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Carmen Sylva, la reine artiste

Élisabeth Pauline Ottilie Louise de Wied est née le 29 décembre 1843 dans le duché de Nassau, aujourd’hui le land de Rhénanie-Palatinat, en Allemagne de l’Ouest. En 1869, à 26 ans, elle sera appelée à devenir la première reine de Roumanie, cet État qui venait de se constituer, avec l’appui de Napoléon III, à l’est de l’Europe, issu de l’union de la Moldavie et de la Valachie. État tampon entre les empires ottoman et russe, la Roumanie se trouvait alors à la recherche désespérée des garanties de sécurité et de la voie qui lui donnent accès à la modernité. C’est ainsi qu’elle choisit d’installer à sa tête, en 1866, un représentant des dynasties européennes en la personne du prince Carol de Hohenzollern-Sigmaringen.

Carmen Sylva, la reine artiste
Carmen Sylva, la reine artiste

, 05.09.2022, 14:08

L’histoire notera l’attachement total de la reine Elisabeth à ses nouvelles fonctions, notamment dans les moments clés du long règne, étendu sur 48 longues années, de son époux, le roi Carol I. Ce fut particulièrement vrai au moment de la guerre russo-turque de 1877/1878, lorsque la Roumanie se rangea du côté des Russes pour accéder à son indépendance. La reine Élisabeth s’implique déjà à soigner les blessés de guerre. Elle crée aussi la société de bienfaisance qui porte son nom, une première pour l’époque, posant ainsi les bases du système caritatif roumain. Mais la reine Élisabeth marque surtout de son empreinte particulière l’essor des arts dans son pays d’adoption. Seulement, elle ne se cantonne pas dans ce rôle de protectrice des arts ou de diverses sociétés artistiques, car elle écrit, traduit et développe une véritable réflexion spirituelle, d’influence chrétienne. Sous son nom de plume Carmen Sylva, la reine Élisabeth, écrivaine prolifique, publiera pas moins de mille poèmes, 4 recueils de nouvelles, 30 œuvres dramatiques et 4 romans.

Son œuvre, écrite en grande partie en allemand, sera traduite en roumain par de grands noms de la littérature roumaine, tels Mihail Eminescu, George Coșbuc, Mite Kremnitz, Adrian Maniu. L’écrivain français Pierre Loti (1850-1923), auteur de l’ouvrage « L’exilée – la vie de Élisabeth de Roumanie » disait : « Au courant de ma vie errante, il m’est arrivé une fois de m’arrêter dans un château enchanté, chez une fée. » Cette fée est la reine Élisabeth de Roumanie. Le portrait que fait Pierre Loti de la reine : « La reine est grande, aux yeux bleus, et son regard, un peu embrumé, semble chercher les regards des autres pour deviner plus vite le fin fond de leurs pensées. Des cils fins, très mobiles ; des lèvres harmonieuses, habituées au sourire, laissant entrevoir des dents blanches, étincelantes. C’est sous cette apparence avenante, faite de bonté, d’intelligence et de sincérité, qu’elle accueille ses hôtes. Derrière, plane cependant l’ombre d’une modestie profonde, d’où l’étonnement ingénu qui pointe lorsqu’on l’appelle « Votre Majesté ». Ce ne sont pas les ors de son rang qui font ressortir la lumière maîtrisée qu’elle répand sur son passage. » Les derniers écrits parus en Roumanie, et jusqu’alors inédits, de l’œuvre de la reine Élisabeth font connaître au public la correspondance de la reine avec son auguste époux, le roi Carol I. Cette correspondance, sortie en deux tomes, s’intitule : « Avec tendresse, Élisabeth… Votre serviteur, Carol I ». La deuxième parution comprend un recueil de réflexions, intitulé « Des mots d’esprit ».

L’écrivaine Tatiana Niculescu souligne la profondeur saisissante de la pensée de la souveraine. Écoutons-la : « Avant d’ouvrir ce livre, l’image que j’avais de la reine Élisabeth était celle d’une reine objet, une sorte d’effigie, d’une femme qui avait répondu au mieux aux attentes de son temps et de son milieu à son égard, mais sans plus. Or, cette correspondance m’avait révélé, au contraire, une femme extraordinaire, un esprit vif et subtil. Aussi bien sa correspondance que les « Mots d’esprit » nous dévoilent l’intimité de sa pensée. Il s’agit, certes, d’une démarche de récupération, d’une démarche historique pour la plupart. Mais il s’agit aussi d’un journal spirituel, d’un livre théologique. C’est sans doute tout cela à la fois. L’on se trouve alors devant une reine dotée d’une spiritualité d’inspiration chrétienne très vivante, très cohérente, à une époque où le doute gagnait insidieusement les esprits. »

L’écrivaine Tania Radu s’applique, quant à elle, à découvrir les sources de la spiritualité de la reine Élisabeth : « On se trouve devant un livre qui nous fait du bien, dans son rapport avec l’authenticité tout d’abord. La réflexion de la reine est sous-tendue par une quête spirituelle permanente. C’est quelque chose de rare parmi les gens de pouvoir. Mais cela vient de la qualité de l’éducation dont elle avait bénéficié en tant que jeune princesse. Une éducation rigoureuse, très soignée, qui est allée bien au-delà de ce que l’on enseignait aux jeunes princesses de son temps. Un seul exemple : ses cours de religion, donnés par sa mère, avaient lieu à partir de 6h00 du matin. C’est sans doute grâce à cette discipline austère que la reine de plus tard deviendra un être doté d’une sensibilité peu commune, toujours prêt à se dévouer aux autres et capable d’affronter bien des difficultés. Le socle de sa personnalité était bâti sur un ferment spirituel solide qui, par la suite, l’a toujours guidée et accompagnée tout au long de sa vie. »

La reine écrivaine accompagne pendant 45 ans, jusqu’à la fin de son long règne, son époux, le roi Carol I, éteint en 1914, après 48 années de bons et loyaux services faits à la nation roumaine. La reine Élisabeth s’éteindra peu de temps après, à 72 ans, le 18 février 1916, au château de Peleş, à Sinaia. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

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