90 ans depuis les grèves des cheminots du mois de février 1933
Dans les années 1929-1933 le monde était secoué par la Grande
Dépression, provoquée par le krach boursier newyorkais débuté en ce fameux
Jeudi noir, le 24 octobre 1929. La longue et douloureuse crise économique qui s’en
est suivie mit à rude épreuve le niveau de vie de nombreuses catégories sociales,
et secoua les démocraties du monde entier. La Roumanie fut à son tour
profondément touchée. Face aux coupes sombres opérées par le patronat, les ouvriers
tentaient de se défendre au moyen des grèves et des mouvements de
protestations. Ce fut le cas de la grève initiée par les mineurs de Lupeni, en
1929, suivie plus tard par les grèves des cheminots, de janvier-février 1933, un
mouvement déclenché par les cheminots travaillant dans les ateliers « Grivița »,
de Bucarest. Une grève qui marqua les esprits des contemporains, et qui sera utilisée
plus tard, après 1945, par les communistes roumains, pour légitimer leur assise.
Steliu Lambru, 27.02.2023, 11:43
Dans les années 1929-1933 le monde était secoué par la Grande
Dépression, provoquée par le krach boursier newyorkais débuté en ce fameux
Jeudi noir, le 24 octobre 1929. La longue et douloureuse crise économique qui s’en
est suivie mit à rude épreuve le niveau de vie de nombreuses catégories sociales,
et secoua les démocraties du monde entier. La Roumanie fut à son tour
profondément touchée. Face aux coupes sombres opérées par le patronat, les ouvriers
tentaient de se défendre au moyen des grèves et des mouvements de
protestations. Ce fut le cas de la grève initiée par les mineurs de Lupeni, en
1929, suivie plus tard par les grèves des cheminots, de janvier-février 1933, un
mouvement déclenché par les cheminots travaillant dans les ateliers « Grivița »,
de Bucarest. Une grève qui marqua les esprits des contemporains, et qui sera utilisée
plus tard, après 1945, par les communistes roumains, pour légitimer leur assise.
Une première
phase de cette grève des cheminots démarra à l’appel des syndicats, et se
déroula entre le 31 janvier et le 2 février 1933. À la suite des négociations
enclenchées avec le patronat, certaines revendications, dont des augmentations
salariales, furent satisfaites. Pourtant, les leaders syndicaux communistes,
souvent instrumentalisés par les ukases de l’Internationale communiste, ne se satisferont
pas de si peu. Les revendications à caractère politique commencent à supplanter
les revendications purement sociales. Après des jours de blocage des
négociations, le 16 févier 1933, le gouvernement décide d’intervenir en force,
envoyant les troupes, appuyées par des gendarmes, pour déloger les quelques 4.000
grévistes, barricadées dans l’enceinte des Ateliers des chemins de fer. Des
coups de feu sont tirés. A la suite de l’intervention, 7 grévistes sont morts,
15 autres sont blessés. 160 grévistes seront arrêtés et condamnés par la suite
à diverses peines d’emprisonnement.
Le régime
communiste instauré après 1945 utilisera intensément cette grève à des fins de
propagande. En effet, le secrétaire-général du parti d’après 1945, Gheorghe
Gheorghiu-Dej, était l’un des meneurs de la grève des cheminots de 1933. Les
recherches historiques démarrés après la fin du régime communiste jettent aujourd’hui
une autre lumière sur les tenants et les aboutissants du mouvement gréviste des
cheminots de 1933. Dans les archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion
roumaine, nous avons retrouvé l’interview passée en 1998 par Constantin Negrea, jeune ingénieur à l’époque des grèves
de 1933 au sein des ateliers des chemins de fer « Grivita », qui ont
été au cœur du mouvement. Negrea commence son interview en rappelant les
origines du mouvement, démarré en 1931, et qui s’était à l’époque déjà soldé
par deux victimes.
Constantin Negrea :
« A partir de 1931
les choses se gâtent. On se voyait menacé par les coupes salariales, alors que
les prix augmentaient. Alors, le 29 janvier 1931, l’on démarre la grève. On
manifeste aussi. A partir de 16h00, on se dirige vers les ateliers « Grivita »,
en criant des slogans, pour marquer notre opposition aux coupes salariales. Les
troupes de gendarmes nous encadraient. Et puis, lorsqu’on approche du pont Grant,
les troupes tirent, pour nous disperser. Les coups de feu ont fait deux
victimes, dont un certain Craciun, menuisier de son état, et un juif, un certain
Schwartz, qui était juste de passage, qui venait de la ville d’Oradea pour se
marier, à Bucarest. Deux victimes donc ».
Deux années
plus tard, en 1933, le mouvement démarre par des marches de protestation. Mais
les syndicats, plus aguerris, changent de stratégie. Constantin Negrea, témoin des événements :
« Au lieu d’aller
manifester et protester dans les rues de la capitale, nous avons choisi de nous
barricader au sein des Ateliers. Et l’on enclenchait la sirène toutes les 30
minutes, pour nous faire entendre. Nous nous sommes organisés par groupes. On
était des syndicalistes. Et il a été décidé à ce que l’on aille manifester le
15 février, alors qu’il y avait un froid terrible ce jour-là. On était sorti
dans la cour des Ateliers, où l’on avait érigé une barricade, faite de sacs de
sable. On avait du sable à disposition, parce qu’on avait commencé à aménager un
petit parc dans la cour des Ateliers. Et l’on se chauffait à des feux de camp.
Puis, l’on aménagea une autre barricade, à l’aide de poutres en bois pour
bloquer une autre entrée, située à l’arrière ».
En dépit de la
radicalisation croissante du mouvement, certains grévistes se montrèrent
réticents face à l’entêtement de leurs leaders. Constantin Negrea :
« Une fois que le
soir est tombé, certains nous firent part de leurs craintes. Il y en avait un,
Mogos, qui travaillait à l’usine, y en avait un autre encore, et ils nous disaient :
« Nous allons perdre notre gain-pain ». Ils étaient plus âgés. Mais nous,
les jeunes, on était des jusqu’au-boutistes, nous ne voulions pas reculer. Ensuite,
moi, avec mon groupe, on était sorti dans la cour des Ateliers vers 17h00. La
sirène était notre métronome. On gardait les barricades, les entrées. On voyait
bien que l’on était cerné par les troupes. Et à 17h45 précises, elles ont
ouvert le feu. Les gendarmes ont tiré pour tuer. Six des nôtres sont alors tombés
raide morts sur le coup, touchés par balles. »
La grève des cheminots
du mois de février 1933 a représenté un tournant dans la lutte syndicale
ouvrière roumaine. En dépit de la confiscation idéologique opérée après coup
par le régime communiste, le mouvement montra la capacité et la puissance
collective des ouvriers décidés à s’opposer à tout prix à la dégradation de
leurs conditions de vie et de travail. (Trad. Ionut Jugureanu)