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A la recherche du Roumain pur

Le racisme, l’eugénisme, le sang, la langue, la culture et la religion, voici l’arsenal idéologique fondateur du nazisme. Pour autant, chacun de ces dogmes de la haine a puisé dans le bagage des connaissances, plus ou moins scientifiques, de la première moitié du vingtième siècle, pour étayer ses thèses sur les différences constatées entre les ethnies ou entre les nations. C’est que la science ethnique essayait ainsi de trouver et de définir par ce biais l’essence même de la nation. L’on voit ainsi apparaître dans ce contexte, durant les premières décennies du XXe siècle, une science ethnique roumaine, partie, pas moins que cela, à la recherche du Roumain pur, à la recherche de cette race du Roumain parfait et idéal. La biologie, l’anthropologie et la médecine se joignent à l’époque, dans toute l’Europe, à ce grandiose dessein de la science ethnique, dans une démarche volontariste, suivant une approche que les scientifiques d’aujourd’hui regarderaient avec une stupéfaction infinie.

A la recherche du Roumain pur
A la recherche du Roumain pur

, 24.09.2018, 09:26

Le racisme, l’eugénisme, le sang, la langue, la culture et la religion, voici l’arsenal idéologique fondateur du nazisme. Pour autant, chacun de ces dogmes de la haine a puisé dans le bagage des connaissances, plus ou moins scientifiques, de la première moitié du vingtième siècle, pour étayer ses thèses sur les différences constatées entre les ethnies ou entre les nations. C’est que la science ethnique essayait ainsi de trouver et de définir par ce biais l’essence même de la nation. L’on voit ainsi apparaître dans ce contexte, durant les premières décennies du XXe siècle, une science ethnique roumaine, partie, pas moins que cela, à la recherche du Roumain pur, à la recherche de cette race du Roumain parfait et idéal. La biologie, l’anthropologie et la médecine se joignent à l’époque, dans toute l’Europe, à ce grandiose dessein de la science ethnique, dans une démarche volontariste, suivant une approche que les scientifiques d’aujourd’hui regarderaient avec une stupéfaction infinie.

En Roumanie, ce seront surtout les médecins qui s’attacheront à créer les instruments de la recherche ethnique. L’on peut ainsi citer en vrac des noms qui s’investissent dans ce domaine, tels Gheorghe Popoviciu, Francisc Rainer, Olga Necrasov, O. C. Lecca, Ion Chelcea, ou encore Iordache Făcăoaru. L’historien Marius Turda, spécialiste de ce que l’on appelle les études raciales à l’Université Oxford Brooks et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, précise le climat et le contexte culturel européen dans lesquels la science ethnique prend son essor dans la Roumanie de l’époque : « Il s’agit de ce que l’on appelle la Grande Roumanie, sortie de la Grande Guerre. Il s’agit d’un Etat entouré de pays revendiquant des territoires roumains. Les temps étaient difficiles, et ces gens, à diverses niveaux et de différentes manières, essayent de garder le pays tel quel. Pour eux, la Grande Roumanie était là, et il fallait la peupler de Roumains. Et en effet, il y avait des régions ou des villes où les Roumains n’étaient pas la population majoritaire. Alors, d’une part, il fallait trouver un moyen pour encourager la population roumanophone à coloniser ces régions et, d’autre part, stimuler la natalité des roumanophones, pour qu’ils aient des familles nombreuses, des enfants sains. Et puis, enfin, il fallait trouver un moyen infaillible pour identifier les Roumains, surtout dans les régions caractérisées par une mixité linguistique et culturelle marquée ».

C’est qu’à un certain moment, la science ethnique semble déboucher sur un résultat : trouver l’essence de la nation, le sang et, avec, le faciès racial. Marius Turda souligne l’importance accordée à ces deux éléments par les médecins, les anthropologues et les biologistes roumains, spécialistes de la science ethnique :« La science anthropologique, telle qu’elle était définie dans les années 1920, pouvait déterminer par des analyses des groupes sanguins ou du faciès racial et des caractéristiques physiques si un individu appartenait, au-delà de tout doute raisonnable, à un certain groupe ethnique. Prenons par exemple la langue. Cette dernière, on peut l’apprendre facilement, et beaucoup de gens peuvent s’identifier aux Magyars ou aux Roumains, tout simplement parce qu’ils maîtrisent l’une ou l’autre de ces langues. La langue ne constitue donc pas un élément pertinent de distinction. Mais pour autant qu’un individu appartient mettons à un groupe ethnique d’un point de vue racial, la langue ou la culture apprise n’y peut rien, ne peut changer ce que l’individu est réellement. Le sang et les caractéristiques physiques révélaient donc aux spécialistes de la science ethnique l’origine d’un individu, de sa famille, sa région de provenance, car l’individu garde selon cette science la particularité des groupes sanguins et des zones raciales. Dans les années 1930, ceci est devenu un argument prépondérant pour définir l’essence de la roumanité, du Roumain. Le Roumain était déjà défini d’un point de vue linguistique, culturel ou religieux. Mais il manquait un élément : à quoi il ressemblait. Il fallait donc identifier ses caractéristiques physiques, qui le distinguent, qui le séparent du Grec ou de l’Allemand, par exemple. Mais il était aisé pour ces scientifiques de mettre en exergue les éléments distinguant le Roumain de l’Allemand. Ce fut autrement plus difficile en revanche de distinguer les caractéristiques du Roumain par rapport au Grec ou au Bulgare, car là, les différences étaient minimales. »

Nous avons demandé à Marius Turda dans quelle mesure ces recherches ont pu mettre en évidence l’unité biologique d’une supposée race roumaine : « Très peu ont poussé le bouchon aussi loin que pour prétendre avoir identifié des zones roumaines racialement identifiables et distinctes au sein même de la Grande Roumanie. Mais ils l’ont fait dans deux autres domaines. D’une part, l’image d’une supposée continuité daco-romaine, et puis roumaine, en Transylvanie. C’était une véritable obsession : essayer de démontrer l’existence d’un noyau ethnique et racial roumain pur en Transylvanie, dans le dessein de mettre à mal les théories magyares, qui faisaient état d’une immigration roumaine tardive dans la région. D’autre part, il y a eu la question de la pureté de la race, posée entre les trois régions historiques de la Grande Roumanie : la Transylvanie, la Moldavie et la Valachie. Les Roumains de Transylvanie appartenaient aux groupes raciaux prédominants en l’Europe Centrale et Occidentale, alors que les Roumains de Moldavie et de Valachie, et surtout ceux de Dobroudja, appartenaient aux groupes raciaux dominants dans les Balkans. Ils avaient été forcément influencés par les invasions asiatiques, par les occupations tartares et turques, par l’élément grec. Il fallait donc, dans cette optique, décider laquelle de ces régions avait gardé les traits roumains les plus purs. La réponse n’est pas difficile à deviner. Il s’agissait bien de la Transylvanie, là où le processus de mixité avait été d’une faible envergure, car les Roumains de Transylvanie vivaient surtout dans les montagnes, à l’écart de grandes vagues migratoires ».

Mais, au fond, à quoi ressemblait le Roumain pur, du moins dans l’imaginaire de l’époque ? Marius Turda affirme que: « Les recherches ont été ciblées sur la population des Moţi, concentrée dans la région des Monts Apuseni. C’était un choix déterminé par plusieurs raisons. D’abord, Avram Iancu, l’un des personnages symboles de la renaissance roumaine en Transylvanie et de la lutte contre l’occupation hongroise était Moţ. Puis, les Moţi vivaient isolés, à l’écart, et les chercheurs pouvaient, selon la théorie anthropologique de l’époque, identifier des groupes qui avaient vécu isolés pendant longtemps. Alors l’image type du Roumain idéal était ce Roumain qui vivait dans les Monts Apuseni. Il y avait en outre une unité linguistique assez marquée dans tout le territoire de la Grande Roumanie, même si, dans les années 1930, les régionalismes étaient encore assez présents. Quant à l’unité religieuse, elle était moins évidente à saisir, surtout que, à l’époque, les uniates, les gréco-catholiques, comme on les appelle, étaient nombreux en Transylvanie et dans le Maramures. Il y avait aussi dans les mêmes régions un certain nombre de protestants. Mais ces différences religieuses entre les régions historiques n’ont pas donné lieu, à une seule exception près, à des théories qui interprètent ces éléments en termes de supériorité ou d’infériorité ».

Pour conclure, on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que le Roumain pur demeure un fantasme pseudo-scientifique, concept prisonnier d’une époque où la raison, sans avoir été complètement bannie, s’est tout simplement trompée. (Trad. Ionut Jugureanu)

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