgarie
Vers la moitié du 19e siècle, l’Europe bouillonnait. Les Etats balkaniques tâchaient de se débarrasser de l’influence ottomane et d’adopter le modèle occidental de la modernisation économique, politique et sociale. Les réactions anti-ottomanes étaient doublées de rivalités locales, alimentées par un certain nationalisme, chaque pays tentant de se présenter comme supérieur aux autres. Des rapprochements entre les nations ont certes existé; pourtant, en raison des enjeux géopolitiques au niveau du continent, ils étaient voués à l’échec. Parmi ces rapprochements échoués compte celui entre la Roumanie et la Bulgarie, deux pays voisins qui aspiraient à l’indépendance.
Steliu Lambru, 08.12.2014, 13:50
Les relations historiques entre les Roumains et les Bulgares avaient connu des hauts et des bas. Toujours plus ferme dans les Balkans à commencer par le 14e siècle, la présence ottomane a mené à l’instauration de la paix ottomane, qui signifiait que l’Empire contrôlait toutes les nations de l’Europe du sud-est.
Durant la première moitié du 19e siècle, l’élite de la société roumaine a réussi à définir l’espace roumain et à lui donner une identité étatique; les Bulgares y aspiraient aussi et ils étaient en pleine effervescence. Les Bulgares émigrés en Roumanie après 1850 ont trouvé une base solide pour répandre leurs idées nationales au sud du Danube, sur le territoire occupé par les Turcs et considéré comme noyau du futur Etat bulgare.
L’avènement, en 1866, du prince Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen au trône de Roumanie a apporté au pays beaucoup de stabilité, stimulant la modernisation de l’espace roumain et lui imprimant une direction européenne. Après la guerre russo-roumano-turque de 1877-1878, suite à laquelle la Roumanie allait devenir indépendante, Carol Ier offrait l’image d’un souverain responsable et crédible.
La Roumanie et la Bulgarie avaient connu un rapprochement significatif qui allait s’amplifier davantage lors de la guerre de 1877 — 1878. Tout a commencé par la camaraderie qui s’était formée entre l’armée roumaine et les troupes de volontaires bulgares qui luttaient aux côtés des Russes et des Roumains. De nombreux combattants bulgares ont reçu des décorations roumaines. Même avant ces contacts directs entre le Roumain lambda et le Bulgare lambda durant la guerre, les liens entre les deux peuples étaient beaucoup plus anciens. Les historiens évoquaient l’Etat médiéval roumano-bulgare des frères Petru et Ioan Asan, fondé sur la lutte commune des Roumains et Bulgares contre l’Empire byzantin.
Le rapprochement entre la Roumanie et la Bulgarie était basé aussi sur l’amitié entre le prince Carol de Roumanie et le prince régnant de Bulgarie, Alexandre Battenberg. Proclamé prince à 22 ans en 1879, Alexandre, neveu du tsar russe Alexandre II, était plus jeune que Carol Ier. La tentative d’Alexandre, à l’initiative des politiciens bulgares, de gouverner sans l’avis positif de la Russie a provoqué une crise qui allait le renverser en 1885. Cette année a marqué le début de l’idée d’une union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie.
En juin 1886, un groupe d’émissaires bulgares offrait la couronne de la Bulgarie au roi Carol Ier de Roumanie. Une union personnelle se créait ainsi entre les deux pays. L’offre était fort tentante, mais les calculs géopolitiques dans la région allaient mettre en échec ce projet. L’historien Sorin Cristescu détaille les raisons pour lesquelles l’idée n’a finalement pas pu être matérialisée: « On avait parlé en 1878 et aussi en 1886, lorsque Alexandre Battenberg avait été détrôné, de cette idée d’une union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie. A noter que les Russes souhaitaient contrôler la Bulgarie. C’était d’ailleurs la motivation de la guerre de 1877-1878. En plus, ils avaient constaté qu’il y avait à la périphérie de l’Europe un pays qui sympathisait avec la France ou qui se considérait comme la sœur cadette de celle-ci, à savoir la Roumanie. Ils se sont dit alors qu’il serait bon d’avoir tout près d’eux un pays qui sympathise avec la Russie, qui soit leur sœur cadette. D’où leur implication particulière. Le Premier ministre Ion I. C. Brătianu s’est rendu compte du fait que toute acceptation de la part de l’élite roumaine ou de Carol 1er, toute suggestion d’accepter cette couronne, allait susciter la riposte ferme de la Russie. Les représentants de la Bulgarie auraient été éconduits. On leur aurait dit de partir, sinon ils seraient renvoyés de force, comme des voyous. On en a discuté, mais Brătianu s’est montré prudent, refusant des débats plus longs sur ce sujet ».
L’idée de l’union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie doit être considérée dans le contexte où le fédéralisme passait pour un des projets les plus en vogue dans l’Europe du 19e siècle. Les détracteurs des empires multinationaux se sont demandé ce qui allait se passer après leur démantèlement.
Une possible réponse à cette question était la création de fédérations ou de confédérations d’Etats capables d’empêcher la domination d’une seule nation sur les autres. La révolution de 1848 avait vu dans le fédéralisme un principe d’alliance régionale et une politique viable pour la période suivant l’effondrement des empires multinationaux. Bref, l’échec de l’union des dynasties roumaine et bulgare a deux explications: la menace de l’invasion russe et la victoire finale du nationalisme. (trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu, Dominque)