80 ans depuis la cession du Quadrilatère
La région connue sous le nom de Quadrilatère, ou la Dobroudja du Sud, avait rejoint le royaume de Roumanie en 1913, suite à la paix de Bucarest, qui scellait la fin de la 2e guerre balkanique. C’est qu’en 1912, la Ligue balkanique, formée par la Grèce, la Bulgarie, la Serbie et le Monténégro, attaquait l’empire ottoman, parvenant à libérer l’Albanie, la Macédoine et la Thrace, après deux mois de combats acharnés. Pourtant, très vite, les mésententes qui apparaissent au sein de la coalition initiale, au sujet de la répartition des territoires conquis, donnent naissance à la deuxième guerre balkanique, déroulée, elle, entre la Bulgarie d’une part, la Grèce, la Serbie et le Monténégro de l’autre.
Steliu Lambru, 12.10.2020, 13:46
La région connue sous le nom de Quadrilatère, ou la Dobroudja du Sud, avait rejoint le royaume de Roumanie en 1913, suite à la paix de Bucarest, qui scellait la fin de la 2e guerre balkanique. C’est qu’en 1912, la Ligue balkanique, formée par la Grèce, la Bulgarie, la Serbie et le Monténégro, attaquait l’empire ottoman, parvenant à libérer l’Albanie, la Macédoine et la Thrace, après deux mois de combats acharnés. Pourtant, très vite, les mésententes qui apparaissent au sein de la coalition initiale, au sujet de la répartition des territoires conquis, donnent naissance à la deuxième guerre balkanique, déroulée, elle, entre la Bulgarie d’une part, la Grèce, la Serbie et le Monténégro de l’autre.
La Roumanie est entrée dans la bagarre contre la Bulgarie, et la paix, signée le 10 août 1913, à Bucarest, allait dessiner les frontières issues de cette guerre entre les Etats des Balkans.La compétition entre les Etats libérés de la suzeraineté ottomane au 19e siècle, et leur désir d’agrandir leur part du gâteau aux dépens des autres, a vite fait de dégénérer en violences civiles et militaires. Le nationalisme avait le vent en poupe, et les revendications territoriales se trouvaient en haut des agendas politiques des Etats balkaniques. Invoquant le droit historique et/ou la composition ethnique d’une région, tous étaient occupés à revendiquer des pans entiers des territoires des autres. Les nations balkaniques ne s’entendaient que sur un point : la haine des Ottomans. Pour ne rien arranger à l’affaire, les puissances européennes commencent à soutenir, chacune de son côté et en poursuivant ses propres intérêts, l’un ou l’autre de ces nouveaux Etats dans leurs revendications respectives. La France et la Grande-Bretagne appuyaient ainsi les revendications grecques et serbes, alors que l’Allemagne soutenait plutôt les points de vue des Roumains et des Bulgares, et que l’Autriche-Hongrie et l’Italie se faisaient les porte-paroles des revendications albanaises.
De tout ce vacarme, à la fin de la deuxième guerre des Balkans et suite au Traité de Bucarest, la Roumanie se voyait attribuer le Quadrilatère, région riveraine de la mer Noire, située au Sud de la Dobroudja roumaine et habitée à 47% par des Bulgares, à 37% par des Turcs, à 4% par des Rom et autant par des Tartares, enfin habitée à seulement 2% par des Roumains. Mais la question de la Dobroudja du Sud était demeurée pendante depuis les traités de paix de San Stefano et de Berlin, traités qui avaient établi les conditions de paix suite à la guerre russo-roumano-turque de 1877/1878. La Russie s’était à l’époque engagée à offrir à la Roumanie le sud de la Dobroudja, en échange du sud de la Bessarabie, qu’elle avait englobé à son empire. Vu que les promesses russes ne s’étaient pas matérialisées à l’époque, pour la Roumanie cette question était un vrai sujet de frustrations. Mais le Quadrilatère allait rejoindre la Roumanie en 1913 et ce pour seulement 3 années.
En effet, dès 1916, lors de l’entrée de la Roumanie dans la première guerre mondiale aux côtés de l’Entente, la Bulgarie allait vite occuper le sud de la Dobroudja, alors que la Roumanie était aux prises avec les Puissances centrales. A l’issue de la guerre, suite au traité signé à Neuilly-sur-Seine, la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie était à nouveau redessinée à la faveur de la Roumanie, regagnant son tracée de 1913. Dans la période de l’entre-guerre, la politique étrangère de la Roumanie s’est résolument orientée vers ses alliés traditionnels, la France et la Grande-Bretagne. Mais la défaite de la France de 1940 et la fin de l’ordre européen scellé à Versailles à l’issue de la première guerre mondiale trouvaient la Roumanie en porte-à-faux devant les nouveaux maîtres de l’Europe. C’est ainsi qu’au mois de juin 1940, l’Union soviétique, de mèche avec l’Allemagne nazie, occupait la Bessarabie et le Nord de la Bucovine, suite à deux ultimatums successifs transmis par le gouvernement soviétique au gouvernement de Bucarest.
A la fin du mois d’août de la même année, le pays était dépecé, la Hongrie occupant le Nord de la Transylvanie, suite au Diktat de Vienne, conclu sous la houlette de l’Italie et de l’Allemagne. Enfin, le 7 septembre 1940, le traité de Craiova obligeait la Roumanie à céder le Quadrilatère à la Bulgarie, sous la double pression des mêmes Italie et Allemagne. L’historien Ioan Scurtu essaie de déchiffrer la marge de manœuvre dont disposait le nouveau gouvernement fasciste, instauré à Bucarest le 6 septembre 1940, devant ce contexte pour le moins trouble :« Le sort du Quadrilatère semblait déjà scellé dans la lettre envoyée par Hitler au roi Carol II, le 15 juillet 1940, et dans laquelle le Führer exigeait la cession d’une partie de la Transylvanie à la Hongrie, et la cession du Quadrilatère à la Bulgarie. Les dés étaient donc jetés. Les négociations ultérieures, déroulées au mois d’août 1940, n’ont fait que donner un semblant de légitimité à l’affaire. Carol II, suite à la décision prise par le Conseil de la Couronne, acquiesce à la cession. Il va sans dire que le nouveau chef du gouvernement roumain, le général Antonescu, n’a fait que signer les documents qui ratifiaient une décision assumée par l’ancien roi, déposé depuis ».
Il faut dire que dans la période de l’entre-guerre, tant que le Quadrilatère s’est trouvé dans le giron de l’Etat roumain, ce dernier avait consenti à faire bien des efforts pour favoriser le développement économique de la région, en y construisant également un réseau routier, et en modernisant les anciennes voies terrestres. Par ailleurs, engagée par les traités signés, la Roumanie avait dû respecter les droits des minorités nationales, turque et bulgare en premier lieu, dans les domaines de la propriété, de l’utilisation des langues des minorités dans l’éducation et dans la presse, du droit de vote, accordant en outre de l’assistance juridique et l’accès aux autres droits dont jouissait pleinement tout citoyen roumain.
Dans les années 20, la Roumanie avait dû néanmoins renforcer sa frontière sud, qui s’avérait trop perméable aux incursions des troupes para militaires bulgares. Mais la Roumanie avait également menée une politique de colonisation de ce territoire, en y installant des Roumains originaires de tout le pays et des Aroumains, originaires de l’ancienne province ottomane de Macédoine. La proportion de la population roumanophone s’était ainsi vue augmenter de façon conséquente. Au recensement de 1930, les Bulgares ne représentaient plus que 37% de la population du Quadrilatère, les Turcs 34%, alors que la proportion des Roumains était passée de 2 à 20%, les Roms et les Tatares demeurant à 2 et respectivement à 1% de la population totale de la région. Dans le contexte, des villes nouvelles sont apparues, telles Silistra, Bazargic et Balcic, la dernière abritant la résidence que la reine Marie s’était fait ériger au bord de la mer Noire. Cette dernière, Entourée de magnifiques jardins, cette résidence d’été demeure encore aujourd’hui l’une des attractions de la région. (Trad. Ionuţ Jugureanu