90 ans depuis la signature du Pacte balkanique
Principal objectif à l'issue de la Grande Guerre : la dissuasion des visées révisionnistes des Etats vaincus.
Steliu Lambru, 04.03.2024, 12:14
Objectif: empêcher la résurgence du révisionnisme
A l’issue de la Grande Guerre, les vainqueurs, dont, à côté de la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l’Italie et le Japon l’on retrouve la Roumanie, ont souhaité à ce que les traités de paix, la Société des Nations, enfin les alliances régionales empêchent la résurgence du révisionnisme et garantissent la paix sur le continent européen. Aussi, les alliances régionales qui seront conclues dans la période de l’entre-deux-guerres entre certains Etats de l’Europe centrale et de l’Est avaient pour principal objectif la dissuasion des visées révisionnistes des Etats vaincus.
L’une de ces alliances fut le Pacte (ou l’Entente) balkanique, signé à Athènes, le 9 février 1934, entre la Yougoslavie, la Roumanie, la Turquie et la Grèce, héritier du Bloc balkanique conclu dix années plus tôt, en 1924.
Mieux défendre les frontières roumaines
Pour la Roumanie, le Pacte renforçait son système d’alliances censé défendre ses frontières contre toute menace révisionniste. La doctrine nationale de la Roumanie de l’époque identifiait l’URSS comme principale menace pour sa sécurité. D’où la signature dès 1921 d’une alliance avec la Pologne, vouée à la contrer. Pour sécuriser sa frontière ouest, avec la Hongrie, la Roumanie avait conclu, avec la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, la Petite Entente. Enfin, par la signature du Pacte balkanique, la Roumanie entendait sécuriser sa frontière sud, avec la Bulgarie. La France joua par ailleurs un rôle de premier plan, inspirant et parrainant ce système d’alliances.
S’interrogeant sur le pourquoi des alliances entre les Etats, le politologue américain Randall Schweller invoque soit des raisons défensives, soit des raisons offensives. Selon cette typologie, le Pacte balkanique fait partie de la première catégorie, car censé contrer l’irrédentisme bulgare, soutenu en sous-main par l’Union Soviétique.
Le Pacte balkanique, expliqué
L’historien Petre Otu s’est quant à lui penché sur les mises géopolitiques et géostratégique du Pacte :
« Il s’agit tout d’abord d’une alliance régionale conclue entre quatre Etats des Balkans, censée protéger le statu quo dans la région. Un statu quo consacré suite accords conclus à la Conférence de Paix de Paris en 1919 et en 1920. Certains diront qu’il s’agisse d’une alliance conclue contre la Bulgarie. C’est fort possible. Mais au-delà de son utilité immédiate, une autre motivation, formulée par Nicolae Titulescu, ancien ministre des Affaires étrangères et président à deux reprises de l’Assemblée nationale de la Société des Nations, est à prendre en considération. En effet, les Balkans étaient perçus comme la poudrière de l’Europe. En concluant ce Pacte, les Etats signataires s’engageaient sur la voie de la paix et de la coopération pacifique, mettant un terme au caractère belliqueux endémique qui avait caractérisé les relations entre les nations balkaniques jusqu’alors. Et je pense que cet argument a pesé réellement dans la conclusion de cet accord. »
Des tensions surgissent
Pourtant, si sur le papier le Pacte balkanique semblait un excellent véhicule pour atteindre ses objectifs assumés conjointement par les Etats signataires, dans la réalité les intérêts mesquins des uns et des autres n’ont pas tardé à produire des tensions au sein de l’alliance.
Petre Otu : « Trois des partenaires, soit la Yougoslavie, la Grèce et la Turquie, étaient des pays méditerranéens. Leurs intérêts géopolitiques se concentraient donc bien en cette direction. Ils semblaient bien moins concernés par les priorités roumaines de sécurité. La Grèce et la Yougoslavie entendaient par ailleurs se prémunir grâce au Pacte contre l’éventuelle voracité de leur voisin italien, ce à quoi la Turquie et la Roumanie étaient bien moins intéressés. Quant à la Turquie, elle était liée à l’URSS depuis le début des années 1920 par un pacte de non-agression. Cela la rendait peu encline à s’engager dans un éventuel conflit contre ce que la Roumanie appréciait comme la principale menace sécuritaire. »
Une cohésion qui n’a pas duré
Les intérêts divergents des principaux protagonistes n’ont pas manqué de saper la cohésion et dès lors l’efficacité du Pacte. Petre Otu :
« Un autre défaut de cet ensemble a été l’absence d’une Puissance hégémonique. Le Pacte balkanique a été confronté avec les velléités de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne d’en prendre le contrôle. Des Puissances concurrentes. D’ailleurs, en 1931, les Italiens et les Britanniques avaient tenté la création d’une union entre la Grèce, la Bulgarie et la Turquie, à laquelle la France a opposé l’idée d’une union entre la Yougoslavie, la Roumanie et la Bulgarie. »
L’aide militaire est refusée
Aussi, si les alliances régionales bénéficiaient d’un certain degré de crédibilité diplomatique et d’un certain pouvoir de dissuasion, elles se sont avérées inutiles d’un point de vue militaire. Au sein de la Petite Entente, la Tchécoslovaquie, pour des raisons qui lui appartenait, ne s’engageait pas à soutenir militairement la Roumanie en cas d’attaque. Pour ce même genre de raisons, la Grèce et la Turquie se dédouanaient d’appuyer militairement la Roumanie en cas d’attaque venue de la part de l’URSS.
Ce qui fait conclure à Petre Otu : « Le Pacte balkanique était une alliance des petites nations. Elle ne pouvait pas faire efficacement barrage aux desseins de Grandes Puissances. C’est souvent le sort de ce genre d’alliances. Face aux tensions internationales, face aux pressions de Grandes Puissances, aucune de ces alliances ne s’est avérée capable d’infléchir le cours des choses une fois mise à l’épreuve. »
En 1940, le système de sécurité qui s’est appuyé sur ces alliances régionales a commencé à s’effondrer. La Deuxième Guerre mondiale venait d’éclater, balayant d’un revers de main les illusions sécuritaires des petites nations de l’Europe centrale et de l’Est. (Trad. Ionut Jugureanu)